Des parties libyennes et internationales s'emploient à identifier des options pour faire sortir le pays de l'impasse actuelle qui menace de faire régresser le pays, à nouveau, vers la violence, compte tenu de l'absence d'une quelconque feuille de route sérieuse et digne de ce nom, qui aboutira à la tenue d'élections et au remplacement des corps politiques actuels.
Après l'échec des réunions du Conseil d'Etat et de la Chambre des députés au Caire, puis de la rencontre des présidents de ces deux institutions à Genève, à la fin du mois de juin dernier, pour convenir d'une Règle constitutionnelle, la balle est désormais jetée dans le camp du Conseil présidentiel, tout particulièrement après les manifestations populaires organisées dans plusieurs villes du pays et qui lui réclamaient de mettre fin aux corps et aux institutions politiques actuelles.
Toutefois, le Conseil présidentiel n'a pas été décisif et l'initiative est retournée à la Mission onusienne qui s’emploie à réunir, à nouveau, le président de la Chambre des députés et son homologue à la tête du Conseil d'Etat, afin de relancer un processus qui aboutirait à des élections bien que de multiples réunions, des années durant, entre les deux dirigeants n’ont pas atteint l'objectif escompté.
L'initiative du Conseil présidentiel mise à l'épreuve de la réalité
Il était prévu que le Conseil présidentiel, conduit par Mohamed Manfi, recoure à l’annonce d’une mesure révolutionnaire, telle que la proclamation de l'état d'urgence ou la dissolution du Conseil d'Etat et de la Chambre des députés et la formation d'un gouvernement restreint, en prévision de la tenue d'élections dans les plus brefs délais, après l’adoption d'une Règle constitutionnelle et de la Loi électorale par voie de décrets.
Néanmoins, aucune de ces mesures n'a été mise en œuvre, en dépit de revendications faites par les manifestants qui réclamaient la chute les corps politiques actuels, tout en appelant le Conseil présidentiel à assumer la responsabilité de préparer les élections.
Il convient de noter, à la décharge du Conseil présidentiel, que les manifestations ne se sont pas inscrites dans la durée et n’ont pas ainsi fourni l'appui nécessaire à cette institution, qui n'a pas bénéficié non plus d’un soutien international et encore moins des forces militaires influentes, afin d’aller au bout et de mettre en œuvre son plan.
Le Conseil présidentiel s'est contenté de soumettre le projet de la Règle constitutionnelle à l'examen du Haut Conseil d'Etat (législatif consultatif) qui l'a rejeté à l'unanimité, en particulier, l'article portant sur les conditions nécessaires pour se porter candidat à la Présidence.
L'article en question, qui a suscité la polémique, dispose que « le candidat au poste de la Présidence ne doit pas détenir la nationalité d'un autre pays, lors de sa prestation de serment pour exercer le pouvoir ».
L'article ajoute : « Le vainqueur dispose d'un délai de trois mois pour présenter les justificatifs attestant avoir renoncé à son autre nationalité et le président du Sénat accomplit le mandat de chef de l'État, au cours de cette période, et après l’écoulement de cette durée sans que le vainqueur ne renonce à son autre nationalité, une élection présidentielle sera convoquée dans un délai d'un mois… ».
Le Conseil présidentiel a intégré cet article, en tant que solution médiane, face au refus de Khalifa Haftar, patron des forces militaires de l'est libyen, de renoncer à sa nationalité américaine avant de garantir sa victoire à la présidentielle, tandis que le Haut Conseil d'État a conditionné le renoncement de chaque candidat, y compris Haftar, à son autre nationalité avant le dépôt de la candidature.
Ainsi, la position du Conseil d'Etat à affaibli l'initiative du Conseil présidentiel pour adopter le projet de la Règle constitutionnelle par le Parlement.
De plus, le président de la Commission supérieur pour les Elections, Imed Essayeh, a jugé « irrecevable et illégale » l'initiative du Conseil présidentiel, « voulant adopter une Règle constitutionnelle et des lois électorales par des décrets-lois ».
Essayeh a dit que « le Conseil présidentiel ne peut pas, seul, sans l'intervention de la Chambre des députés, promulguer des décrets-lois pour élaborer et approuver les législations électorales ».
Cette situation a fait que l'initiative du Conseil présidentiel a été mise à l'épreuve d'une réalité à laquelle il ne peut pas faire face, d'autant plus que la Chambre des députés de Tobrouk a refusé de partager avec le Conseil d'État la prérogative de légifération, et encore moins, de la céder au Conseil présidentiel.
D’beibah jette la balle dans le camp de la Commission électorale
Après le retrait par la Chambre des députés de Tobrouk de sa confiance du gouvernement d'Union, présidé par Abdelhamid D’beibah, ce dernier a annoncé, à la fin du mois de mai dernier, une initiative portant organisation d'élections législatives. Cette initiative serait lancée à la fin du mois de juin pour aboutir à la tenue du vote, d'ici la fin de l'année 2022.
Au sujet de la Règle constitutionnelle, D’beibah a indiqué que « le projet de la Constitution actuelle peut être adopté et soumis au référendum et le considérer comme étant une base pour la tenue des élections ».
Il a, également, proposé un vote électronique sur le projet de la Constitution, en particulier dans les zones qui ne sont pas soumises à l'emprise de son gouvernement, dans l'est et le sud du pays.
Le choix du mois de juin par D’beibah pour le lancement de la mise en œuvre de son initiative électorale était voulu, dans la mesure où le 23 de ce mois marque la fin de la phase transitoire fixée par les Nations unies à 18 mois.
Après la requête formulée par la Chambre des députés au gouvernement de D’beibah de partir à l'issue de la phase transitoire, les Nations unies ont tenu à indiquer que cette phase est liée à la tenue d'élections, ce qui constitue une continuation de la reconnaissance de l’ONU du gouvernement d'Union.
A l’opposée, le gouvernement d'Union a arrêté d’évoquer des préparatifs pour l'organisation d'élections, d'autant plus qu'il ne dispose pas de l'autorité de légifération et que certains l'accusent de ne pas vouloir tenir des élections pour ne pas avoir à céder le pouvoir à un gouvernement élu.
Bien que D’beibah ait affirmé à maintes reprises la prédisposition de son gouvernement à organiser des élections et qu'il est apte à remettre le pouvoir à un gouvernement élu, il n'en demeure pas moins que le mécanisme de mise en œuvre de ces objectifs demeure flou.
Récemment, D’beibah a jeté la balle dans le camp de la Commission électorale, alors qu'il qualifiait son initiative « d'unique solution » pour la tenue d'élections.
Il a déclaré, dans ce sens : « Nous sommes prêts à organiser les élections immédiatement après l'annonce par la Commission supérieure électorale, de son aptitude et de sa disponibilité », renonçant ainsi implicitement à son initiative portant organisation d'élections législatives et de référendum sur le projet de la Constitution avant de se diriger vers un scrutin présidentiel.
La Mission onusienne attachée à un processus spécifique
Malgré l'échec des délégations de la Chambre des députés et du Conseil d'Etat, ainsi que de leurs présidents respectifs, à convenir d'une Règle constitutionnelle pour la tenue des élections législatives et présidentielle, avec ce que cela a provoqué de déception et d'amertume chez les Libyen, les Nations unies sont toujours attachées au même processus qui avait échoué à parvenir à la tenue du scrutin depuis 2014.
La Mission onusienne en Libye n'a soutenu ni le processus du Conseil présidentiel ni l'initiative du gouvernement d'Union et a souhaité aboutir à la tenue d'élections par le truchement de consensus et d'entente entre la Chambre des députés et le Conseil d'État.
L’émissaire américain pour la Libye, l'ambassadeur Richard Norland, soutient sa compatriote, la conseillère onusienne Stephanie Williams, pour poursuivre sur la même voie.
Mieux encore, il a suggéré une proposition pratique pour assurer l’organisation des élections par les deux gouvernements, chacun dans les zones qu'il contrôle, mais cette proposition n'a pas eu d'échos favorables en Libye.
Dans une tentative de sauver le processus électoral, la conseillère onusienne Stephanie Williams avait rencontré Khaled Mechri, président du Haut Conseil d'État, le 22 juillet dernier à Istanbul en Turquie.
Au cours de cette entrevue, Williams avait mis l'accent sur la nécessité pour Mechri de prendre attache avec le président de la Chambre des députés, Aguila Salah, afin de parvenir rapidement au traitement des points conflictuels en suspens, portant notamment sur la double nationalité des candidats à la présidence ainsi que les amendements du draft de la Constitution de 2017.
Williams a notifié à Mechri, selon un communiqué, la correspondance que lui a envoyé Aguila Salah au sujet des « nominations dans les postes régaliens, en particulier, ceux relatifs aux finances et au contrôle ».
Le président de la Chambre des députés de Tobrouk avait indiqué qu’il envisagerait de désigner, seul, aux postes régaliens, sans l’accord du Conseil d'État et ce, concomitamment au limogeage par le gouvernement d'Union de Moustpha Sanaallah de la tête de la Compagnie nationale du Pétrole, en vertu d’un accord avec Haftar, en dépit de l'opposition des deux Conseils.
Selon le communiqué, Méchri a donné son accord pour s'asseoir autour d’une même table avec Aguila Salah, « pour discuter ces questions de façon intégrale », au premier rang desquelles figure le « rétablissement du pays sur une orbite stable qui aboutirait à la tenue d'élections dans un cadre constitutionnel ».
Ainsi, Méchri et Aguila tenteront, avec l’appui de Williams, de reprendre l’initiative du Conseil présidentiel, qui avait fait allusion à mettre fin à leur existence en satisfaisant des revendications du peuple.
Mais plus important que cela, couper la voie à toute alliance « des forces du fait accompli », représentées par D’beibah et Haftar, est de nature à confisquer leurs prérogatives dans la nomination dans les postes régaliens.
Par conséquent, toute nouvelle réunion entre Méchri et Aguila pourrait probablement aboutir à un consensus sur des dossiers factuels, mais il est exclu que ces discussions aboutissent à la tenue d'élections, sauf en présence d'une pression populaire et internationale assez forte, non pas seulement à leur encontre mais aussi à l'endroit des « forces du fait accompli » pour parvenir à une feuille de route qui sera couronnée par l'élection de nouveaux chef d'État et Parlement.
Source : AA