Le défi de l’aide civile internationale à l’Ukraine

Un rapport appelle à s’appuyer sur les institutions nationales et les réseaux de volontaires plutôt que de créer de nouvelles structures au risque de répéter le « modèle dysfonctionnel » mis en place en Afghanistan.

Voilà maintenant quatre mois que la Russie a lancé l’offensive en Ukraine, le 24 février. Jusqu’ici, les institutions ukrainiennes ont tenu le choc, mais les réseaux de volontaires sont en voie d’épuisement, les ressources privées se tarissent, et l’aide internationale civile arrive au compte-gouttes dans le Donbass, avertit un rapport publié le 24 juin par l’Institut français des relations internationales (IFRI), que Le Monde a pu consulter en avant-première.

« Le pays est au bord de la rupture, résume Arthur Quesnay, son coauteur avec Marie Courraud et Gilles Dorronsoro. La crise humanitaire et le manque d’aide internationale dans les zones de combat risquent de rendre inopérable la logistique dont dépend l’armée ukrainienne pour tenir le front. »

Le document, intitulé Quelle stratégie pour l’aide civile en Ukraine ?, est le fruit d’une enquête de terrain menée par ces trois chercheurs, dont les travaux portent habituellement sur l’Irak, l’Afghanistan ou encore la Syrie. Forts de leur expérience dans les zones conflictuelles et de leurs observations en Ukraine, ils appellent à « changer le modèle de l’aide internationale » dans le pays afin d’éviter la « création d’un milieu humanitaire dysfonctionnel sur le modèle de l’Afghanistan » pendant les vingt ans d’intervention de l’OTAN. 

Contrairement à ce que cherche la Russie, la guerre a renforcé la légitimité et la cohésion des institutions nationales ukrainiennes. Il faut donc « privilégier et renforcer le système institutionnel existant plutôt que de créer de nouvelles structures ou d’introduire des ONG internationales », affirment les auteurs de l’étude. Mais, « si la résilience des institutions est remarquable, elle est étroitement conditionnée par l’aide internationale », ajoute le document. Le choc est brutal pour l’économie ukrainienne, avec – 35% à – 45% du PIB en 2022, selon les estimations. Dans l’est du pays, les municipalités ont fait part d’un budget local déficitaire de plus de 40 % pour mars.

Risque de fragmentation

L’Ukraine a un autre atout essentiel sur lequel l’aide internationale devrait s’appuyer, selon le rapport : les réseaux de volontaires. Leur mobilisation, déjà massive en 2014 au début de la guerre du Donbass, joue un rôle crucial cette fois encore pour aider les combattants et les civils, que ce soit pour organiser les évacuations, distribuer de la nourriture ou accueillir les déplacés. Ces organisations, marquées par leur caractère très informel, leur réactivité et leur horizontalité, devraient toutefois être professionnalisées et mieux structurées, estime l’étude. « Beaucoup d’associations de volontaires ne sont pas enregistrées et sont donc dépourvues d’existence légale, ce qui ferme la porte à certaines formes d’aide », estime-t-elle. Pour autant, « il faut éviter que les ONG internationales évincent les bénévoles actuellement en place ».

Face à l’essoufflement des volontaires et le risque d’une fragmentation des institutions, le rapport vise à « décrire leur fonctionnement et montrer comment travailler avec eux pour agir et renforcer la coordination », explique Arthur Quesnay. Le chercheur met en garde : « Si on fait comme d’habitude, silo par silo, on risque de déstructurer le pays. »

Source : Le Monde

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