Les deux pays ont transféré leur compétition à un champ différent, dans le dessin d'engranger davantage d'influence politique par le truchement de la diplomatie des vaccins
L’Inde et la Chine ont, probablement, démantelé leurs forces déployées aux frontières, générant une baisse de la tension dans la région.
Toutefois, les deux pays ont transféré leur compétition à un champ différent, dans le dessin d'engranger davantage d'influence politique par le truchement de la diplomatie des vaccins.
Ce point de vue se dégage d'une analyse élaborée par Rajaram Banda, ancien chercheur à l'Institut indien des Etudes de Défense et d'Analyse, qui a indiqué que l'émergence d'un vaccin contre la covid-19 a fait apparaître une importante forme la diplomatie.
Une compétition asiatique de Titans
Dans une analyse mise en ligne sur le site indien « Reddit », à la fin du mois de février dernier, Banda a écrit que « l'Inde tente d'instrumentaliser la production du vaccin comme outil diplomatique pour élargir son influence dans la région ».
L'Inde produit désormais 60% des vaccins mondiaux, a-t-il dit, dans « le but d'entraver et de dépasser les efforts déployés par la Chine dans cette compétition asiatique de Titans ».
Selon Banda, le gouvernement du Premier ministre indien Narendra Modi a distribué des millions de doses du vaccin AstraZeneca, produit localement, à plusieurs pays, alors que le programme de New-Delhi pour protéger sa population contre le virus est encore en bas du classement mondial.
La Chine a fait acheminer, jusqu’à présent, 36 millions de doses de vaccins à de nombreux pays, tels que le Bangladesh, le Myanmar, le Népal, le Bhoutan, les îles Maldives, l'Île Maurice, les Seychelles, le Sri Lanka, l’Afghanistan, le Sultanat d’Oman, La Barbade, et le Bahreïn et la République Dominicaine.
Selon le porte-parole du ministère indien des Affaires étrangères, Anurag Srivastava, six millions de doses ont été acheminées, sous forme d'aide, tandis que 29,4 millions de doses de vaccin ont été commercialisées.
Dans des déclarations faites à la fin du mois de février dernier, le porte-parole de la diplomatie indienne a souligné que « l'exportation de doses à plusieurs pays se poursuivra au cours des semaines et des mois à venir selon un échéancier de plusieurs étapes, sans pour autant négliger la demande locale du programme national de vaccination ».
Un des plus grands dons indiens de vaccins anti-Covid a bénéficié au voisin népalais, alors que les relations diplomatiques entre New Delhi et Katmandou étaient au plus bas des années durant.
L'Inde a également offert des vaccins à l'ensemble des membres du corps diplomatique et à leurs familles installés dans le pays.
Le porte-parole a précisé, à ce propos, que « les vaccins ont été offerts aussi bien aux diplomates des pays étrangers accrédités en Inde qu’au personnel des agences onusiennes et des organisations gouvernementales internationales opérant dans le pays ».
La mobilisation de Pékin
D'un autre côté, et tout au long du mois de février écoulé, la Chine a assuré l'acheminement de plus d'un million de doses de vaccin par semaine vers l'Afrique, le Moyen-Orient et l'Amérique latine.
Pékin est parvenu à offrir 10 millions de doses de vaccins aux pays en voie de développement via le Programme Covax, chapeauté par l'Organisation mondiale de la Santé (OMS).
Dans ce même cadre, l'Inde s'est engagé à offrir 200 millions de doses à cette initiative mondiale dans le but de garantir l'acheminement de doses à 92 pays pauvres ou en voie de développement.
Dans un communiqué rendu public, à la fin du mois de février, par son ministère des Affaires étrangères, la Chine a indiqué qu'elle œuvre à assurer le vaccin à plus de 60 Etats, dont une vingtaine utilise effectivement le vaccin.
En Afrique, la Chine a offert des doses de vaccin à la Guinée équatoriale, au Zimbabwe et à la Sierra Leone, et planifie l'envoi d'autres lots vers 16 autres pays du continent.
De son côté, Yang Chun Huang, Directeur du Centre des études de la Santé mondiale à l'Université américaine de Seton Hall, a relevé que « la Chine a envoyé jusqu’à présent 62% de ses vaccins à la région du sud-est asiatique, une région du monde considérée par Pékin comme étant une de ses priorités ».
La Chine a offert au Laos, au Myanmar, aux Philippines, au Cambodge et au Sultanat de Brunei plus de 2 millions de doses de vaccin sous forme de dons.
D'autres pays de la région ont, pour leur part, acquis le vaccin de la Chine. Il s'agit de l'Indonésie, du Vietnam, de la Thaïlande, de la Malaisie et de Singapour.
Les Philippines ont alterné entre les deux modèles en recevant des dons tout en signant un accord commercial pour l'achat des doses du vaccin chinois.
Commentant l'orientation chinoise et indienne dans ce domaine, Huang a souligné que les deux pays « veulent montrer leur puissance douce (Soft Power) ainsi que leur prédisposition à combler le vide laissé par les Etats-Unis en matière de leadership mondial ».
Il a ajouté que la « situation actuelle a offert à la Chine l'opportunité de montrer sa puissance technologique ».
Sur un autre plan, et alors que « l'efficacité du vaccin chinois soulève toujours des interrogations, les laboratoires pharmaceutiques qui ont fabriqué le vaccin ont réalisé effectivement des bénéfices ».
Huang a précisé, à ce propos, que l'Indonésie achète la dose à 25 USD, l'Ukraine à 17,5, le Brésil à 10, la Turquie à 13, ce qui représente des bénéfices nets supérieurs à 3 milliards de dollars.
La compagnie chinoise « Sinovac Biothec » a accordé une licence à la compagnie gouvernementale indonésienne « PT Bio Farma » pour produire mensuellement 2,5 millions de doses du vaccin chinois.
Intérêt chinois au Sud-est asiatique
Au sujet de la focalisation de Pékin sur le sud-est asiatique, l’expert a relevé que l'objectif consiste à « réduire l’hostilité des pays de la région à l’endroit de Pékin s’agissant des conflits territoriaux et maritimes ainsi qu’à consolider leurs relations diplomatiques pour faciliter le parachèvement de l'initiative de "la Ceinture et la Route", stratégie du gouvernement chinois pour développer l'infrastructure mondiale ».
Cela dit, il semble que l'Inde et la Chine n'ont pas réalisé de progrès immédiats en recourant à la diplomatie du vaccin pour obtenir des objectifs politiques, au moment où elles sont parvenues à traiter la question de la disponibilité du vaccin au niveau mondial.
En contrepartie, les pays riches, qui représentent 14% seulement de la population mondiale, ont fait l'acquisition de 53% de tous les vaccins disponibles actuellement.
Selon une recherche effectuée par un Centre américain spécialisé dans la santé et l’innovation, il se trouve que les pays à revenu élevé disposent présentement de 4,2 milliards de doses de vaccins anti-Covid, tandis que les pays à faible et à moyen revenus n’en possèdent que de 670 millions.
Le retrait américain
Le retrait américain de la compétition dans le domaine de la production mondiale des vaccins anti-Covid, en raison d'une forte demande locale, a contribué à créer une vacance qui a généré une concurrence ardue entre Pékin et New Delhi.
Un chercheur dans les affaires du Sud-est asiatique au Centre américain de Stimson a relevé que « l’Inde faisait face par le passé à une difficulté pour concurrencer la chine en matière de projets et de méga-investissements pour développer l'infrastructure en raison de ses ressources limitées, mais au vu de sa capacité à fabriquer les vaccins, elle est devenue désormais apte à concurrencer la Chine et à prétendre au leadership mondial ».
Cependant, a-t-il nuancé, et au vu de sa capacité à fabriquer les vaccins, elle est devenue actuellement capable de concurrencer la Chine et de prétendre à un leadership mondial en la matière.
En contrepartie, il a estimé que la distribution de doses de vaccin à des pays étrangers est considérée comme étant « un moment de victoire et de démonstration de la puissance douce indienne ».
En dépit de sa générosité en matière de diplomatie du vaccin, l’Inde a privé, étant donné sa position, de nombreux de ses ressortissants des premières doses fabriquées localement.
Quelque 17 mille personnes sont contaminées quotidiennement par le virus en Inde, et plus de 100 personnes décèdent chaque jour des suites de la pandémie.
A son tour, Robert Orris Blake, ancien ambassadeur américain en Indonésie, a expliqué la suprématie indienne en matière de production de vaccins par « la déclaration faite par les Etats-Unis stipulant qu'ils ne produiront pas de vaccins pour le monde en raison de la forte demande locale ».
Il a ajouté que l'Inde occupe désormais « une place singulière » en la matière.
Les experts sont unanimes dans ce cadre à ce que la pandémie de la Covid-19 a représenté un « point de transformation » qui a mis fin au monopole détenu par les Etats-Unis de la technologie et du leadership mondiaux.
Nombre d'observateurs reconnaissent que la Chine a comblé le vide laissé par les Etats-Unis, mais appréhendent que Pékin envisage de recourir prochainement à la diplomatie de la « Soft Power » pour mettre en place un nouveau système géopolitique mondial à même de satisfaire ses intérêts propres.
Source : AA