La guerre en Ukraine oblige l’UE à des avancées vers une Europe plus forte, plus autonome. Pourtant, Paris et Berlin semblent en retrait alors qu’ils ont, comme souvent, un rôle moteur à jouer.
C’est un paradoxe, tant au regard de l’histoire que de l’actualité européennes. L’Allemagne et la France, alors qu’est célébré l’anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, qui marque aussi le début de leur réconciliation, semblent relativement en retrait à propos de l’agression russe en Ukraine. A la différence de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ou du premier ministre britannique, Boris Johnson, ni le chancelier Olaf Scholz ni Emmanuel Macron n’ont fait le voyage à Kiev. Cette réserve apparente est frappante si on la compare à l’engagement qui fut celui d’Angela Merkel et de François Hollande en 2015, au début de la guerre du Donbass.
Tout se passe comme si les deux pays avaient été pris à contre-pied par un conflit dont ils n’avaient pas même prévu le déclenchement, encore moins l’ampleur et les conséquences. Berlin vit cette actualité comme une remise en cause brutale de son modèle économique, de ses choix énergétiques, de sa politique d’ouverture à l’égard de Vladimir Poutine et de son pacifisme.
A Paris, le conflit remet en cause frontalement le pari d’Emmanuel Macron de tendre la main au président russe, une approche destinée à tenter d’ancrer la Russie à l’Europe. Occupés chacun à gérer les conséquences économiques, énergétiques et sociales de la guerre, ainsi que le défi qu’elle pose brutalement en termes de défense, les dirigeants allemand et français n’exercent pas, sur ce dossier, le leadership que l’on pourrait attendre d’eux.
Pourtant, il y a six mois, le contrat de la coalition « feu tricolore » d’Olaf Scholz, qui allie les sociaux-démocrates, les écologistes et les libéraux, affichait des convergences inédites avec Paris. En faisant de l’intégration européenne une priorité, en reprenant le concept d’« autonomie stratégique » pour l’Europe, en reconnaissant la nécessité d’une politique industrielle commune, l’Allemagne semblait enfin répondre positivement au discours de la Sorbonne de M. Macron qu’Angela Merkel, en 2017, avait laissé sans réponse.
Crise inédite
Mais, depuis cette entrée en matière prometteuse, il n’est pas facile de saisir ce que veut et pense M. Scholz. A l’affichage d’une ambition européenne claire en matière de sanctions, d’aide à l’Ukraine et de rupture avec les sources russes d’approvisionnement en énergie répond une grande discrétion du chancelier. Ce dernier se trouve, il est vrai, devant une série de remises en cause fondamentales, y compris à propos du rapport de l’Allemagne avec la guerre et avec la mondialisation. Des choix qu’il a commencé à opérer, notamment en acceptant la livraison d’armes lourdes à l’Ukraine, mais que ne simplifie pas la gestion d’un gouvernement de coalition voué aux compromis.
Or la situation dans ce pays ne fait que rendre plus nécessaires que jamais des avancées vers une Europe plus forte, plus autonome. Dans le contexte d’une crise inédite, qui met en jeu non seulement les valeurs mais la sécurité de l’Union européenne, Paris et Berlin ont, comme souvent, un rôle moteur à jouer. L’adoption attendue, début juin, d’un fonds spécial de 100 milliards d’euros pour l’armée allemande, annoncé par M. Scholz trois jours après le début du conflit, devrait être l’occasion pour l’Allemagne de sortir de ses hésitations, en s’engageant à en consacrer une partie substantielle à des projets de défense européens. Dans ce domaine, comme dans celui de la relance économique, ou du mode de prise de décision dans l’Union, l’heure est venue de poser une série d’actes forts.