Liberté de la presse en Tunisie : Bras de fer entre les journalistes et la tentative de la mainmise sur le secteur

"Notre liberté dépend de la liberté de la presse, et elle ne saurait être limitée sans être perdue". Thomas Jefferson.

Proclamée le 3 mai en 1993 par l'Assemblée générale des Nations Unies, la Journée mondiale de la liberté de la presse, est célébrée en cette date aux quatre coins du monde pour sensibiliser à l'importance de la liberté de la presse et rappeler l'impératif de respecter et de faire respecter le droit de la liberté d'expression.

En Tunisie, les journalistes, malgré les intimidations, les multiples agressions et violations, sont déterminés à déjouer toute tentative de mainmise sur leur secteur, et réclament le respect du principe de la liberté, des médias et du droit de l'action syndicale, tout en dénonçant la pratique de la politique d'impunité, pour faire hisser la presse tunisienne dégringolant sur la scène médiatique internationale.

La mainmise sur le travail journalistique

Le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) réitère abondamment son appel à l'acquis incontestable de la révolution tunisienne de 2011, la liberté de la presse et de l’information au respect des droits fondamentaux du secteur, inscrits dans la Constitution et dans tous les traités et chartes internationaux, soulignant la nécessité d'adopter le principe de participation et de dialogue pour toute décision relative au secteur.

Depuis la révolution de 2011, la liberté de la presse a commencé à voir le jour en Tunisie, où le paysage médiatique s'est considérablement diversifié avec la naissance de certains médias et le développement d'autres, notamment les chaines télévisées, les radios et la presse électronique.

Dominés par des politiciens ou hommes d'affaires à intérêts politiques ou économiques, quelques organes de presse ont fait naître le pluralisme, phénomène contraignant l'indépendance et la liberté de la presse.

Outre ces facteurs, les journalistes tunisiens font face aux violations répétées du code d'éthique et de déontologie du métier, mais aussi aux multiples agressions policières sur terrain secouant le secteur malgré les condamnations du SNJT et plusieurs autres ONG internationales.

"Je considère que la situation des médias et de la presse à l'heure actuelle est difficile, étant donné que le secteur demeure mal organisé, malgré nos efforts déployés durant les dix ans, post-révolution", a déclaré Manel Mejri, journaliste à la radio dans une interview accordée à l'Agence Anadolu, en argumentant " l'accord-cadre qui a été conclu avec le gouvernement en faveur des journalistes depuis 2019 n'a pas été publié dans le Journal officiel de la République tunisienne".

La journaliste tunisienne a affirmé "le non-engagement du gouvernement a contribué à une détérioration significative des conditions de travail dans le secteur".

"Quant au climat des libertés, il a connu une régression avec les restrictions imposées à un certain nombre de confrères exerçant leur travail, notamment en poursuivant les journalistes au sens des chapitres des revues pénales au lieu d'appliquer les Décrets 115 et 116 à leur encontre", a-t-elle souligné.

La liberté de la presse et de l’information en Tunisie est garantie par la Constitution de 2014 et encadrée juridiquement par deux décrets-lois promulgués en 2011. Ce dispositif reste toutefois incomplet et n’assure qu’une faible protection aux journalistes.

Violations contre les journalistes... question d'impunité

De onze ans de carrière journalistique, le même âge que la révolution, se vante Khaoula Sliti, journaliste et présidente du syndicat à la radio privée Shems FM, qui regrette l'état actuel du secteur des médias et de la liberté de la presse, dans une déclaration accordée à l'Agence Anadolu "tout le monde s'accorde que la situation de la liberté de la presse en Tunisie a connu du recul particulièrement après le 25 juillet", avant de mettre en avant "la liberté de la presse qui s'associe à la liberté d'expression est un des acquis fondamentaux de la révolution tunisienne, cette révolution provoquée par les jeunes dont nous les journalistes, personnellement j'ai grandi dans un environnement où on consacre une grande importance à la liberté de la presse que nous avons tous défendue, qui fait face, malheureusement, à une menace imminente".

La Tunisienne met en exergue une des principales revendications exigées par les journalistes dans son pays "nous nous sommes exprimés à maintes reprises que ce soit via nos publications sur les réseaux sociaux ou à travers la position du SNJT, l'organe officiel qui nous représente, concernant notre droit à l'accès à l'information."

La journaliste précise "la circulaire numéro 19 qui restreint l'accès à l'information enfreint la liberté de la presse, aujourd'hui à cause de la politique de communication virtuelle adoptée intentionnellement par les structures officielle notamment la présidence de la République et la présidence du gouvernement, ont enfreint la liberté de la presse", avant de poursuivre en détails "la voix de la cheffe du gouvernement m'est inconnue, suite à son absence médiatique, le Président ne communique avec son peuple qu'à travers les vidéos, ce qui suscite notre intérêt à poser des questions et à avoir des explications".

"La présidence de la République et La présidence du gouvernement visent à faire du journaliste un récepteur passif sans pouvoir décortiquer l'information, demander des explications ou même poser de questions, nous exigeons par la suite le respect de notre travail journalistique" a mis en avant la syndicaliste.

En janvier dernier, Khaoula Sliti avait été, verbalement, agressée par le gouverneur de Ben Arous qui avait adopté un discours de diffamation alors qu'elle couvrait une visite de terrain effectuée par le ministre de la Jeunesse et des Sports et l’ambassadeur de la Chine en Tunisie pour prendre connaissance de l’état d’avancement du projet du complexe culturel et sportif à Ben Arous.

Lors de cet interview avec l'Agence Anadolu, Sliti revient sur l'incident en commentant "censée nous protéger légitiment, l'autorité, aujourd'hui, est auteur de violation, ce qui m'est arrivé avec le gouverneur de Ben Arous est un exemple concret, alors que je lui ai juste rapporté certaines critiques de la part des citoyens dans le cadre du respect de la déontologie du métier et en tout professionnalisme, j'ai été agressée et on m'a accusé de vouloir diviser les Tunisiens, d’être commanditée par un groupe politique, de toucher quelques dinars comme il avait dit en contrepartie de ma mission".

De ce fait, la journaliste avait déposé, le 3 février dernier, une plainte par l'intermédiation de l’avocat du Syndicat National des Journalistes Tunisiens, Ayoub Ghedamsi, "j'ai insisté à déposer une plainte parce que défendre le droit de la liberté de la presse est un devoir, et pour exiger le respect de mon droit en tant que journaliste, je me suis dirigé alors vers la justice à travers l'avocat du SNJT". Cependant, elle a été surprise que sa plainte déposée à l’encontre du gouverneur de Ben Arous, avait disparu.

Khaoula Slitia précise que le tribunal de Ben Arous a assuré à son avocat que la plainte a été transférée à la brigade de la garde nationale à El Aouina. Autorité, ayant nié avoir reçu tout document concernant l'affaire.

S’agissant du sort de sa plainte, Khaoula Sliti a regretté "ça m'a profondément touché de poursuivre les violations à mon encontre en me privant également de mon droit d’accès à la justice, je vais tenir bon et je ne céderai pas face à l'impunité, nous devons tous d'ailleurs résister et ne pas croiser les bras face à ce genre de pratique pour préserver la dignité des journalistes".

Au classement mondial...la Tunisie dégringole

"La liberté d’information est le fondement de toute démocratie" est la devise des "Reporters Sans Frontière", l'Organisation non-gouvernementale assurant la promotion et la défense de la liberté d'informer et d'être informé à travers le monde.

Dans son rapport annuel, l'ONG classe les pays par couleur sur la carte mondiale de la liberté de la presse, où la bonne situation est en vert, en jaune, la situation est plutôt bonne. Les Etats marqués en rouge sont ceux dans lesquels le journalisme est dans une “situation difficile”, voire “très grave”, tandis qu'aux nations classées dans la zone orange, l'exercice de la profession journalistique est considéré comme "problématiques".

Classée dans la zone orange, la presse tunisienne, en occupant la 94e position a dégringolé en 2022 de 21 rang par rapport à l'année précédente où elle a connu son premier recul depuis la révolution survenue en 2011.

Pour la sixième année consécutive, la Norvège règne toujours sur le royaume de la liberté de la presse.

Source : AA

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