Le duel Macron - Le Pen, disons-le de go, n'a pas volé haut, hier. Il a même frôlé la platitude, sur certains sujets, tant l'essentiel a été noyé dans des généralités, les deux protagonistes manquant, pour le moins, d'arguments convaincants et de force de persuasion. Nous y reviendrons.
Un challenge décisif
Bien avant l'avènement de l'Internet et davantage que la radio, les journaux, les meetings qui ne réunissent que les partisans et les sympathisants acquis, les déplacements dans les régions ou les affiches placardées ci-et-là, ce sont les passages à la télévision qui ont eu le plus d'efficacité, quand il s'agissait de "vendre" son image et, surtout, son produit. Les programmes des candidats aux échéances électorales, particulièrement à la présidentielle, en faisaient partie.
C'est pourquoi, plus le petit écran se démocratisait et envahissait les foyers, plus il était couru par les politiques, quitte à se créer la confusion, parfois la lassitude, de par le nombre de ces derniers et des programmes auxquels ils étaient invités et, souvent, de par la similitude des propos et des approches proposés.
Et vint le tournant de 1974 où, pour la première fois, la gauche était au seuil de l'Elysée, avec un François Mitterrand triomphal au premier tour (43,25% des voix), loin devant son adversaire de droite au deuxième tour, Valéry Giscard D'Estaing (32,60%).
L'idée d'un face à face télévisé, prometteur en audimat, entre ces deux carrures, prit forme. Le taux d'audience dépassa toutes les prévisions et Mitterrand, le super favori, mal préparé, y laissa des plumes. Au flegmatique D'Estaing qui se prévalait de représenter la continuité de l'œuvre du Général Charles De Gaulle, il commettra, en effet, l'erreur fatale de se livrer à un monologue de trois minutes où il descend en flammes le gaullisme.
Perspicace et se sachant gagnant au change, son adversaire le laisse s'enfoncer, sans l'interrompre une seule fois. Neuf jours plus tard, le challenger gagne, sur le fil certes, mais contre toute attente, le scrutin. De ses 32,60% des voix, il est passé à 50,81%.
Ce revirement rocambolesque entraînera une prise de conscience de l'importance de ce rendez-vous, qui allait devenir une tradition républicaine de laquelle dépendra, dans une large mesure, l'octroi de la magistrature suprême.
Et si Giscard d'Estaing a enlevé plus de 18 points, des candidats suivants en ont gagné plus que trente, excepté le raz-de-marée de Jacques Chirac face à Jean Marie Le Pen, en 1992.
En tout cas, Mitterrand retiendra la leçon, désormais conscient qu'une phrase déplacée ou qui donne l'occasion à l'adversaire de placer une réplique cinglante, peut marquer les esprits et décider hésitants et abstentionnistes.
Aussi, mieux aguerri et préparé à bloc, a-t-il pris sa revanche, sept ans plus tard, en surclassant le même D'Estaing, dans un nouveau duel télévisé qui lui a permis de devenir le premier président de la 5ème République française. Il était pourtant bien distancé au premier tour (25,85% contre 28,31).
Préparation et phrases cultes
En "force tranquille", il a retenu l'attention par sa calme fermeté, sa stature et son sens de la répartie, quand traité par son rival d'"homme du passé", il lui a rétorqué : "...vous êtes celui du passif"...
Une fléchette, sans aucun doute, préparée à l'avance et qu'il fallait juste lancer au moment où le vis à vis lui en donnerait l'occasion. Le socialiste prenait sa revanche sur "vous n'avez pas le monopole du cœur, M. Mitterrand" que lui avait lancé D'Estaing, en 1974, quand il a abondé dans la dénonciation des inégalités et que chacun "de cœur" ne pouvait accepter. Une phrase devenue culte.
Ce débat télévisé se transformait en combat de boxe où tout est préalablement étudié, l'attaque, la défense, l'esquive, le retrait, le regard, les silences, les points faibles...
Les conseillers, en toutes spécialités, deviennent coachs... le présidentiable poulain. Cela est d'autant possible que le face à face est codifié à l'avance et que tout est négocié en amont, entre les responsables de la diffusion et les équipes des deux candidats ; du choix des présentateurs, du réalisateur et des angles de caméra, jusqu'aux thèmes et... la température du studio.
Et quand le gong est donné, c'est à qui s'est mieux préparé qui applique davantage les consignes apprises et qui trouve l'inspiration de la bonne contre-attaque, quand l'adversaire se croit en position de force. Jacques Chirac le découvrira, à ses dépens, en 1988.
En Effet, fort d'une débandade législative, en 1986, des socialistes, acculés à une cohabitation des plus difficiles, il a voulu rattraper son retard du premier tour, en démystifiant le statut de Mitterrand, en tant que président, surtout que ce dernier ne cessait de s'adresser à lui, d'une manière presque condescendante, par "monsieur le Premier ministre".
Il lui a ainsi rappelé : "ce soir, je ne suis pas le Premier ministre et vous n'êtes pas le président de la République; nous sommes deux candidats. Vous me permettrez alors de vous appeler M. Mitterrand?" Chirac se verra remis à sa place par une réplique foudroyante, le sourire poliment narquois en prime, "Mais vous avez tout à fait raison... Monsieur le Premier ministre".
Etourdi, Jacques Chirac n'allait pas s'en remettre et au "vieux renard" de dérouler...
Moins brillantes mais marquantes et, quelque part, décisives furent, également, les réponses de Sarkozy à Ségolène Royal, en 2007, qui lui jetait, toute rouge de colère, qu'il avait atteint le summum de l'immortalité politique : "Pour être Président, il faut être calme", tout comme celle qu'il subira lui-même, cinq ans après, de la part de François Hollande : "Votre normalité n'est pas à la hauteur des enjeux", en réplique à sa phrase malencontreuse "Je veux être un président normal".
Et ça a joué contre lui... Parce qu'il n'a pas su trouver les mots justes, quand l'exemplarité a été abordée et ses déboires sous-entendus. Hollande l'avait emporté.
Duel Macron - Le Pen
Pour en revenir au face à face télévisé d'hier entre le président sortant, Emmanuel Macron et la représentante du Rassemblement national, Marine Le Pen, notons que le taux d'audience a été des plus faibles, depuis 1974.
Cela tient du "passif" des deux candidats, ainsi que du désintérêt de la politique, désormais clairement manifesté par une bonne partie des Français, surtout après la crise du coronavirus.
En tout cas, les "absents" n'avaient, pour une fois, pas eu tort. Presque fade, sans surprises, ni faits saillants, encore moins d'envolées lyriques, le débat a été marqué par l'attitude condescendante et quasi-professorale de Macron, face à une Le Pen, souvent brouillonne, y compris sur les sujets où elle aurait pu le déranger et qui constituent la volonté de son électorat (sécurité, immigration, pouvoir d'achat, gestion de la pandémie, santé...).
Manquant d'arguments bien exprimés, elle paraissait hésitante, comme sur la défensive.
Elle avait sûrement à l'esprit son saut des deux jambes dans la "trappe" que lui avaient préparée, en 2017, les conseillers de Macron, en "fuitant" la soi-disant indiscrétion, selon laquelle il quitterait le plateau si elle se montrait trop agressive.
Croyant l'écraser et le faire "fuir", elle a asséné les coups à gauche et à droite, en furie, jusqu'à perdre le fil et le contrôle, face à un "jeunot", toujours calme, serein... respectueux.
Mais hier, elle a trop laissé venir, subissant de "gentilles" remontrances, pas brillantes d'ailleurs, qui l'ont déstabilisée.
Au point qu'à la raillerie de Macron "on est plus discipliné qu'à la dernière fois", elle tombe dans le piège et réplique : "oui c'est vrai. On voit qu'on a vieilli, en fait".
Impitoyable et sur un ton innocent, il enfonce le clou : "Vous, ça ne se voit pas. Moi, j'ai peur que ça ne se voie beaucoup".
Et ce ne sera pas le seul clou, puisqu'il va évoquer le prêt que son parti a contracté d'une banque russe proche du pouvoir, ce qui jette une ombre sur "la souveraineté de la France que vous dites vouloir défendre", lui assènera-t-il.
Cela après que sur le plan économique, il s'en soit sorti, face à la faiblesse de l'argumentation de son interlocutrice qui en est encore aux BA BA du secteur, du moins d'après ce qu'elle a montré. Il tournera même à son propre avantage son projet d'interdire le "hijab", en démontrant qu'elle fait l'amalgame entre Islam et intégrisme, ce qui est "contraire à la liberté et à la Constitution", lui rappellera-t-il.
Point étonnant que le Républicain Gilles Platret ait résumé le duel en "suffisance contre incompétence".
Quant à Mélenchon, le troisième du premier tour, il a regretté : "quel gâchis... Le pays méritait mieux".
C'est dire que Macron a remporté le débat sans gloire, sa rivale ne s'étant pas battue ou plutôt n'ayant pas les moyens de se battre.
Aussi est-ce logiquement et sauf "accident de l'histoire", que Macron se dirige vers un deuxième quinquennat, mais sans vrais lauriers de vainqueur. Nous croyons que les imminentes législatives le démontreront.!
Source : AA