Nombreuses sont les photos et les vidéos dépeignant la crise migratoire, qui ont provoqué un retentissement mondial et des cris d’indignation de toutes parts, mais qui n’ont jamais suscité une réaction concrète.
Les évacuations manu militari des campements de migrants à Paris et à Calais en France, d’Idomeni à la frontière gréco-macédonienne, les innombrables naufrages de migrants en Méditerranée, ou encore la photo du petit Syrien de 3 ans, Aylan Kurdi, retrouvé mort noyé sur une plage de Bodrum en Turquie, avaient notoirement suscité la controverse chez l’opinion publique mondiale.
Pour ce qui est des politiques, ces images choquantes, lourdes de leur cortège de symboles, n’ont jamais sonné comme une prise de conscience de la crise migratoire qui se jouait aux portes de l'Europe.
Activistes, personnages publiques, politiciens, associations et organisations ont fustigé le traitement à la fois politique et médiatique de la guerre en Ukraine et l’accueil à bras ouverts des réfugiés ukrainiens contrairement à celui réservé aux migrants d'autres nationalités, dénonçant « une solidarité à géométrie variable », « une logique raciste » et « une politique de deux poids deux mesures» dans un monde inégalitaire et déchiré par les conflits.
« On ne parle pas là de Syriens qui fuient les bombardements du régime (…). On parle d’Européens qui partent dans leurs voitures qui ressemblent à nos voitures, et qui essayent juste de sauver leur vie », avait lancé un journaliste sur BFMTV le 24 février dernier. Le délit de faciès est plus que flagrant.
Deux poids deux mesures
L’élan de solidarité envers les Ukrainiens fuyant la guerre dans leur pays et les sursauts d’héroïsme de certains dirigeants politiques européens, couplés de beaux discours de générosité, ont de nouveau plongé l’Europe dans l’aporie face à la gestion de la crise des réfugiés.
Lors du retour des Taliban au pouvoir en Afghanistan, le Président français, Emmanuel Macron, avait insisté sur la nécessité de « se protéger contre les flux migratoires irréguliers importants » en provenance de ce pays. En revanche, dans le contexte de la crise ukrainienne, le chef de l’Etat français avait appelé à une mobilisation collective pour assurer un bon accueil aux réfugiés ukrainiens.
« Des centaines de milliers de réfugiés ukrainiens fuient le pays. Ils sont et seront accueillis au sein de notre Union. La France prendra sa part. À nos villes, à nos villages, à nos associations qui se mobilisent », a-t-il notamment twitté.
Les dispositifs d’accueil des réfugiés ukrainiens ont pris des formes différentes: train gratuit, logement à disposition, concerts caritatifs, collectes d’aides, et scolarisation immédiate et facilitée aux enfants.
La Commission européenne estime qu’il va falloir accueillir durablement 5 millions d’Ukrainiens fuyant l’opération militaire russe. Pour ce faire, l’Union européenne a même initié la création d’une protection temporaire destinée aux Ukrainiens, qui prévoit un droit au séjour d’un an, et qui peut être renouvelé par périodes de 6 mois durant 2 ans.
Alors qu’en temps normal, on mise à entraver l’accès des migrants non européens même à l’information juridique la plus élémentaire, ce qui bafoue leurs droits.
Plusieurs associations d’aide aux migrants ont critiqué la mise à l’écart des réfugiés non européens, souvent victimes de violences physiques et morales, avec des brimades ou des humiliations. A l’heure où les Ukrainiens, accueillis à Calais, profitaient d’hébergements d’urgence, les autres exilés survivaient dans des campements insalubres. L’association « Auberge des migrants » a, en ce sens, dénoncé une logique "raciste" et envisage de déposer plainte pour discrimination.
Dans une déclaration à l’Agence Anadolu, en marge de sa participation au Forum diplomatique d'Antalya 2022 en Turquie, le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères, Jean Asselborn, a rejeté la différence de traitement dans l’accueil des réfugiés ukrainiens et syriens, soulignant la nécessité de traiter tous les réfugiés sur un même pied d’égalité.
"Il est inacceptable de traiter les gens en Europe sur la base de leur couleur de peau, de leur langue ou de leur religion", a-t-il lancé.
Tri racial en temps de guerre
Aux frontières ukrainiennes, de nombreux Africains et Moyen-Orientaux pour la plupart étudiants, ont dénoncé le racisme dont ils ont fait l’objet au moment de tenter de quitter le pays. Tous racontaient un « tri sélectif », qui permettait aux femmes et aux enfants ukrainiens de quitter le pays, mais pas à eux, coincés devant la frontière.
Ce système de « tri racial » en temps de guerre a fait couler beaucoup d’encre, poussant les ambassades de plusieurs pays africains à se mobiliser pour assurer le rapatriement de leurs ressortissants, en exhortant les autorités des pays limitrophes de l’Ukraine à traiter les Africains « avec dignité ». Pour sa part, l'Union africaine (UA) s'est dite « particulièrement préoccupée » par ce système de filtrage. Elle a exhorté « tous les pays à respecter le droit international et à faire preuve de la même empathie et du même soutien envers toutes les personnes qui fuient la guerre, nonobstant leur identité raciale ».
Le Président sénégalais, Macky Sall, également président en exercice de l'UA, n’a pas mâché ses mots et a vivement dénoncé « l’application d’un traitement différent, inacceptable, choquant et raciste qui violerait le droit international ».
De son côté, le Président du Nigeria, Muhammadu Buhari, s’est outré du traitement réservé par les autorités ukrainiennes et polonaises aux ressortissants nigérians, condamnant les « rapports malheureux de la police ukrainienne et du personnel de sécurité refusant d'autoriser les Nigérians à monter à bord des bus et des trains en direction de la frontière entre l'Ukraine et la Pologne ».
Cette question lancinante de la gestion de la crise migratoire a non seulement mis à mal le système des valeurs humanistes mais est indigne des démocraties occidentales qui se veulent exemplaires. Ces dernières ne pourront plus se cacher derrière le rideau de fumée du devoir humanitaire, compte tenu de la violation régulière et fonctionnelle, sinon délibérée, des droits fondamentaux des migrants que les Etats occidentaux prétendent pourtant défendre. La crise des réfugiés ukrainiens a montré une fois de plus que les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde.
« Ce ne sont pas les réfugiés auxquels nous sommes habitués. Ce sont des Européens, des gens intelligents, éduqués, certains sont des programmeurs informatiques (…) Ce n’est pas la vague habituelle de réfugiés ayant un passé inconnu. Aucun pays européen n’a peur d’eux ». Cette phrase sans équivoque, lancée quelques jours après le déclenchement de la guerre en Ukraine, est celle du Premier ministre bulgare Kiril Petkov. L’Europe officielle ne s’en cache même plus.
Source : AA