La chambre des députés libyenne et l’Instance supérieure des élections ont échoué à organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue, soit le 24 décembre 2021.
Ce report a eu lieu bien que les deux institutions s’étaient accaparées les dimensions législatives et exécutives inhérentes au vote, en plus du Conseil supérieur de la Magistrature qui a accompli sa mission convenablement mais pas de la façon souhaitée par le Parlement et l’Instance, ce qui a avorté la tenue de l’élection.
La proposition de l’Instance supérieure des Elections portant report d'un mois de la présidentielle, soit au 24 janvier 2022, suscite des interrogations quant à la suffisance de ce laps de temps pour surmonter les écueils qui ont empêché le déroulement des élections à la date prévue initialement.
Trente-deux candidats à la présidentielle (pas parmi les plus connus) soutiennent l’organisation du scrutin, le 24 décembre prochain, comme date « définitive » et réclament de la Commission électorale de publier la liste des candidats.
En dépit du parachèvement des mesures techniques et de la fin de la phase des recours judiciaires, il n’en demeure pas moins que la chambre des députés est intervenue dans l’extra-time pour exercer des pressions sur l’Instance électorale et le Conseil supérieur de la Magistrature et réussi à entraver la tenue de l’élection sans pour autant faire l’objet de sanctions internationales.
Il convient de noter qu’après la phase des recours déposés auprès des tribunaux qui ont tranché, rien ne nous séparait du vote que l’annonce par l’Instance électorale de la liste des candidats, le 7 décembre dernier, en prélude au lancement de la campagne électorale qui devrait prendre fin le 23 du même mois, soit la veille du vote.
Afin de pouvoir répondre à la question portant sur la suffisance ou pas du délai de report d’un mois de l’élection, il serait judicieux de tenter de comprendre les véritables causes qui ont privé deux millions et demi d’électeurs libyens de choisir leur président avec liberté et transparence, et ce pour la première fois depuis l’indépendance de la Libye, le 24 décembre 1951.
Cette situation suscite la confusion, d’autant plus que certains observateurs évoquent un report de trois mois alors d’autres parlent de six mois, et une troisième partie prédit une sixième phase transitoire longue de douze mois.
- Le délai d’un mois : insuffisant
La balle est désormais dans le camp de la chambre des députés après l’impossibilité de la tenue des élections en date du 24 décembre. L’instance législative a décidé, jeudi dernier, de mettre sur pied une Commission composée de dix membres avec comme pour mission d’élaborer une feuille de route des prochaines élections, en l’espace d’une semaine, pour la remettre à la présidence du Parlement.
En effet, la chambre des députés qui est présidée par le candidat à la Présidentielle Aguila Salah, monopolisera à nouveau la prérogative de l’élaboration de la feuille de route sans consultation du Haut Conseil d’Etat, sauf si la conseillère onusienne, Stéphanie Williams, exerce des pressions sur le Parlement pour faire respecter l’Accord politique et les résolutions du Conseil de sécurité relatives au consensus entre le Parlement et le Conseil d’Etat au sujet des principales décisions et lois.
Une tenue de l’élection d’ici un mois est plausible si la chambre des députés se contentera d’amender la loi relative à l’élection du président, de manière qui institue un troisième degré de recours au lieu des deux prévus actuellement (première instance et appel) et qu’ainsi, un recours contre la candidature de Seif al-Islam Kadhafi et de l’actuel Chef du gouvernement, Abdelhamid Dbeibeh, sera possible.
Si le camp de Aguila Salah a tranché la question de l'amendement de la composition des membres du Conseil supérieur de la Magistrature en décidant d’octroyer la présidence du Conseil au président du Département de l'inspection au lieu du président de la Haute Cour, ce subterfuge pourrait aboutir, en cas de succès, à empêcher Dbeibeh et Kadhafi de se porter candidats à la présidentielle.
Dans le cadre de ce scénario, qui est manipulé par Aguila Salah et le général à la retraite, Khalifa Haftar, avec l'approbation du candidat à la présidentielle, Fethi Bachagha, il serait possible de dire que le délai d'un mois est insuffisant pour la tenue de l’élection, à condition en plus que les parties hostiles à ce camp, toutes composantes confondues, ne s'y opposent pas, ce qui est peu probable.
Parmi les principales parties qui s'opposent à ce plan figurent Dbeibeh, Seif al-Islam Kadhafi, Khaled Méchri, président du Haut Conseil d'Etat, S’lah Badi, chef du régiment al-Soumoud (Résistance à Misrata) et plusieurs phalanges de l'ouest libyen qui sont unanimes à exprimer leur hostilité à la candidature de Haftar.
Des citoyens hostiles à Haftar et à Seif al-Islam Kadhafi avaient déjà observé un sit-in devant le siège de l'Instance électorale à Tripoli pour rejeter la candidature de ces deux personnalités.
Derrière ce groupe de citoyens, étaient présents plusieurs régiments armés qui se sont soulevés contre le régime de Mouammar Kadhafi en 2011 et qui avaient combattu les milices de Haftar depuis 2014. Ces groupes armés ont exprimé leur prédisposition à se mobiliser contre l'organisation des élections si Kadhafi et Haftar obtiendraient le feu vert leur permettant de se porter candidats.
- Les élections législatives en premier lieu
L’un des scénarios qui pourraient satisfaire la plupart des parties, dont le Haut Conseil d’Etat, consiste à ce que les élections législatives soient organisées en premier avant de tenir un referendum sur la Constitution et ensuite la présidentielle.
Méchri a proposé que les élections législatives se tiennent le 15 février prochain, ce qui constitue une date proche du 24 décembre. Il s’agit d’une date qui peut faire l’objet de consensus soit en termes de réduction ou de prorogation.
Cependant, le différend au sujet de ce scénario demeure la condition imposée par le Conseil d’Etat quant à la nécessité de parvenir à un consensus avec la chambre des députés au sujet de la Règle constitutionnelle et des lois électorales, autant de textes approuvés unilatéralement, et par moments sans l’approbation des députés.
Ce point de vue converge avec celui du Chef du gouvernement d’Union qui a indiqué que l’opération électorale nécessite en premier lieu une Constitution permanente ou une Règle constitutionnelle, puis des lois consensuelles, un gage d’un processus transparent, et en troisième lieu la garantie de l’acceptation des résultats.
Dbeibeh a relevé que l’absence de Règle constitutionnelle et de lois consensuelles est la « cause de l’échec de cette échéance maintenant ».
En cas d’approbation par la chambre des députés de ces deux dernières conditions, il serait impossible d’organiser les élections en l’espace d’un mois. Cela nécessitera un laps de temps de trois à six mois dans le meilleur de cas, au vu de précédentes élections.
Néanmoins, la chambre des députés rejette en bloc ce scénario qui la prive de l’opportunité de maîtriser « la création » du prochain président en octroyant cette prérogative au prochain parlement.
La chambre des députés a mentionné dans la loi électorale que le scrutin législatif se tient un mois après l’approbation des résultats de l’élection présidentielle.
Cette condition pourrait permettre à la Chambre des députés de se maintenir pendant un mois, voire plusieurs mois, ou des années encore, compte tenu de la difficulté d'approuver les résultats de l'élection présidentielle, si une personnalité controversée parvenait à remporter ce scrutin, à l'instar de Haftar.
Cette configuration reportera ainsi la tenue des élections législatives, ce qui sera de nature à prolonger le mandat de la Chambre des députés, qui a déjà dépassé la durée de sept ans, bien qu'une durée fixée à une année uniquement, ne peut être prorogée que par la voie d'un référendum populaire, ce qui n'avait pas eu lieu.
- Une sixième phase transitoire
Tous les scénarios portant sur le report d’un mois des élections ne sont pas possibles pour ne pas dire impossibles, dès lors que les raisons véritables incitant au report existent toujours, en raison du véto levé par plusieurs parties nationales voire internationales contre l’un des trois candidats, Seif al-Islam Kadhafi, Abdelhamid Dbeibeh et Khalifa Haftar.
Les parties hostiles à la candidature de Seif al-Islam Kadhafi sont les sympathisants de Haftar, les régiments de la région occidentale, les Etats-Unis et la Cour Pénale Internationale (CPI) qui réclame son extradition afin de tenir son procès pour les « crimes contre l’Humanité ».
Ecarter Seif al-Islam de la liste des candidats pourrait provoquer l’ire de ses sympathisants et soutiens, en particulier dans le sud du pays, de même qu’en Russie qui est présente sur le terrain en Libye via les éléments de la Compagnie sécuritaire Wagner. Moscou avait protesté, publiquement, contre l’exclusion par l’Instance électorale de Kadhafi avant qu’il ne soit relancé dans la course par la justice.
Par ailleurs, les parties qui sont hostiles à la candidature de Haftar sont le Haut Conseil d’Etat, les phalanges de Misrata et de l’Ouest libyen ainsi que les anciens rebelles, et à leur tête S’lah Badi. Ces protagonistes avaient menacé, à maintes reprises, de recourir à la force pour empêcher la tenue d’élections où Haftar sera candidat, ou encore pire, qu'il remportera.
Quant à Dbeibeh, sa candidature déplait à Haftar, à la présidence de la chambre des députés et à Fathi Bachagha, son principal candidat dans l’ouest libyen.
Au vu de la difficulté de reporter les élections sans résoudre les causes qui en empêchent la tenue, Haftar, Bachagha et Aguila Salah ont commencé à former une alliance, laquelle alliance pourrait les amener à contrôler et à partager le pouvoir.
Ce trio vise à écarter Dbeibeh en retirant leur confiance du Chef du gouvernement, puis en nommant une nouvelle personnalité pour lui succéder avant d’engager une sixième phase transitoire d’une durée de douze mois.
Toutefois, la conseillère onusienne Stéphanie Williams a bloqué la route à ce scénario, en mettant l’accent sur l’impératif de tenir des « élections présidentielle et législatives simultanées ».
Williams a rencontré, également, des membres du Forum du dialogue politique ce qui pourrait réactiver le rôle de cette instance, qui viendrait remplacer la chambre des députés, qui a géré les préparatifs à l’opération électorale de manière « catastrophique », ce qui a abouti au report de l’élection.
L’ambiance qui prévaut actuellement en Libye n’indique pas que des élections se tiendront prochainement, en particulier, après que le président de l’Instance électorale, Imed Essayeh, a décidé de dissoudre les commissions électorales, ce qui signifie que l’élection ne sera pas organisée le mois prochain, d’autant plus que plusieurs parties se mobilisent militairement aux abords de la capitale Tripoli.
Source : AA