Moins d’une semaine seulement nous sépare de la date, initialement prévue pour la tenue de l’élection présidentielle libyenne, et ce laps de temps est insuffisant pour l’organisation des campagnes électorales d’environ 80 candidats, ce qui confirme que le report du scrutin du 24 décembre est devenu désormais un fait accompli inéluctable.
Malgré l'écoulement des délais officiels de dépôt des recours, le 7 décembre courant, date qui devait correspondre au démarrage de la campagne électorale pour prendre fin le 23 du même mois, soit la veille du jour du vote, il n'en demeure pas moins que la Haute Commission électorale n'a pas encore annoncé, jusqu'à maintenant, la liste définitive des candidats.
- Pressions pour entraver l’élection
Les sympathisants de Aguila Salah, ancien président du Parlement, et le général à la retraite, Khalifa Haftar, ont été choqués par la capacité de l’actuel Chef du gouvernement d'Union, Abdelhamid Dbeibeh, et de Seif al-Islam Kadhafi, fils de l'ancien Guide libyen, à surmonter la phase des recours déposée auprès des Tribunaux de première instance et des Cours d'appel, et à parvenir à la ligne de départ de la course à la présidence.
Il est indéniable que les candidatures de Dbeibeh et de Seif al-Islam réduiront, grandement, les chances de Aguila et de Haftar de remporter l'élection et ce, malgré l'élaboration de la loi relative à ce scrutin sur mesure pour les adapter aux désidérata des deux hommes forts de l’est du pays, dans le but de priver Dbeibeh, en particulier, d'y prendre part.Toutefois, leur plan a échoué jusqu'à présent.
Ainsi, la présidence du Parlement et les députés loyaux à Aguila et à Haftar se sont mobilisés dans les coulisses et durant « l’extra-time » pour exercer des pressions sur la Commission électorale, dans le but de reporter l'annonce de la liste définitive des candidats.
La Commission électorale a obtempéré à cette pression et procédé à la publication d'un communiqué équivoque, où il est question, implicitement, de report des élections, voire du réexamen de certains noms qui ont réussi à surmonter l’ultime écueil des recours déposés auprès des Cours d'appel.
Dans le communiqué diffusé le 11 décembre courant, la Commission a indiqué qu’elle « adoptera certaines procédures judiciaires, en coordination avec le Conseil supérieur de la magistrature, et d’autres d’ordre juridique, en prenant attache avec la commission mise sur pied par la Chambre des députés, avant d’aller de l’avant sur la voie de la proclamation de la liste définitive des candidats ».
Selon Saad al-Akr, proche de Aguila Salah, le président de la Commission électorale, Imed Essayeh, a dévoilé, au cours de sa rencontre avec le vice-président du Parlement A’hmid Houma, avoir reçu des menaces ainsi que la demande d’ajout d’un nouveau recours au niveau du Parlement (troisième degré de recours) que devront surmonter les candidats.
Cela veut dire que le Parlement pourrait recourir à l’amendement de la loi électorale, ce qui permettra de créer un troisième degré de recours au lieu de la double juridiction actuelle (première instance et appel).
- Pressions sur la justice
La présidence du parlement et un groupe de députés qui lui sont loyaux ne se sont pas contentés de convoquer le président de la Commission électorale mais ils ont exercé des pressions sur le Conseil supérieur de la magistrature, pour réclamer la restructuration de cette institution.
La présidence du Parlement a tiré du tiroir une loi, dont personne n'avait entendu parler, que depuis seulement quelques jours.
Elle a indiqué qu'il s'agit de l'amendement de la loi, datant du 20 septembre 2019, lorsque Tripoli faisait face à une attaque sanguinaire, des plus violentes, lancée par les milices de Haftar, et qui étaient appuyées par des mercenaires étrangers.
A cette époque, la majorité des députés avaient renoncé à leur appui apporté à Aguila Salah et décidé de mettre sur pied un « Conseil parallèle » à Tripoli.
La loi « controversée » évoque la structure du Conseil supérieur de la magistrature en amendant la tête et la composition du Conseil. En vertu de cet amendement, la présidence du Conseil échoit au Directeur du département de l’Inspection judiciaire, avec comme dauphin le Procureur général.
La législation, actuellement en vigueur, énonce que le président de la Haute Cour est le président du Conseil supérieur de la magistrature, tandis que le Directeur du département de l'Inspection judiciaire est son adjoint.
Ce qu'il faut retenir est que la présidence du Parlement s'emploie, à travers cette « législation », à faire chuter le président de la Haute Cour, Mohammed Hafi, de la présidence du Conseil supérieur de la magistrature, après que ce dernier a autorisé la candidature de Dbeibeh et de Seif al-Islam.
Le plus étonnant est que le président du Parlement intérimaire, Fawzi Nouiri, a nié être au courant de la promulgation d'un tel texte, destiné à restructurer le Conseil supérieur de la magistrature.
Dans une déclaration faite au site « Œil de la Libye », Hafi a souligné qu'il « n'a pas reçu officiellement de décision de la Chambre des députés pour notifier la restructuration du Conseil supérieur de la magistrature ».
Ainsi, c'est un groupe de députés proches de Haftar, dont le nombre n'a pas dépassé au cours de la première réunion les 29 (sur un total de 170), qui gère l'opération visant à entraver le déroulement de l'élection.
Pour éviter de ne pas atteindre le quorum requis pour conférer la légalité à leur décision, ces députés ont recouru à la formation d'une commission pour contacter la Commission électorale et le Conseil de la magistrature.
Leur but consiste à exercer des pressions sur ces deux instances pour reporter l'élection, jusqu'à l'identification d'une formule juridique pour écarter Kadhafi et Dbeibeh de la course à la présidence et pour ouvrir, grande la voie, à Haftar pour remporter l’élection.
Bien que les décisions de la justice soient des verdicts définitifs après les recours déposés par nombre de candidats auprès du Tribunaux de première instance puis auprès des Cours d'appel, il n'en demeure pas moins que la tentative des députés loyaux à Haftar de déposer le président du Conseil supérieur de la magistrature, quelques jours avant la tenue l'élection du 24 décembre, a été considérée par plusieurs parties comme une tentative de politisation de la justice.
Parmi ces partie figure la conseillère spéciale du Secrétaire général de l’ONU en charge de la Libye, Stéphanie Williams, qui a adressé une mise en garde aux milices de Haftar et aux députés qui menacent les juges et les institutions judiciaires.
Williams a, durant son entrevue avec le président du Conseil supérieur de la magistrature, au siège de la Cour supérieure à Tripoli, indiqué que « les Nations unies ne tolèreront aucune intimidation ou agression des juges et des services publics de la justice dans le pays ».
Khaled Mechri, président du Haut Conseil d'Etat (législatif consultatif), a, pour sa part, souligné que l'ornière à laquelle fait face le processus électoral est causée par « les législations instituées par la présidence du Parlement et le Conseil supérieur de la magistrature, qui a publié des motions contraires aux lois régissant l'action du Conseil ».
L'ambiguïté qui entoure le destin des élections du 24 décembre prochain met les Libyens aux prises avec plusieurs scénarios.
Le premier consiste à reporter la date des élections de plusieurs jours, tout en publiant la liste des candidats conformément aux jugements définitifs rendus par la justice.
Le deuxième scénario consiste à reporter, de deux ou de trois mois, le scrutin pour amender à nouveau la loi électorale et instituer un troisième degré de juridiction, en prélude à la disqualification de Kadhafi et de Dbeibeh.
Le troisième scénario, le pire d'ailleurs, consiste en un effondrement du processus électoral et en la chute du gouvernement d'Union, le 24 décembre, sur fond, entre autres, des menaces martelées par plusieurs parties, ce qui aboutirait au retour du pays à la case départ.
Source : AA