Ce ne sont pas les différences idéologiques, ethniques ou sectaires qui séparent et distinguent les candidats libyens à la prochaine présidentielle mais c’est plutôt la position à l’endroit de la Révolution qui avait fait chuter le régime de Mouammar Kadhafi en 2011, qui représente le principal critère qui détermine l’appartenance politique des candidats.
Sur la base de ce critère, les candidats peuvent être partagés entre trois principales familles : les candidats de la Révolution, les candidats du régime et les candidats de la contre-révolution.
Si Seif al-Islam Kadhafi est celui qui mène le bal des candidats de l’ancien régime, c’est le général à la retraite, Khalifa Haftar, chef des milices de l’est, qui est le parrain de la contre-révolution qui tente de priver le peuple libyen de son droit de sortir de l’ère du pouvoir personnel.
Demeure en suspens l'interrogation concernant le nom de la personnalité qui mènera le courant de la Révolution, qui a fait chuter le régime de Mouammar Kadhafi et qui s’emploie à réaliser les objectifs de cette Révolution, autour de laquelle se sont rassemblés les principaux courants, phalanges et régiments qui se sont soulevés contre le pouvoir d'un seul, et ce que ce soit à l'époque de Kadhafi ou durant la bataille lancée contre les ambitions démesurées de Haftar de s'emparer du pouvoir par la force militaire, pour rééditer et reproduire le même régime mais sous des facettes différentes.
La ville de Misrata (ouest) est considérée comme étant la gardienne du temple et de la révolution, en raison de sa résistance en 2011, d’autant plus qu’elle fût à l'origine, en grande partie, de l'effondrement du régime de Kadhafi.
De plus, l’intervention des phalanges et régiments de Misrata en 2014, puis en 2019, ont empêché les milices de Haftar et les mercenaires étrangers de prendre le contrôle de la capitale Tripoli.
Néanmoins, Misrata, ville de la Révolution, qui a résisté face au blocus en 2011, n'a pas fourni un seul candidat autour duquel adhéreront ses régiments et phalanges ainsi que les autres villes alliées.
En effet, sur les 80 candidats qui se sont engagés dans la course à la présidentielle, six au moins d'entre eux sont issus de Misrata, dont trois font partie des principaux candidats. Il s'agit de Abdelhamid Dbeibeh, de Fathi Bashagha et en degré moindre de Ahmed M’aitig.
- Quel choix pour Misrata, gardienne de la Révolution ?
Dans une entrevue avec l'une des personnalités proches des cercles de la décision à Tripoli, l'Agence Anadolu s'est interrogée sur le nom de la personnalité qui bénéficiera du soutien des notables, des jeunes et des phalanges de Misrata. S’agira-t-il de Dbeibeh, actuel Chef du gouvernement, ou de Bashagha, ancien ministre de l'Intérieur.
La réponse a été quelque part étrange. « Misrata est plus encline à soutenir celui qui est au pouvoir », dans une allusion faite à Dbeibeh.
Misrata représente l'un des principaux fondements et socles du pouvoir qui s'est formé à Tripoli depuis 2011, et plusieurs personnalités issues de cette ville ont occupé des postes de premier plan dans l'élaboration de la décision, à la faveur, entre autres, des effectifs de ses phalanges et régiments, qui sont les mieux armés et équipés dans la région occidentale du pays.
Citons dans ce cadre, Khalifa Ghouil, ministre de la Défense dans le gouvernement du Salut (2014 – 2015) puis Chef du gouvernement du Salut (2015 – 2017), Ahmed M’atig, vice-président du Conseil présidentiel du gouvernement de l'Entente (2016 – 2017) et Fathi Bachagha, ministre de l'Intérieur au sein du gouvernement de l'Entente (2018 – 2021),
Tous ces noms sont actuellement candidats à l'élection présidentielle, bien que leur popularité et leur influence ont baissé après qu'ils aient quitté le pouvoir.
La montée en puissance d'un nouveau nom, en l'occurrence, Dbeibeh, l’actuel Chef du gouvernement de l’Union, qui est appuyé par les hommes d'affaires de Misrata, suscite et bénéficie de l'intérêt des habitants de la région de l'ouest du pays, ainsi que de nombreuses villes et localités dans l'est et le sud de la Libye.
- Dbeibeh, candidat de la Révolution
Parmi les motifs qui incitent les forces de la Révolution à adhérer à Dbeibeh on peut citer le retranchement des sympathisants de la contre-révolution derrière Haftar et le regroupement des forces de l'ancien régime autour de Kadhafi fils.
L’éparpillement des voix des soutiens de la Révolution sur des dizaines de candidats pourrait fournir l'opportunité à Seif al-Islam Kadhafi et à Haftar de passer au second tour, après la défaite de l'ensemble des candidats soutenant la Révolution du 17 février dans la course à la présidence.
Ce scénario fait que Dbeibeh figure en tête des candidats bénéficiant de l'appui des sympathisants de la Révolution du 17 février, notamment, de Khaled Méchri, président du Haut Conseil d'État (parlementaire consultatif) et du Parti de la Justice et de l'Edification (d'obédience islamique).
Dbeibeh était parmi les soutiens à la Révolution et au soulèvement contre Kadhafi, bien qu'il occupât, du temps du Guide, le poste de Directeur général de la Compagnie libyenne pour le Développement et l'Investissement (Holding gouvernemental).
Il avait, également, soutenu l'armée libyenne pour faire face aux milices de Haftar, provoquant la colère des députés loyaux au général putschiste, qui ont placé Dbeibeh, en juin 2017, sur la liste des individus et des entités accusés de « terrorisme ».
Toutefois, Dbeibeh fait face à une concurrence acharnée, qui le met aux prises avec Bashagha, considéré comme étant l'un des symboles de la Révolution du 17 février.
Rappelons que Dbeibeh fut un porte-parole du Conseil militaire de la Révolution et un député de Misrata, avec une influence certaine sur quelques-unes de ses phalanges, telle que celle d'al-Mahjoub, d’al-Halbous et de 166.
Après la scission de Mohamed Sawwen (de Misrata) du Parti de la Justice et de l'Edification, qu'il présidait, et sa création du Parti démocratique, il a choisi de s'allier à Fathi Bashagha.
Le conflit entre Dbeibeh et Bashagha pour être le candidat unique ou du moins de premier plan de Révolution du 17 février sera probablement tranché en faveur du premier, si l'on se fie aux points de vue et aux positions exprimés par les Libyens sur les réseaux sociaux, et compte tenu des manifestants qui avaient investi plusieurs villes du pays pour soutenir Dbeibeh contre la décision de la Chambre des députés de Tobrouk, qui voulait retirer la confiance au Chef du gouvernement.
- Le secret de la popularité montante de Dbeibeh
Les décisions prises par Dbeibeh, en sa qualité de Chef de gouvernement, ont fait grimper rapidement et de manière inédite sa popularité, dans la mesure où il a axé son action sur l'économie et le développement dans les différentes villes et régions et focalisé l’attention sur la catégorie des jeunes et des fonctionnaires ainsi que sur la frange des retraités et des personnes démunies.
En effet, Dbeibeh a majoré les salaires des fonctionnaires et les pensions des retraités, libéré les émoluments gelés et réactivé les allocations familiales accordées aux épouses et aux enfants, de même qu’il a octroyé des prêts et des dons aux jeunes pour faciliter l'acquisition de logements ainsi que pour honorer les charges des mariages.
Le Chef du gouvernement a, par ailleurs, hâté la résolution de la crise d'électricité en dépit de sa complexité.
Dbeibeh a, également, visité plusieurs pays dans l'est, le sud et l'ouest du pays. Durant ses déplacements, il a prêté une écoute attentive aux problèmes soulevés par les chefs de municipalités et adopté une politique de communication de proximité, en s'approchant des citoyens et en écoutant leurs préoccupations. Il s’est adressé à eux en lançant : « Je ne vous décevrai pas ».
La rapide montée de la popularité de Dbeibeh a suscité l'inquiétude de la Chambre des députés de Tobrouk, qui s'est employée à semer sa voie d'embuches par tous les moyens, décidant entre autres de ne pas adopter le projet de loi de finances et de retirer la confiance de son gouvernement.
Toutefois, et contre toute attente, les décisions de la Chambre des députés prises à l'encontre de Dbeibeh ont provoqué un effet contraire, en augmentant la popularité de ce dernier et ont fait afficher le Parlement aux yeux de l’opinion publique comme étant une institution à l'origine des privations des citoyens des richesses pétrolières, au même moment où la corruption ronge les rouages de l’Etat et les richesses du peuple sont pillées.
Dbeibeh n'a pas obtempéré aux pressions exercées par Haftar, en évitant d'allouer les fonds réclamés par le général putschiste afin de financer ses milices, de même qu’il ne s’est pas rendu à son bureau à Benghazi, où il avait l'habitude de recevoir le Chef du gouvernement provisoire, Abdullah al-Théni, et le président de la Chambre des députés, Aguila Salah, qu'il considère comme étant ses subalternes.
Haftar a réagi en empêchant Dbeibeh de se réunir avec les ministres de son gouvernement à Benghazi et en incitant les parlementaires qui lui sont loyaux à ne pas approuver le projet de budget de l’Etat, tout en exhortant les ministres du gouvernement issus de la région orientale à quitter Tripoli en affichant la possibilité de former un gouvernement parallèle.
Toutefois, et malgré toutes ces pressions, Dbeibeh n’a cédé que de manière limitée et a conditionné une rencontre avec Haftar par la reconnaissance explicite de ce dernier de sa position de Chef de gouvernement.
Il convient de rappeler que bien que Haftar reconnaît officiellement le gouvernement de Dbeibeh, il refuse d’obtempérer aux décisions de Dbeibeh en tant que ministre de la Défense.
Dbeibeh s’est employé à ne pas aller dans la voie tracée par Haftar pour éviter de retourner à la case départ, celle du conflit armé, tout en mettant en garde à maintes reprises contre le partage du pays, mettant l’accent sur le fait que « la Libye ne retournera pas à la guerre ».
Parmi les réussites à mettre à l’actif de Dbeibeh figure la réouverture de la Route du littoral reliant l’est à l’ouest du pays, qui faisait office d’un Mur de Berlin qui partageait et séparait la Libye aussi bien politiquement que militairement entre les deux régions de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque.
Dbeibeh a rouvert les portes de la réconciliation aux sympathisants et soutiens de l’ancien régime et a levé le gel imposé aux fonds des symboles de ce régime. Il est même allé plus loin lorsqu’il a déclaré que la tribu des Ghededfah fait partie des tribus les plus respectées et que Seif al-Islam Kadhafi a le droit absolu de se porter candidat.
Ainsi, les positions de Dbeibeh à l'égard des protagonistes du conflit ne sont pas nihilistes ni extrémistes en dépit de son parti pris en faveur du camp de la Révolution, ce qui fait de lui l’un des candidats majeurs les plus acceptés même par ses adversaires ainsi que par la majorité des citoyens non-politisés ou apolitiques et qui cherchent de vivre en paix et dans la dignité.
Source : AA