La démission du Slovaque, Ian Kubic, du poste d'émissaire onusien pour la Libye, est entrée en vigueur le vendredi 10 décembre, ce qui laissera le poste vacant sur fond d’un différend au plan international au sujet du nom de la personnalité qui lui succédera, à deux semaines de la tenue de l’élection présidentielle.
Des médias arabes et occidentaux ont évoqué plusieurs noms pour remplacer Kubic, dont le diplomate britannique Nikholas Kay, le coordonnateur de la Mission onusienne en Libye, le Zimbabwéen Raisedon Zenenga ainsi que l’Américaine Stéphanie Williams, l’ancienne émissaire onusienne pour la Libye par intérim.
Le différend entre les parties internationales autour de la nomination d’un envoyé du Secrétaire général des Nations unies pour la Libye nous rappelle les péripéties qui avaient eu lieu au mois de mars 2020, lors de la démission du Libanais Ghassan Salamé de ce poste et lorsque le nom de son successeur n’avait été tranché que dix mois plus tard, bien que plusieurs noms aient circulé mais qui avaient tous été rejetés de la part d’une partie ou d’une autre.
Le même paysage est réédité actuellement après la démission de Kubic. La Libye dispose, cependant, de peu de temps pour pouvoir supporter de longs mois d’attente pour choisir un nouvel émissaire onusien, d’autant plus que le pays subit une crise politique tendue qui empêche d’aboutir sereinement à l’organisation d’élections décisives, qui aboutiront soit à mettre fin à la crise de la légalité et de la légitimité dans le pays ou qui l’enlisera dans un nouveau bourbier de violence dévastatrice.
Les Nations unies savent pertinemment, toutefois, que toute vacance à la tête de sa Mission en Libye générera des impacts négatifs sur le paysage libyen et la scission internationale au sujet de la personnalité qui succèdera à Kubic aggravera les divergences et la fragmentation des positions entre les différents acteurs et protagonistes politiques et militaires dans le pays.
C’est ce qui a incité le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU, Stéphane Dujarric, à préciser que « le Secrétaire général (Guterres) œuvre à trouver l’alternative appropriée. Nous saisissons complètement la date des élections et nous nous mobilisons au plus vite pour garantir la continuité du leadership ».
Dans une déclaration faite le 23 novembre dernier, Dujarric a souligné que « Kubic a précisé qu’il ne quittera pas aujourd’hui… Il est plus soucieux que toute autre personne de ne pas perturber, de quelque manière que ce soit, la mission ».
Kubic a présenté sa démission le 17 novembre écoulé au cours d’une intervention devant le Conseil de sécurité. Guterres a accepté cette démission en date du 23 du même mois et cet acte est entré en vigueur le vendredi 10 décembre.
- Washington, Moscou et le bloc africain
Trois principaux blocs se disputent la nomination d’un nouvel émissaire en Libye. Le premier est conduit par les Etats-Unis d’Amérique et compte en son sein leurs deux alliés, la France et le Royaume-Uni, deux membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que plusieurs pays européens. Ce bloc a rejeté avec force la nomination d’une personnalité africaine à ce poste et préfère que le nouvel émissaire soit européen ou américain.
Le deuxième bloc est piloté par la Russie et est appuyé par la Chine. Ce bloc s’est opposé, à maintes reprises, aux candidats européens présentés par Washington, ainsi qu’au prolongement du mandat de l’Américaine Williams, quand bien même à titre intérimaire, à la tête de la Mission onusienne. Moscou souhaite à l’opposé voir ce poste échoir à une personnalité arabe africaine.
Les positions de Moscou se rapprochent de ceux du bloc africain qui ne dispose d’aucun siège au Conseil de sécurité, mais compte par contre deux à trois sièges non-permanents (Le Niger et le Kenya représentent actuellement le bloc africain à côté de la Tunisie qui représente le bloc arabe).
Le bloc africain réclame que l’émissaire onusien pour la Libye soit issu du continent noir, d’autant plus qu’il s’agit d’un pays africain. Malgré cela, le bloc déplore qu’aucun des émissaires nommés jusqu’ici ne l’ont été, ce qu’elle considère comme étant une marginalisation dans l’un des dossiers qui le concerne de manière directe.
- Kay… le Britannique rejeté par la Russie
Le nom du diplomate britannique Kay, qui avait occupé auparavant le poste de représentant spécial des Nations unies en Somalie, fût évoqué depuis les premiers jours de la démission de Kubic. Il était attendu que Washington ne formule pas de réserves à son endroit comme elle l’avait fait s’agissant de plusieurs noms en 2020, mais le rejet a émané cette fois-ci de la Russie.
Selon la Revue américaine « Foreign Policy », qui se base sur deux sources diplomatiques, la Russie s’est fermement opposée à la nomination de Kay au poste d’émissaire onusien en Libye.
La revue a relevé que le rejet russe est intervenu dans le sillage de tensions en continu entre Moscou et Londres. La Russie avait interdit auparavant le renouvellement de nominations de plusieurs experts au sein des comités de sanctions des Nations unies.
Moscou s’oppose, selon la même source, à ce qu’elle considère comme étant un déploiement de citoyens britanniques, dont nombre d’entre eux détiennent une autre nationalité, et qui ont obtenu des fonctions influentes dans l’appareil onusien.
- Zenenga…un candidat africain sur les pas de Williams
Le Zimbabwéen Zenenga bénéficie d’un soutien africain pour succéder à Kubic, sur fond d’absence d’accord entre les membres du Conseil de sécurité au sujet de l’un des noms soumis pour diriger la Mission onusienne en Libye.
Occupant le poste de coordonnateur de la Mission, le Zimbabwéen est normalement la personnalité la plus proche pour succéder à Kubic, ne serait-ce que par intérim, à l’instar de Stéphanie Williams qui était auparavant l’adjointe de l’ex-émissaire onusien, le Libanais Ghassan Salamé et qui avait occupé ce poste par intérim, pendant une durée de 29 mois.
Étant donné que quelques jours ou semaines seulement nous séparent de la date des élections libyennes, Guterres, qui cherche une « alternative rapide » pourrait recourir à Zenenga, qui est considéré comme un choix provisoire jusqu’à surmonter la phase des élections, le temps de trouver un consensus concernant un autre candidat pour diriger la Mission onusienne.
Néanmoins, les Etats-Unis pourraient s’opposer à cette option comme ils l’avaient fait auparavant à l’endroit d’autres candidats africains en 2020, d’autant plus que Zenenga n’a, depuis sa désignation en janvier dernier au poste de coordonnateur de la Mission onusienne à Tripoli, présenté aucune solution majeure pouvant être considérée comme un plus pouvant être salué.
- Kubic pourrait s’autosuccéder
L’ornière multiforme à laquelle fait face le Secrétaire général de l’ONU pour choisir une alternative rapide à Kubic, doublée d’un possible effondrement du processus électoral en Libye pourrait l’inciter à demander le report de la démission du diplomate slovaque jusqu’après la tenue des élections, en contrepartie de la poursuite de ses fonctions à partir de Genève au lieu de se déplacer à Tripoli.
Kubic lui-même avait fait part de sa disposition de « poursuivre son action en tant qu’envoyé spécial, durant une phase transitoire, qui durera le temps de la tenue des élections, et qui garantirait la continuité et la permanence de la Mission.
Il a, pour cela, posé comme condition que « cette option soit applicable », dans une allusion faite à l’accomplissement de sa mission depuis Genève en Suisse au lieu de la capitale libyenne, Tripoli.
Kubic avait motivé sa démission, au cours de la réunion avec le Conseil de sécurité, par le « besoin d’une présence du chef de la Mission politique des Nations unies à Tripoli », ajoutant que sa démission a pour but de « baliser la voie pour réaliser cela ».
Au cas où le temps presserait Guterres et que les délais deviennent extrêmement serrés, d’autant plus que les différends internationaux saperaient ses plans pour la nomination d’un nouvel émissaire, le Secrétaire général de l’ONU devrait obtempérer à la condition de Kubic, celle d’officier à Genève au lieu de Tripoli, aux fins de sauver le processus des élections libyennes d’un éventuel effondrement.
- Williams achèvera-t-elle ce qu’elle avait entamé ?
Compte tenu du difficile consensus entre les membres du Conseil de sécurité pour nommer une personnalité dans les plus brefs délais, Guterres a recouru à une option intelligente. Le Secrétaire général a en effet nommé, lundi dernier, l’américaine Stéphanie Williams au poste de conseillère spéciale en Libye au lieu de la proposer au poste de cheffe de la Mission onusienne dans ce pays.
Guterres a recouru à ce choix pour « éviter un autre vote controversé et suscitant un débat au sein du Conseil de sécurité, selon l’article de « Foreign Policy » qui citait des diplomates proches du dossier.
En effet, Williams connaît très bien les détails du dossier libyen et c’est grâce à elle que les protagonistes libyens avaient signé un accord de cessez-le-feu en date du 23 octobre 2020 à Genève.
Elle avait également supervisé le choix du Forum de Dialogue politique en Tunisie qui avait élu ensuite les membres du Conseil présidentiel et le Chef du gouvernement d’Union nationale et arrêté la date des élections au 24 décembre courant.
Il n’était pas possible de nommer Williams au poste d’émissaire onusienne pour la Libye, dans la mesure où cette décision aurait essuyé un refus catégorique de Moscou, sur fond du conflit entre les blocs russe et américain au sein du Conseil de sécurité de l’ONU.
Moscou avait déjà capoté, en mars 2020, le plan initié par Guterres visant à officialiser la nomination de Williams en tant que représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU. Moscou s’était opposé au plan d’urgence de Guterres pour prolonger le mandat de la cheffe de mission onusienne par intérim.
Le retour de Williams, même avec le titre de conseillère spéciale de Guterres, lui permettra de régler certains détails qui ont échappé à Kubic et achever ce qu’elle avait commencé depuis le mois de mars 2020.
Quant au choix du nouvel émissaire onusien, il sera, probablement, laissé pour murir doucement à feu doux pendant plusieurs autres mois.
Source : AA