L’arrivée d'une équipe onusienne réduite à Syrte balise-t-elle la voie à l'envoi de forces de maintien de la paix en Libye?
L'arrivée d'une petite équipe d'observateurs onusiens dans la ville libyenne de Syrte (centre) pourrait signifier la possibilité d'envoyer des unités onusiennes de maintien de la paix dans cette zone pour faire respecter le cessez-le-feu entre Syrte et al-Jofra.
Cependant, cela demeure lié essentiellement au retrait des mercenaires de la compagnie russe « Wagner » de la zone et au non-recours de Moscou et de Paris au droit de veto, pour entraver la prise d’une résolution en la matière.
Le Conseil de sécurité ne s’oppose plus à l'envoi d'observateurs
Le 4 mars dernier, la Mission onusienne avait annoncé l'arrivée d'une « équipe avancée réduite » en Libye, dans le but de mettre sur pied un mécanisme de contrôle du cessez-le-feu, de collecter les informations réclamées par le Conseil de sécurité, ainsi que de soumettre un rapport au Secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres.
Le nombre des membres de l'équipe onusienne ne dépasse pas les 10 personnes. Et c’est sur la base des rapports que soumettra cette équipe au Conseil de sécurité que la question de la possibilité ou pas de dépêcher une plus grande équipe pour contrôler le cessez-le-feu, voire des unités de maintien de la paix, sera tranchée.
Dans une première depuis 2014, le Conseil de sécurité avait approuvé, le 4 février dernier, la requête de Guterres portant sur l'envoi d'une équipe onusienne pour surveiller le cessez-le-feu en Libye, requête déposée le 20 décembre dernier.
Le Conseil de sécurité a accordé à Guterres un délai de 45 jours (qui prend fin le 19 mars courant) pour soumettre son rapport au sujet de l'envoi d'une équipe onusienne chargée de contrôler le cessez-le-feu entre les forces gouvernementales légales et les milices du général putschiste Khalifa Haftar, au niveau des lignes de front entre Syrte (450 Km à l'est de Tripoli) et al-Jofra (300 Km au sud de Syrte).
Depuis le mois de juin 2020, les affrontements entre l'armée gouvernementale et les milices de Haftar ont pris fin, après que les milices ont été repoussées avant d'atteindre la capitale Tripoli et expulsées de l'ensemble de la zone occidentale du pays, à l'exception de Syrte.
Le 23 octobre dernier, la Commission mixte militaire « 5+5 », représentative des deux protagonistes du conflit, a conclu un accord de cessez-le-feu, encore en vigueur jusqu’à aujourd'hui, en dépit de sa violation à maintes reprises de manière sporadique par les milices de Haftar.
La Russie et la France avaient déjà entravé une requête de l'ancien émissaire onusien pour la Libye, Ghassan Salamé, qui avait demandé du Conseil l'envoi d'une équipe onusienne pour contrôler le cessez-le-feu en Libye.
La requête avait été déposée le 11 septembre 2019, soit en pleine campagne lancée par les milices de Haftar pour s’emparer de la capitale Tripoli (avril 2019 – juin 2020) avec un fort appui russe et français, un soutien de l'ancien président américain, Donald Trump, et de son conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton.
La Commission militaire mixte libyenne (5+5) a renouvelé la demande d'envoi d'une équipe onusienne pour contrôler le cessez-le-feu, en date du 9 novembre dernier, mais le Conseil de sécurité n'a pas répondu favorablement à cette requête.
Néanmoins, avec le changement de la donne sur le terrain et la résistance de l'accord de cessez-le-feu, l'envoi d'observateurs internationaux, voire de forces de maintien de la paix, est devenu une question qui n'est plus exclue, si la Russie, et en degré moindre la France, n’usent pas de leur droit de veto.
Wagner manœuvre et ne veut pas se retirer
L'accord de cessez-le-feu de Genève a prévu le départ des mercenaires et des forces étrangères de Syrte et d'al-Jofra, dans un délai de 90 jours, soit aux alentours du 23 janvier dernier, chose qui n'a pas été réalisée.
Même après les dernières informations évoquant le retrait de « Wagner » de l'aéroport et de la base aérienne d’al-Qardhabiya à Syrte et d'autres zones d’al-Jofra, des médias italiens et libyens ont rapporté que les mercenaires de « Wagner » sont toujours présents et déployés dans plusieurs zones de Syrte.
En effet, au cours des neuf derniers mois, « Wagner » a recouru aux mêmes méthodes de manœuvre et de redéploiement utilisées par l'armée russe en Syrie.
« Wagner » a retiré une partie de ses éléments à Syrte et à al-Jofra vers des bases arrière, pour faire croire qu'elle s'est vraiment retirée des zones en question, sous l’effet de pressions locales et intérieures, avant qu'il ne s'avère qu’elle contrôle toujours la région.
La groupe militaire russe n’est pas seulement une entreprise de mercenaires, mais représente aussi un outil aux mains du ministère russe de la Défense, dans le cadre de la stratégie d'élargissement d’influence de Moscou dans le monde, sous couvert de la « Guerre hybride ».
Le déploiement de forces internationales de maintien de la paix à Syrte est de nature à pousser « Wagner » à se retirer définitivement de la zone, sauf si la Russie se décidera d’entraver l'envoi de ces forces, en utilisant son veto au Conseil de sécurité.
Des Européens prêts mais hésitants
L'Union européenne (UE) est la partie la plus prédisposée à envoyer des observateurs ou des unités de maintien de la paix, compte tenu de l'importance stratégique que revêt la Libye, qu'il s'agisse de sa proximité des rives européennes ou de son rôle majeur dans l'approvisionnement du « Vieux continent » en énergie.
Le haut représentant de l'UE pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, avait soumis, auparavant, au mois de septembre dernier, un « Document stratégique » aux ministres de la Défense de l'UE, au cours d'une réunion informelle durant laquelle la question du déploiement de forces européennes en Libye avait été discutée. Il s'agit d’une force oscillant entre 5000 et 10 000 soldats.
Toutefois, certains ministres européens de la Défense ont rejeté et invalidé ce « Document » le qualifiant de « pure folie ». Les plus diplomates parmi les ministres avaient considéré que les « conditions idoines » n’étaient pas encore réunies pour la mise en œuvre de cette démarche.
Cependant, les conditions ayant poussé les ministres européens de la Défense à rejeter le « Document stratégique » ont grandement changé, en particulier avec l'accalmie sécuritaire qui prévaut en Libye et la demande formulée par les deux protagonistes du conflit d’envoyer des observateurs internationaux, parallèlement à la consolidation des relations de Washington avec l'UE après le départ de Trump.
Les entraves au déploiement d'observateurs européens
Il existe encore une série d'entraves et d'obstacles face au déploiement des forces européennes sous couverture onusienne en Libye, dès lors que la Russie est encore présente de tout son poids à Syrte et al-Jofra, à travers « Wagner » et les Européens ne souhaitent pas être confrontés à cette force.
De plus, la région séparant Syrte d’al-Jofra représente une vaste zone peu peuplée qui nécessite le déploiement d’effectifs en grand nombre pour espérer la contrôler. Ce facteur fera des forces qui seront déployées une cible des organisations terroristes ou encore d'éléments armés locaux voire de mercenaires étrangers qui n'auraient pas été payés.
Ajoutons à cela la menace encore persistante du virus de la covid-19, avec ses différents variants et ses vagues successives, malgré la découverte de plusieurs vaccins.
L'ensemble de ces facteurs aboutissent au fait que les Européens, et à leur tête l'Allemagne de Merkel, semblent hésitants et avancent dans ce dossier de manière prudente et progressive, bien que la France, qui soutient Haftar, ait échoué jusqu’à présent à inciter ses alliés européens à s'impliquer davantage dans ce dossier.
Un paysage mystérieux et des questions en suspens
Le paysage libyen est encore enveloppé de mystère et d'équivoque et la décision d'envoi de forces de maintien de la paix n'a pas encore mûri.
Le renoncement de la Russie à établir des bases aériennes permanentes en Libye ne sera pas sans tribut à payer et le retrait de « Wagner » de Syrte et d'al-Jofra ne sera pas chose facile.
Ajoutons à cela la mise en doute constante de l'étendue du succès des missions onusiennes de maintien de la paix dans plusieurs régions du monde, à l'instar du Mali, du Soudan, de la Somalie et du Liban, un phénomène qui pourrait être réédité en Libye.
En effet, l'envoi de forces de maintien de la paix dans ce pays implique la coopération de toutes les parties, en particulier les milices de Haftar et de Wagner, ainsi que la remise des cartes des champs de mines plantés dans la région reliant Syrte à al-Jofra, soit sur des centaines de kilomètres.
Les Libyens craignent, également, que la présence des forces de maintien de la paix ne consacre le partage du pays entre est et ouest et que la situation actuelle ne perdure, au cas où les tentatives de réunification des institutions de l'Etat échouent.
De même, certaines parties libyennes appréhendent que le déploiement des forces de maintien de la paix à Syrte, pour une longue période, ne la transforme en « une capitale provisoire » et ne contribue ainsi à la marginalisation du rôle de Tripoli, en tant que capitale historique de la Libye.
En effet, la délimitation du rôle des forces de maintien de la paix, de leur nombre, de leur zone de déploiement et de la durée de leur présence sont autant de questions qui méritent des réponses, afin de rassurer les Libyens que les observateurs internationaux feront partie de la solution et non pas du problème.
Source : AA