Les pays occidentaux craignent une nouvelle escalade du conflit dans l'est de l'Ukraine, après avoir constaté des mouvements militaires inhabituels de la Russie. Depuis 2014, les deux voisins accumulent les tensions, mais les opinions divergent quant aux intentions de Moscou.
Les membres de l'Otan ainsi que Kiev s'inquiètent d'une éventuelle offensive de la Russie en Ukraine, en raison d'un afflux de troupes russes à la frontière, ravivant les souvenirs de l'invasion de la Crimée en 2014. Sur fond de bras de fer entre la Russie et l'UE au sujet de la crise des migrants en Biélorussie , cette nouvelle démonstration de force du Kremlin fait craindre une énième escalade, voire un risque de conflit ouvert.
Quelle est l'origine des tensions entre la Russie et l'Ukraine ? Que reproche-t-on à la Russie et comment a-t-elle justifié ces mouvements de troupes ? Voici quelques éclaircissements.
1. Quelle est la situation actuelle en Ukraine ?
L'est de l'Ukraine est en proie depuis 2014 à une guerre civile entre des forces irrégulières pro russes établies dans la région du Donbass et le pouvoir central de Kiev. Ce conflit a déjà fait 13.000 morts malgré les accords de cessez-le-feu de Minsk, conclus en 2015. Ces accords ont fixé la ligne de contact entre les forces loyalistes et celles des Républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. L'Ukraine a perdu le contrôle de sa frontière avec la Russie ainsi que 3 % de son territoire. Depuis lors, les incidents armés sont réguliers sur la ligne de contact.
Moscou est accusé d'être partie prenante dans ce conflit en armant et finançant les forces irrégulières, voire en fournissant des combattants sans insignes. La Russie et l'Ukraine, toutes deux anciennes républiques soviétiques, sont aussi à couteaux tirés en raison de l'invasion expresse de la péninsule de Crimée, en 2014, suivie de son annexion par Moscou, que quasi-personne dans le monde n'a reconnu, hormis la Biélorussie depuis… lundi dernier.
2. Que reproche-t-on à la Russie ?
Mi-novembre, les Etats-Unis, suivis par l'Otan, ont exprimé des inquiétudes quant à une « activité militaire inhabituelle » de la part de la Russie aux abords de l'Ukraine pouvant préfigurer une invasion du pays, ce qu'a nié Moscou. Le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg, a évoqué mardi la présence de blindés, de drones et de « dizaines de milliers de soldats prêts au combat ». Selon le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken, « nous ne savons pas si le président Poutine a pris une décision sur l'invasion. Nous savons qu'il est en train de mettre en place la capacité de le faire rapidement, s'il le décide ».
Pour Tatiana Kastouéva-Jean, directrice du Centre Russie/NEI de l'Institut français des relations internationales (Ifri), les Ukrainiens ne se sont inquiétés que tardivement de ces manoeuvres militaires : « C'est seulement après être allé aux Etats-Unis que le ministre des Affaires étrangères ukrainien est revenu beaucoup plus alarmiste », juge la chercheuse. Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a évoqué le 26 novembre des « signaux très dangereux » de la part de Moscou. Le chef des renseignements ukrainiens, Kyrylo Boudanov, assure que la Russie a massé 92.000 soldats aux frontières de son pays et dit craindre une offensive fin janvier. L'OTAN a partagé avec Kiev des renseignements satellites selon lesquels le Kremlin a massé cent bataillons tactiques et des missiles Iskander à 240 km environ de la frontière orientale de l'Ukraine, ainsi qu'en Biélorussie et en Crimée.
Ce n'est toutefois pas la première fois que la Russie opère des manoeuvres d'envergure non loin de l'Ukraine, l'OTAN s'en était déjà alarmé en avril. « Ce qu'il y a de plus inquiétant par rapport à d'habitude, c'est l'échelle de la mobilisation militaire russe. Mais on reste un peu sur notre faim sur les données exactes et les interprétations continuent de diverger », analyse la chercheuse de l'Ifri.
3. La Russie risque-t-elle vraiment d'envahir son voisin ?
« Les lectures de ce qui se passe actuellement à la frontière russo-ukrainienne peuvent être très différentes : elles varient entre la démonstration de force russe pour faire pression sur le président Zelenski ainsi que ses partenaires occidentaux, et la crainte d'une véritable invasion de l'Ukraine », résume Tatiana Kastouéva-Jean. Toutefois, selon elle, une invasion de l'Ukraine ferait peser des risques « énormes » sur la Russie, des sanctions occidentales, mais aussi l'arrêt du projet de gazoduc Nord Stream 2.
Ces intimidations de Moscou serviraient surtout à dissuader l'OTAN de tout rapprochement avec l'Ukraine, dont l'adhésion éventuelle à l'Alliance serait un casus belli pour le Kremlin. « Vladimir Poutine voudrait que le paradigme des relations avec les Occidentaux change. Il voudrait que les sanctions soient levées et que les Occidentaux tiennent mieux compte des intérêts russes » souligne Tatiana Kastouéva-Jean.
4. Comment l'Ukraine et l'Alliance Atlantique ont-ils réagi ?
L'Otan et les Etats-Unis ne cessent de sonner l'alarme sur les projets de la Russie en Ukraine et tentent d'avertir Moscou des conséquences qu'aurait une invasion, même de faible ampleur. Le secrétaire général de l'Otan a assuré que les Alliés avaient « plusieurs options », c'est-à-dire des sanctions économiques ou politiques, faute de possibilités d'intervention militaire puisqu'une confrontation directe entre des soldats américains et russes est le tabou absolu depuis que les deux pays sont dotés d'armes nucléaires. Tabou respecté durant quarante ans de guerre froide.
Le président ukrainien a quant à lui estimé que la Russie cherchait un prétexte pour intervenir militairement dans son pays, lequel serait prêt à faire face. L'armée ukrainienne, approvisionnée en armements modernes par plusieurs pays occidentaux, dont les Etats-Unis, ainsi que la Turquie, est bien plus robuste qu'en 2014, où elle était dotée d'équipements vétustes et peu abondants. Le dirigeant ukrainien, qui souhaite des « négociations directes » avec Moscou, a tout de même demandé à l'Otan de préparer des sanctions dissuasives envers la Russie.
5. Comment la Russie a-t-elle justifié le mouvement de ses troupes ?
La Russie dément tout projet d'invasion, mais se dit obligée de procéder à des déploiements « préventifs » car Kiev fomenterait une reconquête du Donbass où vivent 600.000 citoyens ukrainiens dotés ces dernières années d'un passeport russe. Pour Vladimir Poutine, qui a lancé un avertissement à ceux qui franchiraient ses « lignes rouges », l'Otan menace sa sécurité en menant des exercices à la frontière ukrainienne et en mer Noire, ou en déployant des unités à l'intérieur même de l'Ukraine, ce que l'Alliance dément.
Le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, a dénoncé la « menace directe » que représente l'Ukraine. « Nous ne pouvons pas exclure que le régime de Kiev puisse se lancer dans une aventure militaire », a-t-il jugé, ajoutant que « si l'Occident n'est pas capable de dissuader l'Ukraine, mais s'il essaye au contraire de l'encourager, alors nous prendrons toutes les mesures nécessaires pour assurer notre sécurité. »
Source : Les Echos