L'état de la sécurité alimentaire dans le monde inquiète les organisations des Nations Unies. Dans leur rapport 2021 sur cette question, la FAO, le PAM et le FIDA ont alerté sur la hausse du nombre de personnes touchées par la faim dans le monde, depuis 2014. « La tendance s’est considérablement accélérée entre 2019 et 2020. En 2019, 8,4% de la population mondiale était en situation de sous-alimentation, en 2020 on a atteint les 9,9%. Environ un tiers de la population mondiale (2,37 milliards) n’avait pas accès toute l’année à une alimentation adéquate en 2020, soit 320 millions de plus en un an », note le rapport, présentant des prévisions alarmantes pour les années à venir.
A l’horizon 2030, indique la même source, « 660 millions de personnes souffriront de la faim ». L’Afrique, note le rapport, « est le continent le plus touché par le problème de la sécurité alimentaire », telle que définie par le Sommet mondial de l’alimentation à Rome (Italie) en 1996 : « Tous les êtres humains doivent avoir, à tout moment, la possibilité physique, sociale et économique de se procurer une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins et préférences alimentaires pour mener une vie saine et active ».
« Si en chiffres absolus, c’est l’Asie qui compte le plus de personnes en situation de malnutrition, en données relatives c’est l’Afrique qui est le continent le plus touché par le problème. Alors que la prévalence de la malnutrition est estimée à 9,9 % au niveau mondial, l’Afrique est à 21 % », précise le rapport. Quid de l’Afrique du Nord et notamment des trois principaux pays du Maghreb, en l’occurrence l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ?
- Engagement à réaliser l’objectif « Faim zéro »
Les gouvernements de ces trois pays affichent, ces derniers mois, leurs ambitions à réaliser à temps, le deuxième objectif du développement durable (ODD) fixé par l’agenda 2030 des Nations-Unies : « Faim zéro ». Chacun d’eux fait part de sa nouvelle politique adaptée pour atteindre ce but.
Mettant en avant leurs capacités agricoles, ces pays affichent leurs ambitions. En Algérie, le ministère de l’Agriculture s’est félicité, en septembre dernier, « du fait que le pays a obtenu la première place en Afrique en matière de sécurité alimentaire, selon le classement du Programme alimentaire mondial (PAM) ».
Affirmant que « l’agriculture constitue 12,4% du produit intérieur brut, soit plus de 25 Mds USD », le ministère algérien s’engage à « multiplier ces acquis, notamment à travers la mise en œuvre d’une feuille pour la période 2020-2024 ». « Cette feuille de route vise le développement de la production agricole à travers l’expansion des surfaces irriguées, l’amélioration des niveaux de rentabilité, l’exploitation rationnelle des terres agricoles et la promotion des zones steppiques, outre l’intégration des connaissances et la numérisation des programmes de développement sectoriel», détaille-t-il dans un communiqué.
Même son de cloche au Maroc où le gouvernement fait part du lancement de la « nouvelle stratégie agricole, Génération Green 2020-2030 ». Cette dernière vise, comme l’a affirmé en septembre dernier, le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, « à améliorer la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires ». « Cette stratégie converge tout à fait avec les nombreuses autres stratégies et initiatives royales: l’INDH, Forêts du Maroc 2020-2030, la Stratégie des pêches, le Programme de l’autonomisation économique des femmes, le chantier de la généralisation de la protection sociale, dont les synergies permettront d’accélérer la reprise économique et la réalisation des objectifs de développement durable à l’horizon 2030 », avait-il indiqué.
En Tunisie, le secteur agricole constitue un pilier majeur de l’économie avec une contribution de 10% du PIB. Il est la base de la politique de l’Etat « pour atteindre les objectifs nationaux en matière de sécurité alimentaire, de création d’emplois, et de gestion des ressources naturelles ». Les autorités tunisiennes font aussi de la filiale céréalière un axe stratégique de l’agriculture, avec 13% de la valeur ajoutée agricole, 42% de la superficie agricole utile, 27% du total des exploitations agricoles et 9% de l’emploi agricole total.
Selon le dernier rapport de l’Observatoire tunisien de l’économie, intitulé « les limites d’une politique de sécurité alimentaire », les céréales constituent en moyenne 13% des dépenses alimentaires des ménages, soit environ 4% des dépenses globales.
- « Réviser les politiques agricoles »
Mais, si d'importants succès ont été réalisés ces dernières années, notamment en matière de la disponibilité des produits agricoles, de nombreux défis restent à relever. Les pays du Maghreb, qui font également face à la diminution des ressources hydriques nécessaires pour l’agriculture en raison de la faible pluviométrie et des changements climatiques, sont toujours dépendants des importations et de la fluctuation des marchés mondiaux. Ils sont de ce fait, estiment les économistes, appelés à revoir leurs politiques. Mais aussi à réviser leur modèle de sécurité alimentaire. C’est ce que pense l’agroéconomiste algérien, Ali Daoudi, dans une contribution publiée dans la presse locale. Selon lui, « la crise actuelle montre toute la fragilité du modèle de sécurité alimentaire de l’Algérie ».
« Dans le contexte de l’Algérie, la sécurité alimentaire constitue un aspect sur lequel la réflexion ne saurait être ajournée, car les réformes et les ajustements qu’il serait nécessaire d’engager pour remédier aux insuffisances sont principalement d’ordre structurel dont les résultats escomptés ne se concrétiseront qu’à long terme. Demain se construit aujourd’hui. Tout retard aura des conséquences lourdes pour le pays », soutient-il.
Estimant que la question de la « sécurité alimentaire ne peut être dissociée des autres besoins élémentaires qu’il faut impérativement sécuriser, notamment l’eau, l’énergie et la santé » , le spécialiste précise : « Le défi de l’Algérie est de se doter d’un modèle de développement dans lequel ces quatre composantes sont combinées d’une manière complémentaire, cohérente et durable, car elles constituent les bases de toute prospérité économique et sociale, encore plus, de la souveraineté nationale ».
Poursuivant son analyse, Ali Daoudi souligne que le choix politique de maintenir les prix alimentaires à des niveaux bas, principalement pour les produits de base dont les prix sont fixés administrativement, « a eu des conséquences lourdes sur l’évolution de l’ensemble du système alimentaire national ». « La première implication a été le découplage progressif entre la demande alimentaire et l’offre agricole nationale, créant ainsi une désarticulation structurelle du système alimentaire national », indique-t-il.
Pour résumer la situation en Algérie, le spécialiste souligne qu'« un système alimentaire qui garantit l’accès à la nourriture pour tous, au prix d’une dépendance structurelle au marché mondial, fait que le pays supporte une facture d’importation alimentaire très pesante sur la balance, puisque plus de 50% de nos besoins alimentaires (exprimés en calories) sont importés pour une moyenne de 8 milliards de dollars ».
- Un marché commun
Auteur d’une étude intitulée « Stratégie maghrébine de sécurité alimentaire », Mohamed Gharbi, chercheur au Centre national d’études agricoles en Tunisie, rappelle que « l’objectif de sécurité alimentaire constitue pour tous les pays maghrébins sans exception un défi majeur. Le taux de couverture des besoins de cet ensemble géographique n'est que de 60% pour les céréales, 75% pour les viandes, 50% pour le lait et dérivés et 80% pour les légumineuses ».
Selon lui, « ce défi est difficile à relever car l’écart entre production et consommation est élevé et, en même temps, la couverture des importations par les exportations agricoles devient de plus en plus ardue eu égard aux mutations profondes qui marquent l'environnement international ».
« Les pays du Maghreb doivent donc assurer un développement soutenu de leurs agricultures, notamment par l’intégration progressive entre les cinq pays dans ce domaine et par une approche commune vis-à-vis de la concurrence internationale », préconise-t-il. Le chercheur rappelle, dans ce sens, les vieux engagements pris dans le cadre de l’UMA qui avait arrêté, il y a plusieurs années, une stratégie basée sur trois volets : « la création, à long terme, d'un Marché commun maghrébin agricole dont l'objectif est de faciliter la circulation des produits agricoles et alimentaires, en accordant la préférence aux produits d'origine maghrébine et en assurant une protection de ces produits vis-à-vis de la concurrence des marchés extérieurs ».
Cette stratégie préconisait aussi l’élaboration et la mise en œuvre d'un programme maghrébin d'intensification des produits agricoles de base ainsi que l'élaboration d'une stratégie commune de protection de la nature et des ressources halieutiques. Et en troisième position, il y a le « renforcement de la coopération dans tous les domaines liés à la question de la sécurité Alimentaire ».
Mais jusqu'à présent chacun des trois pays évolue seul. La mise en place d'un système économique régional intégré n'est pas pour demain. Le conflit politique et diplomatique entre l'Algérie et le Maroc n'a fait que freiner toute avancée vers l'édification du bloc UMA, en projet depuis la conférence de Tanger (Maroc) de 1958.
Source : AA