La situation détériorée au Soudan et le gap séparant les positions entre les différents protagonistes placera l'armée devant 3 scénarios, selon nombre d'observateurs
Une semaine s'est écoulée depuis l’enclenchement de la récente crise politique au Soudan, sans que des prémices de solutions ne surgissent et au milieu d’une paralysie totale de la vie dans un pays qui souffre déjà de plusieurs difficultés, en particulier économiques, et qui évolue au rythme d'une phase transitoire depuis plus de deux ans et demi environ.
En effet, et à l’aube du 25 octobre écoulé, l'armée a arrêté des dirigeants politiques et des ministres ainsi que le Chef du gouvernement, Abdallah Hamdok (placé en résidence surveillée depuis) et son épouse. Le commandant de l'armée, Abdelfattah al-Burhan a annoncé, aussi, la dissolution des Conseils intérimaires de la Souveraineté et des ministres.
Al-Burhan s'est engagé à former un gouvernement indépendant de technocrates, décrété l'état d'urgence, démis de leurs postes les gouverneurs et renoncé à respecter certains termes de la « Déclaration constitutionnelle » de l'année 2019 relative à la gestion de la phase transitoire.
Le chef de l'armée a tenté de justifier ses décisions en indiquant que « l'incitation au chaos de la part de forces politiques nous a poussés à prendre ces mesures pour préserver le Soudan », considérant que ce que traverse le pays représente désormais un « danger véritable ».
La capitale Khartoum et plusieurs autres villes du pays ont été le théâtre de « manifestations imposantes » qui se sont accentuées pour rejeter ce que les contestataires considèrent comme un « coup d’Etat militaire ».
A la faveur des mesures prises par al-Burhan, l'armée s'est emparée effectivement du pouvoir, ce qui a conféré à un paysage déjà complexe davantage de complications.
L’on a assisté, au cours des jours écoulés, à une recrudescence de la pression exercée de toutes parts, interne et externe, sur l’armée, selon nombre d'observateurs, ce qui permettra d'ouvrir la voie à une phase d'identification des solutions, à travers l’engagement d'un dialogue entre les protagonistes pour traiter une situation présente qui pourrait être ravageuse pour l’ensemble de la phase transitoire.
Avant les décisions prises par al-Burhan, le Soudan évoluait, depuis le 21 août 2019, au rythme d’une phase transitoire qui devrait durer, initialement, 53 mois et qui sera couronnée par l'organisation d'élections, à l'orée de 2024.
Durant cette phase, le pouvoir sera partagé entre l'armée, des forces civiles (la Coalition des Forces de la proclamation de la Liberté et du Changement) et des Mouvements armés signataires avec le gouvernement d’un Accord de paix en 2020.
- Des mesures calculées
La situation détériorée au Soudan et le gap séparant les positions entre les différents protagonistes placera l'armée devant 3 scénarios, selon nombre d'observateurs.
Soit l'armée se rétracte en revenant sur l'ensemble des mesures prises unilatéralement, ou elle prendra davantage de décisions pour asseoir son pouvoir et s'emparer de manière dominante de l'autorité.
Le troisième scénario consiste à ouvrir la voie à un dialogue qui pourrait dépasser les demandes antérieures formulées par les militaires, portant dissolution des Conseils des ministres et de la Souveraineté vers l'amendement de la « Déclaration constitutionnelle » régissant le partage du pouvoir et qui avait été signée entre le Conseil militaire (au pouvoir à l'époque) et l'opposition civile.
Certains prévoient que toute décision devant être prise par al-Burhan au cours des prochains jours aura pour objectif d'apaiser la tension grandissante entre l’armée d’une part et les « Forces de la proclamation de la Liberté et du Changement » et Hamdok, d’autre part, afin que ces décisions satisfassent, quoique partiellement, la communauté régionale et internationale.
Toutefois, ce qui est en mesure de satisfaire la Communauté internationale, en l'occurrence un retour vers la « Déclaration constitutionnelle » et le processus transitoire, ne satisfera pas forcément les « Forces de proclamation de la Liberté et du Changement » et la Rue qui considèrent désormais al-Burhan comme étant un partenaire peu crédible en cette phase transitoire après l’ère d’al-Bachir (1989-2019).
Le commandement de l'armée avait déposé al-Bachir, le 11 avril 2019, sur fond de protestations populaires hostiles au pouvoir de l'ancien Président soudanais, qui avait accédé à la Présidence via un putsch en 1989.
- Un dialogue épineux
Les militaires et les partis qui leur sont loyaux, en particulier « le Courant de la Charte nationale », une des composantes des « Forces de la proclamation de la Liberté et du Changement », seront plus enclins à suivre la voie de la continuité de ce qu'ils considèrent comme la « restauration du processus de la révolution », en incitant al-Burhan à prendre davantage de décisions dans ce sens.
Toutefois, cela poussera à une escalade de la part du Conseil central des Forces de la proclamation de la Liberté et du Changement et de la Rue, et la rupture sera consommée avec la Communauté internationale, dans l'attente de nouvelles sanctions et d’un isolement international, parallèlement à la suspension de l'appui financier à un pays qui souffre d'une crise économique aiguë, un des facteurs qui avait provoqué la chute d'al-Bachir.
Selon certaines déclarations et d'autres informations qui ont fuité, des consultations sont en cours actuellement, sans pour autant confirmer ni clarifier la nature du dialogue entre les protagonistes de la crise.
Le processus de dialogue est qualifié « d’épineux », dans la mesure où les positions des protagonistes sont divergentes, à telle enseigne qu'il serait difficile d'espérer aboutir à des résultats dans un proche avenir.
De même, l'attachement par le Conseil central de la « Liberté et du Changement » au retour à la « Déclaration constitutionnelle » et à une remise du pouvoir par la composante militaire à la composante civile, au cours de la prochaine étape, sera à même d’accélérer l'échec du dialogue.
La composante militaire a présidé le Conseil de la Souveraineté (une sorte de présidence) depuis le 21 août 2019, et les civils réclament, depuis un certain temps, la récupération de la Présidence du Conseil, à compter du mois de novembre courant, ce qui avait amené l'armée à dissoudre le Conseil.
- L'équilibre de forces
Selon Youssef Sarraj, un analyste politique, le « dialogue pourrait être fructueux en cas du maintien de la pression de la Communauté internationale et des citoyens qui ont investi la rue en date du 30 octobre, ce qui avait fait pencher l'équilibre des forces en faveur des civils ».
Dans un entretien accordé à l'Agence Anadolu, Sarraj estime que « tous les scénarios sont posés et le dialogue est un scénario applicable, d'autant plus qu'il bénéficie d'un appui international, ce qui mènera les militaires à emprunter cette voie ».
Et l'analyste de poursuivre : « La Communauté internationale exerce des pressions pour un rétablissement du processus transitoire via les alliés de Khartoum, et au premier rang desquels figure l'Arabie Saoudite, à travers laquelle Washington a transmis un message qui évoque la nécessité à ce que les militaires se rétractent et reviennent sur leurs décisions ».
Il a ajouté que « les autres pays dans la région du Golfe et l'Egypte défendront leurs positions à l’aune de celle de l'Arabie saoudite, à défaut d'une fissure entre ces pays ».
Deux jours après les décisions prises par al-Burhan, le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, et son homologue saoudien, le prince Fayçal Bin Farhan, ont condamné la prise du pouvoir par les militaires au Soudan, selon un communiqué du département d'Etat.
Au cours de l'entretien téléphonique avec Bin Farhan, Blinken a réitéré le « soutien de Washington aux aspirations du peuple soudanais à la démocratie », mettant l'accent sur « l'impératif qu'il y a à rétablir, immédiatement, le gouvernement transitoire sous une direction civile ».
Source : AA