Les retombées de la prise du pouvoir par l’armée lundi se poursuivront durant une certaine période qui sera marquée par l’instabilité.
Le principal facteur de l’instabilité sera illustré par « l’inexistence d’un réceptacle politique proche de la révolution, qui avait fait chuter le régime d’al-Bashir il y a de cela deux ans ».
La situation actuelle pourrait aboutir à ce à quoi aspirent Burhan et son groupe, en l’occurrence tenir des élections à leur guise, un scénario similaire au scénario égyptien, mais cela demeure peu probable.
La crise soudanaise a connu une recrudescence et a atteint son point d’orgue, 48 heures après l’annonce faite par le chef de l’armée de la prise du pouvoir et la proclamation de l’état d’urgence ainsi que la dissolution des Conseils de la Souveraineté et des ministres et le limogeage des gouverneurs et de plusieurs ministres.
Ces décisions avaient été précédées par une série d’arrestations qui ont touché le Premier ministre, Abdullah Hamdok, et deux de ses conseillers, ainsi que le membre de la composante civile du Conseil de la Souveraineté, Mohamed Faki Suleiman et plusieurs ministres.
Les manifestations hostiles aux décisions d'al-Burhan se sont poursuivies, pour la deuxième journée consécutive, et les artères étaient toujours bloquées par les protestataires qui ont utilisé des barricades, des blocs de pierre et des pneus incendiés.
Al-Burhan avait affirmé, mardi, en conférence de presse animée à Khartoum, la formation du prochain gouvernement civil sans partis politiques et sans fournir de date précise. Il a dit à ce propos « Nous formerons un gouvernement de manière à satisfaire l’ensemble des Soudanais et à représenter toutes les provinces ».
Toutes ces mesures ont été considérées par les civils et « les Forces de proclamation de la Liberté et du Changement » comme un « putsch militaire » qui vient saper la transition démocratique dans le pays.
Toutefois, ces mesures ont été qualifiées par al-Burhan de « restauration du processus de la révolution soudanaise et qui visent à faire sortir le pays des crises actuelles qui la secouent ».
Al-Burhan avait fixé, mardi, une nouvelle date des élections en 2023, lançant dans ce cadre : « Nous avons examiné une nouvelle date pour les élections et avons convenu que le scrutin pourrait se tenir d’ici une année et demi à partir de maintenant mais nous avons estimé que l’on pourrait ajouter les deux mois de cette année ». Ainsi, les élections se tiendraient selon lui au mois de juillet 2023.
Avant la prise des mesures de ce lundi, le Soudan évoluait depuis le mois d’août 2019 dans le cadre d’une phase transitoire qui devrait se poursuivre 53 mois et qui auraient dû être couronnés par la tenue d’élections à l’orée de 2024.
Au cours de cette phase transitoire, le pouvoir était partagé par l’armée, des forces civiles et des Mouvements armés signataires avec le gouvernement d’un Accord de paix en 2020.
Cette phase transitoire a commencé lorsque l’armée avait déchu, en avril 2019, l’ancien président, Omar al-Bashir de la Présidence, sous la pression de manifestations populaires hostiles à son pouvoir, auquel il a accédé en 1989 via un coup d’Etat militaire.
Au bord du précipice
Ces événements successifs ont placé le pays au bord du précipice selon des observateurs locaux, dès lors qu’ils ont amené à une confrontation entre les militaires et les Forces de la Proclamation de la Liberté – Courant de la Charte avec ls Forces de proclamation de la Liberté conduites par le Conseil central et le gouvernement démis.
Ces deux groupes sont aux antipodes, dès lors que les « Forces de la Proclamation de la Liberté et du Changement », sous la conduite du Conseil central, comptent des alliances et des partis qui ont un poids certain, tels que le Rassemblement fédéral, le Parti de la Oumma ainsi que des Mouvements armés à l’instar du Mouvement populaire dirigé par Malek Agar, et les Mouvements Tahar Hajar et Hadi Idriss, membres du Conseil de la Souveraineté qui réclament la remise du pouvoir aux Civils.
A l’opposé, le deuxième groupe qui a mené les mouvements contre les civils et le gouvernement Hamdok, compte dans ses rangs l’armée commandée par al-Burhan et le Courant de la Charte nationale composé du Parti Baath, du Mouvement de Libération du Soudan (MLS) dirigé par Menawi et du Parti de la Justice et de l’Egalité de Jibril Ibrahim.
Principales retombées : l’instabilité
Selon plusieurs observateurs, les retombées de la prise du pouvoir, lundi, par l’armée se feront ressentir durant un certain laps de temps qui sera marqué par une instabilité.
L’analyste politique Othman Fadhallah, a indiqué, dans ce cadre, que les « données immédiates laissent prévoir que le pays connaitra une instabilité à court terme ».
Il a ajouté, dans un entretien accordé à AA, que le « le principal facteur d’instabilité consiste en l’absence de réceptacle proche de la Révolution qui a fait chuter al-Bashir il y a de cela deux ans, d’autant plus qu’il ressort des manifestations que le Hirak populaire se poursuivra et s’inscrira dans la durée ».
La capitale Khartoum a été le théâtre de larges contestations qui ont vu les protestataires bloquer les routes en plantant des barricades pour exprimer leur rejet des mesures prises par l’armée.
La crise s’accentue
Cette tension et cette instabilité ont été motivées par les décisions prises par al-Burhan qui a suspendu certaines prérogatives, limogé les gouverneurs des provinces, dissous les Conseils de Souveraineté et des ministres, autant de décisions qui sont à même de ramener le pays à la situation antérieure du mois d’avril de 2019, lorsque al-Bashir avait été déchu de son poste.
L’analyste politique, Amir Babakr, estime, à ce sujet, que ces mesures vont aboutir à une intensification des manifestations comme cela avait eu lieu à l’époque d’al-Bashir lorsque les manifestations se sont poursuivies cinq mois durant jusqu’à la déposition de l’ancien président.
Contrairement à cela, des observateurs estiment que la situation actuelle pourrait aboutir vers ce à quoi aspirent al-Burhan et son groupe, en l'occurrence l'organisation d'élections à leur guise, dans un scénario similaire au scénario égyptien après la révolution du 25 janvier 2011, lorsque le président al-Sissi s'était emparé du pouvoir en 2014.
Cela demeure tributaire de la capacité des alliés, parmi les pays arabes, au premier rang desquels figurent l'Égypte et les Émirats, à effectuer une percée dans la position de la Communauté internationale qui soutient le gouvernement de Hamdok et la transition civile.
Selon des observateurs, le soutien offert à al-Burhan par ses alliés arabes pourrait être renforcé par le soutien de la Chine et de la Russie, qui se disputent l’influence dans la zone de la Corne de l’Afrique avec les Etats-Unis.
Toutefois, aller de l'avant et continuer jusqu'au bout, en organisant des élections paraît quasiment impossible, compte tenu de la réaction de la Communauté internationale et des États-Unis qui pourraient infliger des sanctions pouvant ramener le pays aux années de souffrance des suites de sanctions imposées par Washington pendant 17 ans.
Un rejet populaire et un scénario « noir »
Certains observateurs de la scène soudanaise considèrent que l’éventualité de l’arrivée d’al-Burhan à ses desseins est quasiment impossible compte tenu du rejet populaire à ce que les militaires s’emparent du pouvoir, et ce sous aucun prétexte.
D’autres observateurs estiment que le pire des scénarii consiste en un affrontement entre les parties et les tribus, aux antipodes politiquement, qui pourraient aller jusqu’à recourir aux armes qui circulent en abondance dans le pays.
Les armes en question ne sont pas détenues uniquement par le gouvernement et les groupes armés mais aussi par les tribus. Au cours des mois écoulés, plusieurs régions de l’est, du sud et de l’ouest du Soudan ont été le théâtre d’actes de violence qui ont fait des dizaines de victimes.
Ce point de vue est renforcé par le fait que la Rue soudanaise a été traversée la semaine écoulée par une dissension aigue entre ceux qui sont favorables au sit-in du Palais et qui sont loyaux aux militaires, et les foules réclamant un pouvoir civil et qui soutiennent « La Liberté et le Changement ».
Il n’existe pas d’estimations officielles concernant les quantités d’armes détenues par les tribus au Darfour et à Kordofan alors que des rapports non-officielles évoquent des centaines de milliers d’armes que possèderaient les tribus, y compris des armes lourdes.
Source : AA