Le Sommet de la Francophonie devait se tenir les 20 et 21 novembre prochain à Djerba, dans le sud-est tunisien. Un événement international important, mais pas vraiment majeur, le "parrain" et le principal pourvoyeur de fonds n'en étant que la France. Il a capoté... "Reporté à l'année prochaine, toujours à Djerba...pour un souci de cohésion et de solidarité...et pour lui assurer les conditions optimales de réussite", précisait le communiqué, publié par le Conseil permanent de l'OIF (Organisation internationale de la francophonie), à la suite de sa visioconférence de mardi dernier, consacrée à la tenue de ce Sommet. Une décision à entériner par les ministres des Affaires étrangères des 88 pays membres. Une formalité...
Car comme ne siègent dans le Conseil permanent de l'OIF que les représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement, ses "sentences" et ses recommandations sont, en fait, prises aux sommets des Etats, où l'influence de la France, particulièrement en ce qui concerne la Francophonie, est une lapalissade. Nul n'ignore non plus que Paris n'hésite pas à utiliser indirectement l'Organisation à des fins politiques ou économiques qui ne servent que ses intérêts. C'est, à titre d'exemple, l'Hexagone qui a mené un travail de sape, en 2018, pour faire élire la Rwandaise Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de l'OIF. Pas tellement pour son expérience -et sûrement, sa compétence- d'ancienne ministre de l'Information puis des Affaires étrangères, mais pour apporter une pierre angulaire à l'édifice de réconciliation avec Kigali, pour que soit dépassé, à défaut de pardonné, le triste souvenir du rôle français dans le génocide des Tutsis au Rwanda.
Saïed savait... la France aussi
Aussi la France et Emmanuel Macron, plus encore, ne sont-ils pas étrangers à ce "report à l'année prochaine" du Sommet, qui est synonyme, en termes diplomatiques, de désaveu de Kaïs Saïed et de ses mesures exceptionnelles qu'il a prises le 25 juillet et qu'il a confortées le 22 septembre, par un décret où il s'est accaparé -jusqu'à une date qu'il n'a pas fixée- tous les pouvoirs.
Un désaveu atténué par le maintien -qui reste aléatoire- du lieu, pour éviter un choc frontal avec la Tunisie qui viendrait affaiblir davantage la position de la France, déjà mise à mal par sa récente crise avec l'Algérie dont le Président a non seulement rappelé son ambassadeur de Paris, mais a ouvertement dénoncé la France pour son immixtion dans les affaires tunisiennes et apporté, dans des propos inhabituellement élogieux pour l'avare en amabilités courtoises qu'il est, un soutien sans faille au chef de l'Etat tunisien.
Certes, seuls 20 pays sur les 88 que compte l'OIF, avaient annoncé leur participation, mais de nombreux autres ont exprimé leur "gêne" à venir à Tunis, alors que le pays est divisé en partisans de Saïed et de ses mesures et en opposants, ne serait-ce qu'au monopole des pouvoirs qu'il s'est arrogé. Ces derniers, dont la majorité ne peut pas s'énorgueillir d'être particulièrement démocrates, se sont de fait rangés du côté de l'administration Macron qui ne pouvait à l'évidence, pour des raisons pré-électorales, faire la sourde oreille aux campagnes menées, sur son sol, par les réfractaires de Saïed qui demandaient, entre autres, à la France de ne pas cautionner le Sommet et de ne pas permettre sa tenue. Moncef Marzouki, l'ancien Président désigné et provisoire de la République, déclarait hier, à partir de Paris, être "fier" de s'être battu pour faire capoter un événement international dans un pays où il y a eu un coup d'Etat.
Mais ce qu'il ignorait c'est que tout -ou presque- avait déjà été dit et décidé, une semaine plus tôt, au cours de l'entretien téléphonique qu'ont eu les deux chefs d'État. En témoignent les communiqués des deux présidences qui s'en sont suivis. Car si l'Elysée rappelait l'attachement de Macron à la désignation d'un gouvernement et surtout à l'annonce d'un calendrier pour le retour des instances démocratiques, ainsi que d'un dialogue associant les différentes composantes de la population, sur les réformes institutionnelles à entreprendre, le palais de Carthage s'est contenté d'annoncer vaguement l'imminence de la formation d'un gouvernement, l'engagement à un dialogue et l'attachement à un État de droit.
En fait, rien de vraiment concret ou fort, dans le sens attendu par Paris pour ne pas embarrasser Macron concernant le Sommet. Saïed décidera en dernier, lorsque le lendemain de l'entretien, il déclarera que la "souveraineté de la Tunisie n'est pas à marchander", que le dialogue ne sera pas ouvert à tous et que tant que le pays est encore "menacé", les mesures exceptionnelles demeureront. Dès lors, la visite à Tunis, le week-end dernier, de la Secrétaire générale de l'OIF et son entrevue avec le président de la République devenaient formelles et n'avaient lieu que pour informer d'une décision qui venait d'être prise.
En effet, dans son allocution, à l'occasion de l'investiture du gouvernement, lundi dernier, soit le lendemain du départ de Mushikiwabo et à la veille de la réunion du Conseil permanent de l'OIF qui allait "discuter" puis annoncer le report du Sommet de Djerba, Saïed avait abordé le sujet-et déclarait, en se voulant imperturbable : "s'ils veulent venir, ils seront les bienvenus, mais qu'ils reportent ou transfèrent ce Sommet, notre souveraineté n'est pas à négocier". Saïd savait...
A-t-il eu raison ou tort ? Pouvait-il ou devait-il faire plus pour que cet événement soit maintenu ? Le futur le montrera, même si maintenant et malgré la formation du gouvernement, il a donné une occasion à ses réfractaires de pavoiser et il s'est un peu plus isolé, à l'intérieur et à l'extérieur.
Ironie du sort, exactement seize ans plus tôt, Zine El Abidine Ben Ali, ses conseillers et ses ministres résistaient aux campagnes menées partout, pour faire annuler le Sommet mondial de la Société de l'information (SMSI) de Tunis, à cause des restrictions insoutenables exercées sur la liberté d'expression et de l'information. Ils ont quand même su gérer et agir et le Sommet, autrement plus important que celui de l'OIF, a bien eu lieu et avec un éclatant succès, en présence de Kofi Annan, Secrétaire général de l'ONU et de Vinton Cerf, le père de l'Informatique. Tiens, c'était du 16 au 18 novembre 2005.
Source : AA