Rabat a annoncé lundi 1er mars suspendre toute relation avec Berlin sur fond de «malentendus profonds». Parmi eux, la question du Sahara occidental, des soupçons d'ingérence et le cas d'un ressortissant germano-marocain accusé de terrorisme.
«Une rupture prévisible», «un cumul de faux pas diplomatiques», à en croire la presse marocaine. Dans une lettre qui a fuité sur les réseaux sociaux dimanche 28 février, le chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, détaille la décision de Rabat de rompre toute relation diplomatique avec l’ambassade d’Allemagne, sur fond de «malentendus profonds». Il ordonne aux départements d’État la suspension de tout «contact, interaction, ou action de coopération» avec les autorités et les fondations politiques allemandes.
Les deux pays entretenaient jusqu'ici une collaboration stable et constante. Le chef de la diplomatie marocaine saluait, en décembre dernier, «l'excellence de la coopération bilatérale» après un entretien téléphonique avec son homologue allemand Gerd Muller ? En outre, l’Allemagne avait accordé dans la foulée une dotation de 1,387 milliard d’euros afin d’aider le Maroc dans la lutte contre la pandémie de Covid-19.
Trois mois plus tard, le ton a changé : «Le Maroc souhaite préserver sa relation avec l'Allemagne, mais c'est une forme d'alerte exprimant un malaise sur de nombreuses questions», a confirmé à l'AFP un haut responsable du ministère des Affaires étrangères lundi soir. «Il n'y aura pas de contact tant que des réponses ne seront pas apportées sur différentes questions qui ont été posées», a-t-il dit. Quels sont ces dossiers qui ont conduit à la rupture ?
- L’enjeu du Sahara occidental
Premier différent, la question de ce territoire disputé au sud du Maroc. Berlin n’a pas caché sa réprobation lorsque Donald Trump a adopté, en décembre dernier, une «nouvelle carte officielle» du Maroc, reconnaissant la souveraineté de Rabat sur la région en échange d’une normalisation des relations diplomatiques entre le pays et Israël. «Il faut être juste, il faut être impartial, il faut avoir à l’esprit l’intérêt légitime de toutes les parties et il faut agir dans le cadre du droit international», avait déclaré l’ambassadeur allemand à l’ONU Christoph Heusgen le 24 décembre. Les tensions sont montées d’un cran le 27 janvier, lorsque le drapeau du Front Polisario, le mouvement indépendantiste du Sahara occidental, a été hissé devant le Parlement régional allemand de Brême.
- Invitation omise à un sommet international
Par ailleurs, Berlin a tenu en janvier 2020 une conférence internationale sur la Libye, à laquelle le Maroc n’a pas été convié. Le ministère des Affaires étrangères avait alors manifesté son «profond étonnement» : «Le Royaume a toujours été à l’avant-garde des efforts internationaux pour la résolution de la crise libyenne», avait-il rappelé. Crise que l’Allemagne, ajoutait le ministère, «ne saurait transformer en instrument de promotion de ses intérêts nationaux».
- Des fondations politiques allemandes accusées «d’ingérence»
D’après le site marocain Le Desk , des influentes fondations politiques allemandes telles que Konrad Adenauer, Friedrich Ebert, Friedrich Nauman, Heinrich Böll et Hanns Seidel ont aussi semé le trouble dans les sphères diplomatiques. Ces fondations requièrent d’obtenir au Maroc un statut spécifique. Or, le pays s’en tient à les considérer comme des «associations» et les accuse d’entrisme dans des affaires propres au pays, notamment en subventionnant certaines ONG. En 2015, l'ex-directrice de la fondation Friedrich Nauman a été poussée, selon Le Desk, à quitter le Maroc suite à des pressions des autorités marocaines.
- Le cas Mohamed Hajib
Le feuilleton judiciaire complexe d’un germano-marocain serait également source de tensions entre les deux pays, à en croire le média allemand Deutsche Welle . Mohamed Hajib a été arrêté en 2009 lors d’un voyage au Pakistan. Arrêté en Allemagne, il a été libéré à condition de retourner au Maroc, son pays natal. Là, il a été condamné à dix ans de prison pour des infractions liées à des affaires de «terrorisme», et, d’après Amnesty International, aurait fait l’objet de tortures et de menaces de viols. L’ONU conclut en 2017 que son arrestation est «arbitraire» et appelle à sa libération. Depuis, Mohamed Hajib est retourné en Allemagne, à qui il réclame 1,5 million d'euros de dommages et intérêts pour l’avoir poussé vers le Maroc.
Source : Le Figaro