La crise provoquée par l'annulation par l'Australie du contrat des sous-marins français à propulsion conventionnelle pour les remplacer par d'autres américains à propulsion nucléaire a eu un écho mondial, depuis l’océan Atlantique jusqu'à l'océan Pacifique et est sur le point de remodeler la carte des alliances et de faire éclore de nouvelles stratégies, qui pourraient aboutir à changer la carte du monde.
Les Etats-Unis d'Amérique se sont engagés dans une bataille décisive pour contrer le début de sa disparition en tant que puissant empire qui a régné durant le siècle dernier et le premier quart du XXIe siècle, et ce pour faire face à une montée rapide de la Chine, dont le PIB-PPA (Produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat) a dépassé celui de son homologue américain.
Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB-PPA en Chine dépasse les 24 trillions de dollars, contre 20 trillions de dollars aux Etats-Unis.
Cela signifie que la Chine est devenue la première économie du monde, si l'on prend en considération ce critère, dépassant de 4000 milliards de dollars les Etats-Unis d'Amérique, ce qui menace de faire écarter les Américains du trône de la domination mondiale sur lequel caracolait cette puissance, depuis 1991, date de l'effondrement de l'ex-Union soviétique.
La défaite des Etats-Unis en Afghanistan face au Mouvement des Taliban, les trillions de dollars dépensés et « dilapidés » pendant 20 ans, ainsi que leur retrait chaotique de ce pays d'Asie centrale ne menacent pas uniquement leur suprématie mondiale mais secoue aussi le lien de confiance qui les lie à leurs alliés européens, qui n'ont pas été consultés lors de la prise de la décision du retrait.
Nombre d'observateurs ont constaté comment les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des Pays-Bas, respectivement Sigrid Kaag et Ank Bijleveld avaient payé le tribut du chaos américain, lors du retrait d'Afghanistan et la manière par laquelle les ressortissants hollandais ont été évacués, ce qui les avait poussés à la démission.
C'est pour cela que les Etats-Unis s’emploient à revoir leurs alliances avec le Royaume-Uni et l'Australie pour inhiber la montée en flèche du géant chinois, à travers l'annonce du Pacte Aukus, en vertu duquel Washington et Londres transfèrent la technologie des sous-marins à propulsion nucléaire à Canberra.
En contrepartie de l'acquisition par Canberra de huit sous-marins américains à propulsion nucléaire, l'Australie a décidé d'annuler l'achat de 12 sous-marins français à propulsion conventionnelle (Diesel - électricité), un contrat d'une valeur de 90 milliards de dollars australiens (56 milliards d'euros).
- Une colère française qui menace la cohésion de l'OTAN
L'annulation par l'Australie du marché des sous-marins français n'est pas passée inaperçue en France, qui a un manque à gagner de 56 milliards d'euros (66 milliards de dollars), dont Paris a besoin pour relancer son économie impactée et ralentie par la pandémie de la COVID-19.
La France a rappelé ses ambassadeurs en place à Washington et à Canberra ( Macron et Biden ont eu un entretien téléphonique, mercredi, au terme duquel il a été décidé que l’ambassadeur français aux Etats-Unis retournera à Washington, NDLR) pour protester contre ce qui a été qualifié par son chef de la diplomatie, Jean-Yves Le Drian, de « grave crise », « d’une grande violation de la confiance » et de « mépris », des termes qui font dégager l'ampleur du gap provoqué par l'annulation du contrat.
Toutefois, la situation ne s’est pas arrêtée à ce niveau, dès lors que Paris s'apprête à mobiliser ses alliés européens pour faire face à l'alliance anglo-saxonne, qui réunit les Etats-Unis le Royaume-Uni et l'Australie.
Si la France est prête à exercer des pressions sur l'Australie afin d'obtenir des indemnisations, évaluées à des centaines de millions de dollars, il n'en demeure pas moins que les médias australiens évoquent un montant ne devant pas dépasser les 250 millions d’euros.
Le retrait de l'OTAN pour protester contre ce qui est considéré comme étant une « grande violation de la confiance » n'est pas exclu, mais il est encore très tôt de l'évoquer, même si les enchères de la campagne électorale pour la présidentielle française, prévue le printemps prochain, sont entrées tôt en ligne de compte.
Le candidat à la présidence, Xavier Bertrand, a soulevé la question du retrait du commandement de l'OTAN après la tenue d'un sommet extraordinaire de l'Alliance transatlantique.
La France s'était déjà retirée par le passé du commandement militaire intégré de l'OTAN en 1966, à l'époque du général Charles de Gaulle, pour ce qu'elle a considéré comme un accroissement de l'influence américaine à l'intérieur de l'alliance avec le soutien du Royaume-Uni. Paris s'était contenté de demeurer membre et n’a retrouvé sa place dans le commandement intégré qu'en 2009.
Les responsables français, et à leur tête, Jean-Yves Le Drian, ont parlé d'une redéfinition du nouveau concept stratégique de l'OTAN, sans pour autant évoquer une sortie de l'alliance.
Le Drian a fait allusion à la possibilité que la France procède à introduire des changements fondamentaux sur les principes et les valeurs de l'OTAN.
Il a déclaré, à ce propos, que « l’OTAN a pris l'initiative, à la demande du Président de la République (Emmanuel Macron) de réfléchir à ses fondamentaux et que lors du prochain sommet de l'Alliance à Madrid, on aurait parachevé l'élaboration du nouveau concept stratégique et bien évidemment ce qui vient de se passer (la crise des sous-marins) est en lien avec cette définition ».
La tentative de Paris de changer les principes fondateurs de l'OTAN font face à des réserves émises par Washington et ses alliés ainsi que d'autres pays, qui restent sceptiques quant à la pertinence de cette mesure qui sera de nature à créer de profondes dissensions au sein de l'Alliance.
- Une armée européenne
En contrepartie, la France tente de ressusciter l'idée de mettre sur pied une armée européenne avec l’appui de l’Allemagne, et qu’ainsi Paris n'aurait plus besoin du parapluie américain, ce qui ne plaît pas trop à Washington.
Selon certains observateurs, ce « souhait » avait amené les Etats-Unis à adresser à la France, ce qui a été qualifié par Paris, de « coup de poignard dans le dos ».
Le ministre français des Affaires étrangères, Le Drian, avait appelé l'Europe à se préparer à suivre « une boussole stratégique », qui sera sous la responsabilité de Paris, durant le premier semestre de l'année 2022, allusion faite à la présidence française de l'Union européenne, à partir du 1er janvier prochain.
Usant d’un discours provocateur et incitatif à l’endroit des Etats-Unis, Le Drian a déclaré : « Si les Européens ne sentent pas que pour rester dans l'Histoire, ils se doivent de s'unir et de défendre en commun leurs propres intérêts, leur destin sera complètement différent ».
La France s'emploie à diriger l'Europe pour s'extirper du leadership américain afin de s’approprier sa décision stratégique de manière autonome, indépendamment de Washington, s’agissant en particulier des grands dossiers qui secouent les foyers et zones de tension dans son environnement proche, que ce soit en Libye à travers l'opération maritime européenne « Irini » ou dans le Sahel africain via l'opération « Takuba » des forces spéciales européennes.
Les deux opérations militaires lancées au large des côtes libyennes et dans le Sahel africain ont prouvé le rôle européen limité, à cause de tensions relatives au leadership ou en raison de la divergence des intérêts et des priorités.
- Le pragmatisme australien et américain
L'Australie n'est pas restée silencieuse face à la virulence de l'attaque française lancée contre elle et a tenu à clarifier, par la voix de son Premier ministre, Scott Morrison, que « les sous-marins français ne sont pas de nature à satisfaire les intérêts stratégiques de Canberra ».
Morrison a relevé que « les Français connaissaient toutes les causes pour connaître nos profondes et graves réserves quant aux capacités des sous-marins qui ne sont pas en mesure de satisfaire nos intérêts stratégiques et nous avons démontré que nous envisageons de prendre une décision sur l'unique base de notre intérêt stratégique national ».
Mettant au défi Paris de considérer la décision de Canberra comme étant unilatérale et surprenante, Morrison a souligné que « les allusions stipulant que le gouvernement australien n'a pas fait part de ses appréhensions défient frontalement et directement ce qui est inscrit dans le registre général et évidemment ce qui a été dit de manière publique depuis une longue période »,
L'un des problèmes auxquels ont fait face les deux parties était le retard accusé par les Français à conclure et à honorer le contrat en dépit de sa signature en 2016.
De plus, Canberra a besoin de sous-marins à propulsion nucléaire pour faire face à la force maritime chinoise grandissante, notamment en mer de Chine méridionale, où Pékin dispose de plusieurs sous-marins de pointe.
Les sous-marins à propulsion nucléaire se distinguent des conventionnels (Diesel – électricité) par leur grande vitesse et leur longue portée ainsi que par leur capacité à rester en immersion pendant de longues périodes, sans besoin de remonter à la surface.
De plus, ces engins n’émettent pas de sons forts, ce qui leur procure la capacité de mener des frappes douloureuses à l’endroit de la Chine sans être détectées, ce qui suscite de réelles inquiétudes de la part de Pékin.
Bien que la France eût la capacité de fabriquer des sous-marins à propulsion nucléaire et de les vendre à l'Australie, en place et lieu de la propulsion conventionnelle, il n'en demeure pas moins que la technologie américaine est encore plus développée.
Les sous-marins américains à propulsion nucléaire n’ont pas besoin d’être ravitaillés en combustible nucléaire, l’uranium, qu'une fois tous les 30 ans, tandis que les sous-marins nucléaires français doivent l’être tous les 10 ans, en plus du fait que Canberra ne dispose pas de réacteur nucléaire apte à produire de l'uranium.
C'est ce à quoi le ministre australien de la Défense, Peter Dutton, a fait allusion en indiquant que son pays « n'a pas pu acquérir les sous-marins français parce qu'il fallait les recharger, et ce contrairement aux sous-marins américains. Ainsi, ces derniers sont les seuls qui sont appropriées pour l'Australie, un pays ne disposant pas d'armes nucléaires ».
L'incapacité de l'Australie à produire le combustible nucléaire pose une série d'interrogations sur la partie qui le lui fournira ou si elle procédera à la construction d'un réacteur nucléaire à des fins « militaires ».
Source : AA