Alors que la France a annoncé cet été la réduction de sa présence militaire au Mali, les autorités maliennes seraient en passe de signer un accord avec le groupe paramilitaire russe Wagner. Le Mali confirme des pourparlers en cours. Qui sont ces miliciens russes, appartenant à une société privée mais proches du Kremlin ?
L'ONG Amnesty international l'appelle "l'armée secrète de Vladimir Poutine". Fort de 2 500 à 5 000 mercenaires, le groupe de sécurité russe Wagner serait en passe de signer un accord avec la junte malienne, selon Reuters.
Seule certitude, le ministère malien de la Défense a admis, mardi 14 septembre, auprès de l'AFP mener des pourparlers avec cette société militaire privée, tout en insistant sur le fait qu'"à ce stade, rien n'a été signé". L'éventuel recours à la sulfureuse société pourrait déboucher sur le déploiement d'un millier de paramilitaires russes au Mali si ce rapprochement est confirmé.
L'arrivée de ces troupes pourrait remettre en cause l'engagement de la France au Mali, où ses militaires combattent les groupes jihadistes depuis huit ans.
Apparu pour la première fois aux côtés des sécessionnistes du Donbass en Ukraine en 2014, Wagner n'a pas d'existence légale en Russie, où les sociétés militaires privées sont interdites. Mais la présence du groupe a été documentée avec les troupes de Bachar al-Assad en Syrie, en Libye aux côtés des forces du maréchal Khalifa Haftar ou encore comme "instructeurs" en Centrafrique et ailleurs. Des médias occidentaux ont également fait état d'une présence au Mozambique, mais aussi au Soudan lors des répression de manifestants anti-Omar el-Béchir en 2019.
Soupçonnés d'exaction en République centrafricaine
En République centrafricaine, explique Clément Di Roma, le correspondant de France 24 à Bangui, "le groupe Wagner est implanté depuis plusieurs années". "Officiellement, Moscou a déployé des instructeurs russes dans le pays depuis 2018 pour former l'armée nationale mais derrière, c'est la société de mercenariat privé qui opère, selon des experts des Nations unies", rappelle le journaliste. Un groupe d'experts de l'ONU s'est alarmé dès le mois de mars du recrutement par le gouvernement de la République centrafricaine de sociétés militaires et de sécurité privées étrangères, opérant aux côtés des forces gouvernementales et accusées de multiples exactions.
"Depuis la crise électorale en décembre 2020 puis l'attaque des rebelles sur Bangui, l'État centrafricain a reçu de nombreux renforts de la société Wagner. Jusqu'à 2 000 mercenaires seraient présents. Ils combattent encore aux côtés de l'armée nationale en région et depuis janvier, ils ont repoussé la coalition rebelle vers les frontières au nord du pays. En juin, les experts de l'ONU envoyés ici parlaient de pillages, d'assassinats aveugles, de recours à la force excessive en pointant du doigt les forces nationales, leurs alliés russes et aussi les troupes rebelles", détaille Clément Di Roma. Le rapport onusien, paru fin juin, évoque en effet des "violations des droits de l'Homme et manquements au droit international humanitaire".
Toutefois, rappelle le correspondant de France 24, la Russie et le gouvernement centrafricain nient toute participation russe dans les opérations des forces nationales.
Un milliardaire proche du Kremlin
Le groupe Wagner, avec qui Moscou dément tout lien, est pourtant suspecté d'appartenir à un homme d'affaires proche du Kremlin, Evgueni Prigojine. Ce milliardaire de Saint-Pétersbourg, au passé de prisonnier pour banditisme, a fait fortune dans la restauration haut de gamme, puis en fournissant les cantines de l'armée russe. "Propriétaire de restaurants de luxe fréquentés en 2000 par Poutine", il devient "le traiteur officiel du Kremlin", raconte l'ONG Amnesty international qui publie un rapport sur le groupe paramilitaire. "Il utilise la rente pour bâtir un empire de communication et de médias que le FBI accuse, en 2016, d'avoir influencé l'élection présidentielle américaine en faveur de Donald Trump à travers son usine à trolls, la fameuse Internet Research Agency. Il se diversifie enfin dans l'exploitation minière, gazière et pétrolière en Afrique et au Moyen-Orient", indique l'ONG.
Un recruteur pour le groupe Wagner interviewé par France 24 en 2018 lors d'une enquête sur cette mystérieuse organisation avait avoué, à demi-mot, travailler pour l'État russe. "L'objectif principal de toute entreprise militaire privée est de défendre les intérêts de son gouvernement s'il ne peut pas utiliser son armée régulière. Nos objectifs se sont des revenus financiers et la possibilité de prendre le contrôle d'un grand marché de ressources pétrolières pour notre pays", expliquait l'homme à la tête de l'un des ces groupes privés, connecté à Wagner.
Selon Amnesty international, l'organisation tire son nom d'un lieutenant-colonel du renseignement militaire russe passé au privé, un certain Dimitri Outkine, nostalgique des nazis, qui "s'est choisi pour nom de guerre 'Wagner' en hommage au compositeur préféré d'Adolf Hitler".
Une plainte déposée en Russie pour torture en Syrie
Amnesty international, mais aussi d'autres ONG des droits humains comme la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) ou l'association russe Memorial, accusent la société Wagner de commettre des tortures, des exécutions ou des viols contre des civils, dans des zones de conflit.
Pour la première fois, une plainte a été déposée en Russie le 15 mars par trois ONG, dont la FIDH. Elles accusent des membres de l'organisation Wagner d'avoir torturé et décapité un déserteur supposé de l'armée syrienne, en 2017, alors qu'ils se trouvaient en Syrie. Dans une vidéo du meurtre, révélée dès 2018 par le journal russe indépendant Novaïa Gazeta, on voit des hommes parlant russe frapper leur victime avec un marteau puis le démembrer, finissant par l'asperger d'essence et mettre le feu à son corps tandis que sa tête était suspendue à un poteau.
Depuis, la Novaïa Gazeta a été gravement menacée et la plainte est restée pour le moment sans suite.
Source : france24