Le niveau de l’assistance reflète l'importance accordée par les pays du voisinage aux retombées de l'effondrement de l'accord de cessez-le-feu sur leur sécurité et leur stabilité
Les Etats du voisinage de la Libye ont adopté, au cours de leur réunion à Alger des mesures concrètes pour réactiver leur rôle dans ce pays pétrolier afin de préserver leur sécurité et leur stabilité et d’éviter des scénarios catastrophe dans la région.
Sur fond de torpeur internationale à l’issue de l’échec du Forum du Dialogue politique et du Parlement libyens à élaborer la Règle constitutionnelle et les lois relatives aux élections présidentielle et législatives, la réunion des pays du voisinage est venue pour faire souffler un nouveau vent d'espoir quant à la possibilité d'inciter les protagonistes de la crise à s'attacher à une solution politique et à identifier des options exclusivement pacifiques.
En effet, la situation politique et sécuritaire en Afrique du Nord, dans la région du Sahel et dans le Bassin du Nil est assez précaire et délicate, traversant une conjoncture assez tendue, et tout échec à contenir la crise libyenne aura des impacts certains sur les pays du voisinage, qui seront les premiers à payer le prix d'une nonchalance internationale dans la maîtrise de l’imprudence de certains acteurs en Libye.
Il s’avère des noms des personnalités participantes à la réunion d’Alger et des points mentionnés dans la Déclaration finale que les pays du voisinage ne peuvent s’offrir le luxe d’ignorer les développements qui n’augurent rien de bon dans le dossier libyen.
Ont pris part à la rencontre qui s’est tenue, les 30 et 31 août écoulé, les ministres des Affaires étrangères de l’Egypte, Sameh Choukri, de la Tunisie, Othman Jarandi, du Soudan, Maryam al-Mahdi, du Tchad, Chérif Mahamat Zene, du Niger, Hassoumi Massaoudou, de la Libye, Najla Mangouch et de l’Algérie, Ramtane Lamamra, qui a présidé la réunion en sa qualité de représentant du pays organisateur.
Ce qui a conféré à la rencontre d’Alger plus de poids est la participation de l’envoyé spécial des Nations Unies pour la Libye, Ján Kubiš, du Secrétaire général de la Ligue des Etats Arabes (LEA), Ahmed Aboul Gheit, du ministre des Affaires étrangères du Congo, Jean-Claude Gakosso, dont le pays préside la Commission de haut niveau relevant de l’Union africaine (UA) sur la Libye et du Commissaire de l’UA aux Affaires politiques et à la Sécurité, Bankole Adeoye.
- Vers une plus large adhésion pour résoudre la crise
La réunion d’Alger des pays du voisinage a mis en place un mécanisme de garantie de suivi de l’accord convenu entre les six pays, en coordination avec les instances et le gouvernement libyens.
Il a été décidé, à cet effet, de constituer une délégation pour visiter la Libye afin d’afficher la solidarité avec les Libyens et de prendre attache avec les différentes parties dans le but d’évaluer le processus politique.
Cette mesure signifie l’exercice de davantage de pression à l’adresse des protagonistes politiques, en particulier, les membres du Forum du Dialogue, de la chambre des députés et du Haut Conseil d’Etat, afin d’accélérer le processus d’élaboration de la Règle constitutionnelle et des lois électorales, l’objectif étant de tenir le scrutin à la date initialement prévue.
La Déclaration a mis l’accent, dans ce contexte, sur l’importance de la concertation entre le Mécanisme des pays du voisinage et le Forum du Dialogue politique libyen, parrainé par l’ONU, et à qui a été dévolu la délicate tâche d’élaborer la Règle constitutionnelle, sur la base de laquelle se tiendront les élections du 24 décembre prochain.
Le Forum du Dialogue politique a échoué, lors d’une réunion organisée le 2 juillet dernier à Genève à aboutir à un accord au sujet de la Règle constitutionnelle.
La Mission onusienne s‘emploie à rapprocher les points de vue entre les 75 membres du Forum, que ce soit à travers la Commission des arrangements ou la Commission juridique. Toutefois, le gap séparant les différents protagonistes n’a pas été comblé jusqu’à présent.
Les pays du voisinage s’emploient à user de leur pouvoir, chacun selon son influence, auprès des membres du Forum du Dialogue en vue d'accélérer le processus d’élaboration de la Règle constitutionnelle.
Quant au volet sécuritaire et militaire, il a été convenu de la nécessité d’assurer une coordination entre les pays du voisinage et le Comité militaire mixte (5+5) pour mettre en place un mécanisme pratique et efficace de retrait des mercenaires du territoire libyen.
Il a été décidé, dans ce cadre, de « réactiver les deux sous-commissions chargées de la politique et de la sécurité, présidées respectivement par l’Egypte et l’Algérie, tout en déterminant les questions et points devant être encadrés et pris en charge. Les deux sous-commissions sont appelées à se réunir dans les plus brefs délais ».
Les pays du voisinage libyen avaient convenu, en 2014, de former deux commissions, sécuritaire et politique, présidées par l’Algérie et l’Egypte. Cependant, les divergences des positions des Etats limitrophes à la Libye quant à la solution à apporter à la crise ont fait que ces deux structures n’ont jamais été opérationnelles, d’autant plus que certains Etats avaient soutenu de manière franche et directe le camp du général à la retraite, Khalifa Haftar, en lui fournissant armes et mercenaires.
Les réunions des six pays du voisinage se sont limitées uniquement à la Tunisie, à l’Algérie et à l’Egypte. De plus, et après que le Caire a envisagé d’intervenir militairement en Libye, en 2020, et d’armer les tribus de ce pays, l’Algérie avait menacé de limiter sa coordination avec la Tunisie seulement.
Néanmoins, l’Algérie a resuscité la rencontre des six pays du voisinage, en date du 22 janvier 2021, quelques jours après la tenue de la première Conférence de Berlin et après la conclusion par les protagonistes du conflit libyen d’un Accord de cessez-le-feu, le 23 octobre 2020.
Il a été, également, décidé de multiplier les contacts avec les « différentes parties étrangères » pour mettre en exergue le caractère inéluctable de la solution politique, considérée comme étant l’unique solution pacifique de la crise libyenne.
Les ministres ont salué, par ailleurs, les mesures que compte prendre l’Union africaine, en prélude à la tenue de la Conférence de la Réconciliation nationale entre Libyens, en coordination avec les pays du voisinage.
L’Algérie s’emploie à transmettre son expérience en matière de réconciliation nationale qui avait, entre autres, mis fin à sa crise sécuritaire, et ce à la demande expresse du Conseil présidentiel libyen, en charge de ce dossier.
- Le Soudan, le Tchad et le Niger, à la recherche d’un plus grand rôle
Bien que faisant partie des pays les plus impactés, parmi les Etats du voisinage libyen, par la détérioration sécuritaire chez leur voisin du nord, il n’en demeure pas moins que ces trois pays ont été marginalisés dans plus d’une Conférence internationale consacrée à cette question.
En effet, les trois pays en question n’avaient pas reçu d’invitation pour prendre part aux deux Conférences de Berlin sur la Libye ni aux réunions des pays du voisinage qui se sont limitées pendant une longue période à la Tunisie, à l’Egypte et à l’Algérie.
C’est pour pallier ce manquement que la Déclaration finale de la réunion d’Alger a appelé à accorder une importance particulière à l’impact de la situation en Libye sur les pays du voisinage du sud libyen et à œuvrer à les associer à l’ensemble des réunions régionales et internationales afférentes à la crise.
Il convient de noter que la Libye abrite plusieurs groupes rebelles soudanais et tchadiens ainsi que du Niger. Ces groupes rebelles exploitent l’état de guerre en Libye pour évoluer en tant que mercenaires afin d’amasser fonds et armes et retourner dans leurs pays respectifs chargés de nouvelles armes et de meilleures compétences de combats, ce qui menace la sécurité de ces pays, comme cela s’est passé au Tchad en avril dernier.
C’est pour cette raison que les ministres ont appelé à réactiver l’accord quadripartite entre la Libye et les pays du voisinage aux fins de sécuriser les frontières communes, dans une allusion à l’Accord signé en 2018 entre la Libye, le Tchad, le Niger et le Soudan.
Cet accord vise à priver les mouvements rebelles et les groupes terroristes dans les quatre pays de prendre chacun des quatre Etats comme point de départ ou une base arrière pour cibler les pays limitrophes.
- Le gouvernement de Dbeibeh : le principal vainqueur
Plusieurs parties, dont la ministre libyenne des Affaires étrangères, avaient qualifié la réunion d’Alger de « rencontre réussie et centrale pour les pays du voisinage ». De même, le Conseil résidentiel libyen a salué le rôle algérien qui soutient la stabilité dans le pays.
En revanche, ce qu’aucune partie libyenne ne le dit clairement est que la réunion des pays du voisinage a renforcé la légitimité du gouvernement d’Union présidé par Abdelhamid Dbeibeh, au moment où Aguila Salah, président de la chambre des députés, œuvre à lui retirer sa confiance, de même que Haftar refuse de se soumettre aussi bien à l’autorité du gouvernement que du Conseil présidentiel, commandant suprême de l’armée.
Mieux encore, la rencontre d’Alger a mis l’accent sur « leur attachement à la souveraineté de l’Etat libyen, à son unité nationale et à son intégrité territoriale », dans une allusion franche au rejet de toute tentative de partage, comme le fait miroiter de temps à autre, Aguila Salah.
Le refus des pays limitrophes de l’armement des « formations armées » va resserrer l’étau sur les milices de Haftar et leurs soutiens. Des rapports de l’armée libyenne évoquent l’atterrissage d’avions chargés d’armes et de mercenaires en provenance de Syrie, allusion faite à la Russie.
Cette décision exercera davantage de pressions sur l’Egypte afin de ne pas utiliser son territoire pour armer les milices de Haftar, que ce soit directement ou par le biais d’une tierce partie, bien que Le Caire n’ait pas honoré ses promesses par le passé en la matière.
L’intensification par les pays du voisinage libyen de leurs contacts et initiatives est de nature à aider à tenir les élections à la date prévue ou du moins à éloigner le spectre de la guerre ainsi que celui du partage du pays.
Source : AA