Election du premier président arabe au Niger : Les alliances politiques l'emportent sur le tribalisme

Mohamed Bazoum a remporté les élections alors que les Arabes au Niger ne représentent que 1% de la population, face à son rival qui appartient à une tribu qui représente 50% des habitants du pays

Le candidat du parti au pouvoir au Niger, Mohamed Bazoum, a remporté une dure victoire face à l'ancien président Mahamane Ousmane au second tour de la présidentielle. Il est ainsi devenu le premier président arabe de l'histoire du pays, malgré sa défaite à la capitale, Niamey .

Selon les résultats définitifs non officiels annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (CENI), Bazoum (Abou Azoum, comme l'appellent quelques-uns de ses partisans) a obtenu plus de 2,5 millions de votes, soit 55,75% des voix, contre plus de 1,9 millions de votes en faveur de son opposant, Mahamane Ousmane, soit 44,25% des voix.

Cependant, Ousmane a contesté l'intégrité des résultats des élections et a revendiqué la victoire. Des dizaines de ses partisans ont manifesté dans les rues de Niamey, avant que les résultats définitifs n'apparaissent.

Quatre contre quatre

La victoire de Bazoum, qui était auparavant à la tête des ministères de l'Intérieur et des Affaires étrangères, n'a pas été écrasante même s'il était soutenu par le parti au pouvoir et 50 petits partis, en plus de son alliance avec les troisième et quatrième candidats du premier tour; Seini Oumarou du Mouvement national pour la société du développement (MNSD /8,95%) et Albadé Abouba du Mouvement patriotique pour la République (MPR /7,07%).

Bazoum a remporté, comme prévu, plus de 55% des voix, car les résultats du deuxième tour étaient conformes aux alliances des vainqueurs au premier tour et ce, malgré la baisse du taux de participation qui est passé de 69,67% à 62,91% entre les deux tours.

Bazoum a gagné dans quatre provinces sur un total de huit, tandis qu'Ousmane s'est emparé des quatre autres.

Le facteur tribal a joué en faveur du candidat de l'opposition

Ousmane, premier président élu au Niger (1993-1996), était à deux doigts de remporter la présidence pour la deuxième fois, car il est soutenu par sa puissante tribu Haoussa, qui représente 50% de la population totale, soit plus de 23 millions d'habitants.

Il avait le contrôle sur trois provinces stratégiques du sud-ouest, dont Niamey, dans lesquelles il a obtenu environ 78% des voix, soit un écart de plus de 150 000 voix.

C'est ce qui explique le fait que les partisans d’Ousmane à Niamey n’avaient pas accepté sa défaite, seul un quart des électeurs de la capitale ayant voté pour Bazoum.

Il en va de même pour la province de Tillabéri où Ousmane a obtenu 258 000 voix de plus que Bazoum.

Tillabéri a été le point de départ pour la campagne électorale d'Ousmane au second tour malgré le fait qu'elle soit située dans le triangle frontalier avec le Mali et le Burkina Faso, où sept fonctionnaires de la Commission électorale avaient été tués, le jour du scrutin, le 21 février dernier.

A Dosso (sud-ouest), le candidat de l'opposition a également gagné avec un écart de près de 80 000 voix face au candidat du parti au pouvoir.

L'allié d'Ousmane, l'ancien ministre des Affaires étrangères, Ibrahim Yakouba, (classé cinquième au premier tour de la présidentielle avec 5,38%) est originaire de Dosso, ce qui explique l'influence du facteur tribal dans la bataille électorale au niveau de certaines régions.

Ousmane, lui, est originaire de Zinder ( Sud) qui est la quatrième province où il avait remporté le plus de votes. C'est, en effet, l'une des plus grandes provinces en termes de population.

Ousmane s'est, toutefois, férocement battu pour gagner les élections dans sa ville natale mais il n'avait remporté que 148 voix de plus que Bazoum. Les alliances politiques que ce dernier avait nouées avec plusieurs partis lui ont presque valu la victoire dans le fief de son rival.

Tahoua a offert la victoire à Bazoum

Bazoum appartient à la tribu arabe des "Oulad Souleymane", disséminée dans le nord et le sud-ouest de la Libye, qui ne représente, avec le reste des tribus arabes du Niger, qu'environ 1% de la population. Néanmoins, il a utilisé ses alliances politiques pour affronter le facteur tribal qui ne jouait pas en sa faveur.

C'est la raison pour laquelle Bazoum a remporté une victoire massive à Agadez, la plus grande des provinces en termes de superficie, se trouvant sur la frontière avec l'Algérie, la Libye et le Tchad. Des tribus arabes telles que les Touaregs et Toubous y sont réparties et elles soutiennent Bazoum. Il y a obtenu plus de 134 000 voix contre moins de 40 000 pour son rival Mahamane Ousmane.

Originaire de Diffa, au sud-est du pays, Bazoum y a décroché une belle victoire, d'autant plus qu'il est très populaire chez la tribu arabe des Mahamid, immigrée du Tchad depuis 1974.

Bazoum a défendu et protégé la tribu Mahamid contre la décision relative à l'expulsion de 150 000 de ses membres en 2006, quand il était député sous la présidence de Mamadou Tandja, déchu lors du coup d'État de 2010.

La province de Diffa se trouve sur la frontière du Nigéria et du Tchad et comprend des parties du lac Tchad, le fief de Boko Haram, qui avait tué le chef du centre électoral de la région, le jour du scrutin.

Bazoum, qui était ministre de l'Intérieur, a également arraché le contrôle de deux districts cruciaux dans le centre du pays. Le premier est Marad où il avait battu Ousmane avec un écart de 76 000 voix. Le second est Tahoua où les ambitions d'Ousmane ont été anéanties.

Il y a recueilli plus de 912 000 voix contre 128 000 voix pour son rival. Un écart de 784 000 voix qui était largement suffisant pour remporter les élections haut la main.

Le premier transfert de pouvoir entre deux présidents élus

Le président sortant, Mohamadou Issoufou, marque un point quant au succès du transfert pacifique du pouvoir entre deux présidents démocratiquement élus, pour la première fois au Niger, car il n'avait pas procédé à un amendement de la Constitution lui permettant de briguer un troisième mandat, comme l'ont déjà fait plusieurs présidents africains.

Il est cependant probable que les violentes manifestations à Niamey et Zinder, qui ont fait à ce jour deux morts, impactent la stabilité politique du pays.

Bazoum s'est, par ailleurs, engagé, dans son premier discours tenu après l'annonce des résultats, à travailler côte à côte avec le candidat de l'opposition afin de servir le peuple et de faire face aux défis et aux circonstances difficiles que traverse le pays.

La prochaine étape consistera en la formation du nouveau gouvernement à partir de la majorité élue via les législatives qui ont eu lieu simultanément avec le premier tour de la présidentielle, le 27 décembre 2020.

Le parti au pouvoir a remporté 80 sièges sur 166 (le total des sièges est de 171 au Parlement. Les députés éliront eux-mêmes les 5 autres députés plus tard), tandis que ses alliés Amarou et Abouba ont remporté 13 sièges chacun, ce qui leur permet de former un gouvernement de coalition avec une majorité parlementaire confortable.

Selon les médias locaux et français, le parti au pouvoir a cédé la présidence du Parlement à Amarou, en échange de son soutien à Bazoum, au second tour de la présidentielle.

Bazoum, appelé "le philosophe" pour avoir étudié la philosophie, a réussi à vaincre le tribalisme dans un pays où près de 77% de sa population vit à la campagne, et a remporté une belle victoire grâce à ses alliances politiques et au soutien du président Issoufou.

Source : AA

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