La région du Sahel sur les traces du scénario afghan

La réédition du scénario afghan dans la région du Sahel n’est pas exclue, si les pays de la zone et leurs composantes tribales majeures ne s’activent pas à contrer ce projet avec l’aide des pays limitrophes

La chute de l’Afghanistan aux mains des Taliban menace d’embraser davantage la région du Sahel, concomitamment avec la recrudescence des attaques armées perpétrées dans la région, en particulier au Mali, dont les Nations Unies avaient mis en garde quant à son éventuel effondrement, dès lors que la situation a franchi le seuil de la gravité.

En effet, Iyad Ag Ghali, chef du « Groupe de soutien de l’islam et des musulmans » (GSIM), affilié à al-Qaida dans la région du Sahel, avait félicité, dans une vidéo enregistrée, diffusée depuis plusieurs semaines, le Mouvement des Taliban pour ses victoires remportées en Afghanistan.

Fondateur du Mouvement « Ansar Eddin » - qualifié par nombre d’observateurs de « Taliban des Azawad » - Ag Ghali est l’un des principaux leaders des Touaregs au Mali.

Ancien consul de l’Etat malien en Arabie Saoudite, Iyad Ag Ghali vise, actuellement, à cloner l’expérience des Taliban, qui ont récupéré le pouvoir en Afghanistan, après le retrait de l’armée américaine.

Parmi les facteurs qui encouragent le chef touareg à rééditer la même expérience figure la faiblesse du régime malien. En effet, ce pays a été le théâtre de trois putschs depuis 2012, ainsi que la récente décision française de mettre fin à l’opération militaire « Barkhane » au Sahel et le retrait total du nord du Mali, à l’orée de l’année 2022.

Ag Ghali indique, dans ce cadre, que la France a décidé de se retirer du Mali et de mettre un terme à son opération militaire après avoir échoué à atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, « se contentant, selon lui, après des années de souffrance, du statut de coopération, sous l’appellation de la Coalition internationale de lutte contre le terrorisme ».

Le 10 juin dernier, le Président français, Emmanuel Macron, avait annoncé la fin de l’opération militaire Barkhane dans la région du Sahel, opération lancée par Paris en 2014.
Macron a précisé que les forces françaises se retireront progressivement des villes de Kidal, de Tombouctou et de Tessalit au début de l’année prochaine.

Le retrait français du Nord du Mali aboutira logiquement à faire assumer la mission sécuritaire, en premier lieu, aux forces onusiennes, au nombre de 15 mille, ainsi qu’à l’armée malienne, présente en effectifs moindres dans ces zones. De plus, l’Algérie, pays limitrophe du Mali (nord), sera également concernée, d’autant plus que ce pays avait déjà été l’objet d’une attaque d’envergure lancée par les groupes armés depuis le territoire malien.

- Un Etat menacé de dislocation

La situation sécuritaire précaire, la recrudescence des attaques terroristes, l’absence d’une autorité élue et stable, la réduction du soutien international, le réchauffement climatique qui génère des retombées en termes de sécheresse et d’inondations inattendues, et les conflits tribaux entre agriculteurs, sont autant de crises qui ne menacent pas uniquement le régime actuel de chute mais qui pourraient générer l’effondrement, voire la disparition de l’Etat.

L’expert indépendant des Nations Unies sur la situation des droits de l’Homme au Mali, Alioune Tine, a déclaré, le 6 août courant, que « la propagation rapide de la violence au Mali menace la pérennité de l’Etat en soi. La grave et durable détérioration de la situation sécuritaire a dépassé le seuil de la gravité ».

Au terme d’une visite de 11 jours au Mali, l’expert onusien a souligné que « L’Etat faible et impuissant fait face à une grande difficulté pour assumer le rôle qui est le sien, s’agissant notamment de la protection de la population civile contre le danger que représentent les groupes armés qui prolifèrent partout dans le pays ».

Le 27 juillet dernier, le GSIM avait revendiqué huit opérations armées commises contre les forces onusiennes, l’armée malienne et les unités françaises durant le même mois.

Le GSIM est une coalition d’organisations terroristes, en l’occurrence, l’organisation d’al-Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), le régiment des Mourabitoune (qui a fait scission de l’AQMI), le Front de Libération de Macina et le groupe Ansar Eddine.
De plus, le groupe terroriste Daech (section Sahara) évolue dans la région de Gao, proche des frontières avec le Niger et ses attaques sont plus sanguinaires et plus violentes.

- Une dangereuse spirale de violence

Le Mali n’est pas le seul pays de la région à souffrir de la grave menace sécuritaire. En effet, le Niger et le Burkina Faso partagent les mêmes risques, en particulier, dans la zone du « Triangle frontalier ».
Durant le mois d’août, la zone du « Triangle frontalier » s’est transformée en des « marécages de sang », des suites des attaques armées qui ont fait pas moins de 250 morts, dont des femmes et des enfants.

Le 18 août, une attaque perpétrée par quelque 400 éléments armés non-identifiés, contre un convoi dans le nord du Burkina-Faso, avait fait 120 victimes, dont 65 civils et 55 militaires. De même, 58 assaillants ont péri dans cette attaque, selon des sources locales et médiatiques.

Au Mali, 51 civils ont été tués dans une opération armée lancée, le 8 août contre trois villages situés dans la région de Gao, à proximité des frontières avec le Niger. Le 19 du même mois, ce sont 15 soldats maliens qui furent victimes d’une opération similaire dans le centre du pays.

Le Niger aussi a été touché de plein fouet par la folie sanguinaire des groupes armés. En effet, trente-sept civils, dont seize enfants, ont été assassinés lors d’une attaque commise, le 14 août, dans la région de Tillabéri, située dans le fameux « Triangle frontalier ».

En date du 21 août, les éléments armés ont attaqué à nouveau la mène zone, faisant 17 morts, tous des civils.

Quelques jours auparavant, soit le 11 août, des assaillants armés ont tué quinze civils près des frontières du Niger avec le Mali.

Les armées du Mali, du Niger et du Burkina Faso, appuyées par 1200 soldats tchadiens et la Mauritanie, dans le cadre de la Coalition G5 Sahel, en plus de 5100 militaires français et de quinze mille soldats onusiens, des centaines d’éléments des forces spéciales européennes (Opération Takuba) et des centaines de membres des forces américaines déployés dans les Etats du Sahel, ne sont pas parvenus à stopper le bain de sang qui secoue la région du Triangle frontalier.

La situation est extrêmement dangereuse et le Mali, théâtre de deux coups d’Etat en 2020 et en 2021, semble le maillon faible parmi les pays du Sahel.

L’Organisation al-Qaida s’apprête, d’ailleurs, à proclamer un « émirat islamique » dans le nord du Mali, à l’instar de ce qui se passe présentement en Afghanistan, et ce avant même le parachèvement du retrait français de la région, au début de l’année 2022.

Cette situation a poussé l‘Algérie à faire part de son « inquiétude quant à la reprise et à la recrudescence du rythme des graves attaques terroristes » dans plusieurs Etats du Sahel au cours des semaines écoulées.

- Les Touaregs peuvent entraver le projet d’al-Qaida

A l’exception de la branche Ag Ghali, les Mouvements armés Touaregs (Amazighs) et arabes (Azawad), déployés dans le nord du Mali, sont en mesure d’avorter le projet de l’organisation d’al-Qaida visant à proclamer un « Emirat islamique » qui pourrait s’étendre jusqu’au Darfour, dans l’ouest du Soudan.

L’Algérie pourrait envisager d’intervenir pour empêcher la mise en place d’une alliance entre les Mouvements Touaregs et Azawad d’une part et l’organisation d’al-Qaida d’autre part, comme cela s’était passé en 2012, comptant en cela sur sa fine connaissance des tribus de la région, qui constituent une extension humaine, au-delà de ses frontières, en Afrique sub-saharienne.
Cette réalité est parfaitement saisie par les Nations Unies dans le but d’empêcher la chute du Nord du Mali dans l’escarcelle d’al-Qaida ou dans le giron de Daech, après le retrait de l’armée française de la région.

Le chef de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), le diplomate mauritanien El-Ghassim Wane , a mis l’accent sur l’importance capitale que revêtent l'Accord de Paix et de Réconciliation issu du processus d’Alger de 2015, "devenu inéluctable pour garantir une stabilité durable au Mali".

Le responsable onusien a ajouté que c’est à la faveur de l’application de l'Accord d’Alger que les parties signataires sont convenues, pour la première fois au Mali à « faire taire les armes ».
Néanmoins, ce que ne dit pas clairement Wane c’est que les atermoiements de Bamako à mettre en œuvre certains points de l'Accord d’Alger pourraient inciter les Touaregs à se rebeller à nouveau et pourquoi pas s’allier avec les groupes terroristes pour se séparer du Mali.

Toutefois, ce scénario est peu probable dans la mesure où les groupes terroristes s’étaient déjà rétractés des accords passés avec les mouvements rebelles, Touaregs et Azawad, après l’expulsion de l’armée malienne des villes du nord, en 2012, pour s’emparer seuls de l’ensemble de la région.

La réédition du scénario afghan dans la région du Sahel n’est pas exclue, si les pays de la zone et leurs composantes tribales majeures ne s’activent pas à contrer ce projet avec l’aide des pays limitrophes. Toutefois, al-Qaida et Daech diffèrent dans leur philosophie de combat des Taliban qui demeure un groupe local, tandis que les deux autres organisations ne reconnaissent pas les frontières séparant les pays islamiques.

Source : AA

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