Le Parlement libyen échoue à adopter le budget, le Conseil d'Etat cherche une autre option

Le Parlement libyen a tiré le coup de grâce sur le projet de budget, mais le pire dans cette situation, c'est que l'échéance des élections du 24 décembre s'éloigne de plus en plus, sur fond de l'obstination de Khalifa Haftar à mettre le gouvernement d'union au bord du précipice, ce qui serait synonyme de retour au carré de la scission.

Le gouvernement d'Union nationale n'a plus d'autre choix que de recourir au Conseil de sécurité de l’ONU, qui se réunira, jeudi, pour débattre du dossier libyen, d'autant plus que la date de la tenue des élections du 24 décembre prochain fait l'objet désormais d’un doute profond.

- Tobrouk n'est plus un lieu sûr pour les députés

Peu avant la tenue de la session de la Chambre des députés dans la ville de Tobrouk (est), mardi dernier, des voix loyales à Haftar se sont élevées pour mettre en garde les parlementaires, qualifiant le vote en faveur de l'adoption du budget de « traîtrise » (vis-à-vis de Haftar).

Dans une déclaration faite aux médias, la députée Asma al-Khouja, a souligné que « des coups de feu ont été tirés à proximité du siège du Parlement, et nous avons assisté à des menaces proférées contre les députés en dehors de la salle ».

Al-Khouja a relevé que « si le budget avait été adopté, il aurait été probable que des députés soient victimes de préjudice ».

En effet, les députés étaient sous une pression extrême et ont fait l'objet de menaces de la part des milices de Haftar, bien que la ville de Tobrouk est supposée être sous l'influence de Aguila Salah, président du Parlement, ce qui dénote de l'existence d'une complicité de ce dernier pour faire capoter l'adoption du budget par le Parlement.

Le projet du budget n'a pas été soumis aux députés comme cela a été convenu mardi et des prétextes fallacieux ont été avancés, s’agissant notamment de l'absence du quorum (120 députés), tandis que le nombre de parlementaires réunis s'élevait à 82 seulement.

Le député représentant l'est du pays, Zied Dghaiem, a commenté la non-adoption du budget, en estimant que « la détermination du quorum (120 députés) pour l'adoption du budget est une parole juste servant une fausse cause et c'est une condition contraire à l'intérêt général et à l'objectif de la législation ».

Dans une déclaration faite au correspondant de l'Agence Anadolu, Dghaiem a demandé au président de la Commission législative de « publier les procès-verbaux des séances du Parlement qui avaient approuvé les précédents budgets, durant les sept dernières années, afin que le peuple sache par combien de voix les anciennes lois de finances avaient été approuvées ».

Dghaiem faisait ainsi allusion au fait que la Chambre des députés de Tobrouk avait adopté le budget du gouvernement provisoire, loyal à Haftar, par un nombre de voix inférieur à 120, à telle enseigne que certaines réunions se sont tenues en présence de moins de 30 députés après l'attaque de Haftar sur Tripoli en 2019.

La commission législative du Parlement n'avait pas, à l'époque, soulevé la question du quorum pour la tenue des séances, ce qui montre que le recours au prétexte de la présence de 120 députés, n'est qu'un subterfuge juridique pour entraver l'adoption du budget, et par conséquent affaiblir le gouvernement et asseoir la scission, ce qui rend l'organisation des élections à la date prévue plus difficile que ce qui était espéré.

- Le budget du fait accompli

Face à l'impuissance de la Chambre des députés d'adopter le projet de budget à cause, entre autres des menaces proférées par les miliciens, dont certains parmi eux ont ouvert le feu en dehors du siège de la Chambre des députés, le Haut Conseil d'Etat (institution consultative), présidé par Khaled Méchri, a recouru à une alternative en vertu de laquelle les projets de budget durant l’époque du gouvernement de l'Entente nationale (2016-2021) avaient été adoptés.

Khaled Méchri est convenu avec le gouverneur de la Banque centrale, Seddik Kébir, samedi, en présence du président de la Cour des comptes, Khaled Choukchok, du président de l'Instance du Contrôle administratif, Mohamed Chanti, et du président de l'Instance nationale de Lutte contre la corruption, Noaman Cheikh, d'octroyer au gouvernement un budget provisoire mensuel sur la base de la règle du 1\12ème.

Le scénario du gouvernement d'Entente et du Parlement se répète ainsi avec le gouvernement de l'Union, à l'exception d'un détail. En effet, le gouvernement d'Union a obtenu l'investiture de la Chambre des députés contrairement au gouvernement de l'Entente, alors que pour le reste, les autres points sont semblables en termes d'atermoiements, d'entraves et de scissions.

Le gouvernement de l'Union sera amené à adopter la même méthode du gouvernement de l'Entente pour obtenir un budget mensuel de la part de la Banque centrale, ce qui le laissera en définitive sous le contrôle de l'institution financière.

Cette crise dévoile l'ampleur de la vigilance de Méchri qui avait refusé le parachèvement de la répartition des postes régaliens avant la réunification de l'institution militaire. A défaut, le poste du gouverneur de la Banque centrale aurait échu à « l'un des hommes de Haftar » et à ce moment-là, le gouvernement n'aurait pas eu la possibilité d'obtenir le budget provisoire mensuel de la part de la Banque centrale, après l'empêchement de l'adoption du projet de budget par le Parlement.

D’un point de vue légal, l'économiste Najm Abdallah Ouhida a précisé que la règle du 1/12ème, connue également sous le nom « d'allocations mensuelles provisoires » représente un mécanisme de décaissement, qui est généralement utilisé par les gouvernements et qui est mentionné dans les lois et ce, uniquement au cas où le nouveau budget n'est pas adopté avant le début de l'année financière, pour un quelconque motif.

- Sur la voie de la scission

Au même titre que la Chambre des députés a été impuissante pour adopter le budget pour absence de quorum, elle ne sera pas en mesure de faire passer la Règle constitutionnelle ni les lois électorales pour les mêmes raisons. Le nombre des députés se réduira probablement à moins de la moitié.

Rappelons que le Forum du Dialogue politique a échoué jusqu’à présent à parvenir à un accord au sujet de la Règle constitutionnelle.

La députée Asma al-Khouja a déclaré, à ce sujet, que la majorité des députés sont désormais « atteints de désespoir et de dépit, et certains parmi eux ont décidé de ne plus assister à d'autres sessions consacrées au projet de budget ».

Il n'est pas exclu que la majorité des députés de la région occidentale du pays boycotte, à nouveau, les réunions du Parlement à Tobrouk, d’autant plus qu'ils représentent près de la moitié des parlementaires.

Cet état de fait consacrera la scission du Parlement et fera de l'organisation des élections une question inatteignable et difficile, dans la mesure où il n'est pas possible d'organiser le scrutin sans une Règle constitutionnelle et sans lois électorales qui doivent être au préalable adoptées par la Chambre des députés.

Dans une manœuvre engagée pour soulever davantage de différends avec la région de l'ouest du pays, Aguila Salah a ordonné la mise sur pied d'une Commission parlementaire chargée de l’élaboration de propositions de projet de lois électorales, en collaboration avec la Mission onusienne et la Commission électorale, tout en excluant le Haut Conseil d'Etat, qui siège à Tripoli.

Haftar va de l'avant sur la voie de la politique consistant à « jouer ou à gâcher le jeu ». En effet, le général à la retraite exerce, via ses sympathisants à la Chambre des députés, des pressions pour entraver et bloquer l'action du gouvernement, afin de contraindre ses adversaires à l’approbation et à l’acceptation de sa candidature à la prochaine présidentielle, sans pour autant qu'il ne renonce à sa nationalité américaine, ou au treillis militaire voire à ses exigences d'allouer des fonds à ses milices qui ne seront pas soumises à l'autorité du Conseil présidentiel, considérée par la loi comme étant le commandant suprême de l'armée.

Un mince espoir démarre envisageable cependant si le Conseil de sécurité des Nations unies parvenait, y compris les pays qui appuient Haftar, à exercer des pressions sur ce dernier pour mettre un terme à l’ensemble des entraves et des embûches qu'il dresse sur la voie de l'action du gouvernement et du processus politique en général, même si cela amènerait à lui infliger des sanctions ainsi qu’à l'encontre de Aguila Salah. Encore faut-il que ces pays souhaitent vraiment la tenue d'élections à la date prévue.

Une minorité de Libyens demeurent optimistes quant à la possibilité de l'intervention du Conseil de sécurité de l’ONU, de manière efficace et efficiente, pour punir les parties qui obstruent le processus politique en les nommant expressément, et ce à la lumière des précédentes séances du Conseil qui ont été marquées par la scission et la divergence des positions de ses membres, malgré la présence attendue du Chef du gouvernement libyen, Abdelhamid Dbeibeh à New York.

Source : AA

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