Une nouvelle rechute dans le processus de la réédification de l’Etat libyen après l’échec du Parlement à adopter le budget pour la cinquième fois consécutive, au moment où le pays est secoué par la crise à répétition de l’interruption de l’électricité, ce qui place le gouvernement d’Union nationale face à des défis délicats.
Après quatre jours de l’échec du Forum du Dialogue politique, tenu à Genève en Suisse, à adopter une Règle constitutionnelle sur la base de laquelle se tiendront les élections, précédé par l’échec de rouvrir à la circulation la route côtière reliant l’est à l’ouest du pays, voilà que la chambre des députés échoue à son tour à adopter le budget soumis à son examen par le gouvernement.
Quatre mois environ se sont écoulés depuis que le Parlement a investi officiellement le gouvernement d'Union nationale dirigé par Abdelhamid Dbeibeh n’a pas été suffisant pour faire adopter le budget, bien qu’il s’agisse d’un outil nécessaire, étant lié à la gestion des affaires de l’Etat, à la satisfaction des besoins des citoyens, s’agissant particulièrement du paiement des salaires, en plus de la reconstruction de ce qui a été détruit par la guerre et du financement des préparatifs pour les prochaines élections.
- Des raisons formelles qui dissimulent la vérité
Au vu des raisons évoquées et véhiculées par nombre de parlementaires, dont la majorité sont loyaux au général à la retraite, Khalifa Haftar, il s’agit de remarques d’ordre formel relatives à « la loi sur laquelle s’est basée le gouvernement pour allouer le budget et les montants de fonds alloués à certains secteurs et départements, parallèlement au fait que les objectifs du budget n’ont pas été élaborés selon des programmes et des projets clairs et en l’absence de ressources additionnelles et alternatives pour financer le budget".
Toutefois, la raison véritable à l’origine des entraves et embûches dressées sur la voie de l’adoption du projet de budget est autre. Il s’agit d’une raison politique portant sur le refus de Dbeibeh de se soumettre à l’autorité de Haftar, qui ne l’a pas encore rencontré, et d’allouer des fonds à ses milices.
En plus, des membres du Forum du Dialogue politique, issus de la région de l’ouest du pays, ont refusé l’abrogation des conditions qui empêchent Haftar de se porter candidat à la présidentielle, en particulier, la double nationalité, l’appartenance militaire et surtout les violations et exactions des droits humains.
Par ailleurs, Haftar réclame le parachèvement du processus de répartition des nominations aux postes régaliens, au premier rang desquels figure celui de gouverneur de la Banque centrale en désignant une personnalité, dont la loyauté est garantie.
Néanmoins, le Chef du gouvernement a été clair dans son rejet de se soumettre à Haftar, lorsqu’il a souligné, en réponse, en direct, à des questions de citoyens, qu’il « n’est pas possible que l’on soit sous l’autorité d’une quelconque partie interne qui est soutenue de l’extérieur et qui perçoit des fonds étrangers, des parties qui nous combattent et qui enclenchent des guerres ici en Libye ».
- Des concessions gouvernementales
De son côté, le vice-Premier ministre, Ali Kotrani, considéré comme étant proche de Haftar, a évoqué une volte-face de Dbeibeh et mis l’accent sur l’Importance de « payer les salaires » des milices de Haftar.
Il s’agit d’une déclaration dangereuse, particulièrement, si elle parvient à être concrétisée, dans la mesure où le gouvernement a céderait à une partie des exigences de Haftar sans pour autant que ce dernier ne se soumette à son autorité légale et légitime.
Dbeibeh lui-même a évoqué le transfert du siège du Marché financier à la ville de Benghazi ainsi que l’examen du transfert des sièges de la Compagnie nationale du Pétrole et de la Compagnie aérienne libyenne à la ville de l’est du pays, qui est soumise à l’autorité absolue de Haftar, et ce dans le cadre de nouvelles concessions offertes pour faire adopter le budget. Néanmoins, et malgré cela, Dbeibeh n’a pas atteint son objectif.
Le budget est devenu désormais un outil de pression aux mains de Aguila Salah, président de la chambre des députés, en vue de soumettre le gouvernement de Dbeibeh et la région occidentale du pays, et pour arracher d’eux davantage de concessions, tout en leur faisant assumer l’ensemble des échecs, et à leur tête, la crise aiguë de l’interruption de l’électricité, en dépit du fait que le gouvernement soit dépourvu des liquidités nécessaires pour traiter ces problèmes.
Les pressions exercées sur le Chef du gouvernement ne se sont pas limitées à la chambre des députés mais se sont étendues à la tentative de certains sympathisants de Haftar de lui bloquer la route et à la délégation l’accompagnant tout en brandissant les portraits et les posters du général à la retraite dans l’une des artères de la ville.
Dbeibeh avait quitté Tobrouk sans atteindre son objectif de faire adopter le projet de budget par le Parlement. En dépit de cela, il existe encore une chance, lundi prochain, pour adopter le budget, lorsque la chambre des députés se réunira à nouveau pour voter le texte, selon le porte-parole du Parlement, Abdallah Bliheq.
Le nombre de députés soutenant le gouvernement est supérieur au groupe de Aguila Salah mais ce dernier trouve souvent un moyen pour entraver les séances ne servant pas ses intérêts.
- Les caisses de munitions comme menace
Concomitamment à cela, des parties loyales à Haftar lançaient des campagnes médiatiques sur les réseaux sociaux contre Dbeibeh et incitaient la chambre des députés à ne pas adopter le projet de budget, à telle enseigne que le journaliste, Mahmoud Misrati, un proche de Haftar, a appelé à se préparer à extirper et à arracher Dbeibeh via « l’une des deux caisses ». Il faisait allusion aux urnes des élections ou aux caisses des munitions et de la guerre.
Misrati a ajouté : « La douloureuse solution qui passe par les caisses des munitions est devenue une option légitime ».
Ce discours est conforme à celui véhiculé par le même journaliste qui citait Haftar : « Si nous ne parvenons pas à une solution, sachez que vos forces armées (les milices) sont prêtes une fois de plus à libérer la capitale ».
Les menaces proférées par les milices de Haftar de reprendre les combats constituent une escalade inédite depuis la conclusion d’un accord de cessez-le-feu en date du 23 octobre 2020, avec comme principal objectif d’accentuer la pression sur l’ouest libyen pour le placer face à un dilemme, celui d’accepter Haftar en tant que candidat présidentiel, et sans préalables aucuns, ou de reprendre la guerre.
- Les options du gouvernement
Face aux entraves dressées par le Parlement sur la voie de l’adoption du projet du budget, les appels se multiplient à l’adresse du gouvernement pour passer outre l’institution législative et se diriger directement au Conseil présidentiel et à la Banque centrale afin d’obtenir les fonds nécessaires à la mise en œuvre de son programme.
En effet, la démarche suivie par Haftar et Aguila Salah n’indique en rien que le budget sera adopté dans un avenir proche. Pire encore, leur choix le plus probable consiste à affaiblir le gouvernement et à le rendre encore plus fragile, voire viser sa chute, d’autant plus que l’âge légal de ce gouvernement est actuellement de moins de six mois, devant prendre fin avec l’organisation des élections, le 24 décembre prochain.
Ce laps de temps parait très court, alors que le pic de la saison estivale approche avec son lot de recrudescence de la crise de l’électricité à laquelle fait face le gouvernement.
Rappelons que la crise de l’électricité avait poussé les Libyens à investir massivement les rues du pays, l’été dernier, que ce soit dans l’est ou dans l’ouest, voire dans le sud du pays. Cet épisode avait failli à l’époque provoquer la chute des gouvernements de l’Entente et provisoire.
Aguila et Haftar s’emploieraient à pousser le gouvernement de Dbeibeh au bord du précipice et de l’effondrement, avant même la fin de son mandat fixé au 24 décembre.
Face à ce scénario, les notables de la région de l’est et des politiques et nombre de militants de la région de l’ouest du pays ont lancé des appels à réactiver l’Accord politique et à passer outre la chambre des députés en s’adressant directement au Conseil présidentiel et à la Banque centrale pour obtenir les fonds inscrits au budget, à l’instar de ce qu’avait fait le gouvernement du Consensus lorsque le Parlement avait bloqué l’adoption du projet du budget.
Le député, Zied D’ghim a dit dans ce cadre : « Pas d’élections ni fonds alloués à la Commission électorale nationale supérieure sans budget », appelant Dbeibeh à se « montrer ferme et exigent pour sauver son peuple qui souffre des apesanteurs de l’absurde ».
Ce scénario est cependant risqué bien qu’il soit le plus réaliste compte tenu des atermoiements du Parlement à adopter le budget et de l’approche de la fin du mandat du gouvernement.
Les dépassements de la chambre des députés pourraient aboutir à une nouvelle crise de légitimité et à une scission des institutions de souveraineté, en plus de la probabilité que les milices de Haftar bloquent de nouveau les champs et les terminaux pétroliers, source principale des revenus de l’Etat, en particulier, en devises.
La situation pourrait même aboutir à se rétracter de l’accord de cessez-le-feu signé à Genève et retourner à nouveau aux combats.
La marge de manœuvre disponible au gouvernement de Dbeibeh est limitée et cela nécessitera de dévoiler l’ampleur des pressions exercées sur le gouvernement devant l’opinion publique pour l’inciter à se mobiliser contre Aguila Salah et son groupe, ou recourir aux notables et chefs des tribus de la région orientale pour qu’ils mènent une médiation ou qu’ils exercent une pression sur la présidence de la chambre des députés afin de libérer le budget.
De même, la Communauté internationale est en mesure de jouer un rôle actif en la matière à travers la réactivation du mécanisme des sanctions à l’encontre de Aguila Salah et de Haftar, pour leur entrave de l’Accord politique et des élections comme s’est passé en 2016.
La crise du budget n’est rien d’autre qu’une carte de pression aux mains de Haftar pour parvenir à son dessein, celui d’accéder au pouvoir via les élections, ou de prendre cette crise comme étant un prétexte pour s’extirper de l’Accord politique et de mobiliser ses troupes militaires en direction de la capitale Tripoli afin de s’emparer du pouvoir.
Source : AA