Le Soudan post-30 juin : Une révolution qui se poursuit ou une nouvelle réalité ?

Les objectifs pour lesquels ont manifesté des milliers de Soudanais dans plusieurs villes du pays, le 30 juin dernier, ont été divergents.

En effet, les Soudanais sont sortis dans la rue pour commémorer le deuxième anniversaire du 30 juin 2019, date des imposantes manifestations qui avaient contraint le Conseil militaire dissout de négocier avec les « Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement », leader du mouvement de contestation populaire.

Malgré cela, des observateurs estiment que les événements qui ont marqué les manifestations et ceux qui ont suivi confirment que le Soudan post-30 juin a véritablement changé, dès lors que ces événements ont octroyé aux civils une force claire dans le paysage politique.

D’autres observateurs considèrent, néanmoins, que le principal acquis engrangé au cours de ces manifestations consiste en la destruction des derniers rêves que caressaient les sympathisants du Président déchu Omar Hassan el-Béchir de parvenir à leurs fins.

Les manifestations étaient quelque part déroutantes à travers, d’une part, les appels à la chute du régime et le rejet des politiques économiques du gouvernement, et d’autre part ceux qui commémoraient l'anniversaire d'une Journée mémorable de la révolution et qui revendiquaient la réalisation des objectifs de la révolution, en l'occurrence la liberté, la paix et l’égalité.

Compte tenu des retombées des manifestations du 30 juin, les forces politiques étaient scindées en trois parties.

Une première qui soutient le Premier ministre Abdallah Hamdok tout en lui réclamant la réalisation des objectifs de la révolution.

Une deuxième partie voulait mettre un terme au partenariat entre civils et militaires au niveau du Pouvoir, tandis que le troisième clan s'employait à faire chuter le régime tout entier, l’accusant d'adopter les politiques dictées par le Fonds monétaire international et la Banque Mondiale.

En effet, des manifestations imposantes ont été organisées le 30 juin 2019, pour réclamer du Conseil militaire, au pouvoir à l'époque, de remettre le pouvoir aux civils, après la dispersion du sit-in de Khartoum, en date du 3 juin.

Les manifestations ont abouti à des pourparlers entre le Conseil dissout et les « Forces de la Déclaration de la Liberté et du Changement » (Civil). Ces pourparlers ont été sanctionnés par la conclusion d’un accord au mois d'août 2019 stipulant la mise en place d’une direction chargée de gérer une phase transitoire.

Depuis le mois d'août 2019, le Soudan vit au rythme d'une phase transitoire qui se poursuivra pendant 53 mois et qui sera couronnée par l'organisation d'élections, à l'orée de l’année 2024. Durant cette phase, le pouvoir est partagé entre l'armée et les « Forces de Déclaration de la Liberté et du Changement » ainsi que des groupes armée qui ont conclu avec Khartoum un accord de paix, le 3 octobre dernier.

- La police au premier plan

L'attitude de la police a bénéficié d'un intérêt accru avant le début des manifestations du 30 juin dernier, voire après. De nombreux médias locaux avaient rapporté que la police observera une grève le jour même, concomitamment avec la tenue des manifestations, et ce après que des unités de police s’étaient élevées contre le ministre de l'Intérieur, Ezzeddine Ali El Sheikh.

Cette configuration a laissé la police dans une position d'accusé qui veut prendre part à une conspiration avec les sympathisants du régime déchu, et ce en renonçant à encadrer et à protéger les manifestants et les institutions, dans le cadre d'un plan cohérent et préétabli. Toutefois, l'évolution de la situation a fait que la police a participé avec force dans l'encadrement des manifestations.
Les unités de police ont reçu la visite de Abdallah Hamdok pour saluer leur « professionnalisme dans le traitement des manifestations ».

Animant une conférence de presse, jeudi dernier, Hamdok a souligné que « la police a fait preuve d'un professionnalisme aigu dans son attitude vis-à-vis des manifestants le 30 juin (mercredi) ».

Néanmoins, le « Rassemblement des professionnels » (une des parties à l’origine des manifestations) avait qualifié le traitement réservé par la police aux manifestants du mercredi « de violente répression », de même que le Parti du « Congrès national » (Parti du Président déchu Omar el-Béchir) a accusé les forces de l'ordre d'avoir « réprimé les manifestants en tirant des balles et en usant du gaz lacrymogène ».

Dans un communiqué publié jeudi, le « Rassemblement des professionnels » a « condamné les pratiques répressives des forces de sécurité, pratiques qui se répètent à chaque manifestation pacifique ».
« Nous appelons la justice à diligenter une enquête et à traduire les responsables des violations récurrentes pour subir des procès en référé », poursuit le communiqué.

De son côté, le parti du « Congrès national » dissout a indiqué dans un communiqué que « l'usage disproportionné de la force à l'endroit des manifestants pacifiques, le harcèlement des manifestants et l'interpellation des sympathisants est un indice des dérapages sécuritaires ».

Mercredi dernier, la ville de Khartoum a connu plusieurs marches au cours desquelles les manifestants ont scandé des slogans pour « dénoncer la détérioration des conditions de vie ».
Vingt-huit manifestants et 52 policiers ont été blessés, selon deux communiqués séparés de la police et du Comité des médecins soudanais (ONG).

Les autorités avaient interpellé mercredi 200 personnes parmi les sympathisants du parti du « Congrès national », les accusant de « tentative de propager la violence », lors des marches de protestation organisées dans plusieurs provinces.

De son côté, le Parquet général avait annoncé l'interpellation de 73 éléments « perturbateurs » qui ont été maintenus en détention dans les postes de police pour avoir commis des « actes de vandalisme ».

- Davantage de soutien à Hamdok

A l’opposée, le parti nationaliste de la « Oumma », principale formation des Forces du changement, a considéré les manifestations du 30 juin comme un « événement marquant la poursuite de la révolution, dont la flamme ne s'éteindra qu’à la réalisation des objectifs de la transition démocratique ».

Dans un communiqué rendu public jeudi dernier, le parti a souligné que les « manifestations ont confirmé la détermination du peuple soudanais à protéger sa glorieuse révolution contre les plans des forces contre-révolutionnaires qui visent à faire chuter le gouvernement de la révolution ».

Toutefois, nombre d'observateurs estiment que les manifestations du 30 juin ont échoué à atteindre leurs objectifs, notamment la chute du régime, considérant que le Parti communiste, une des principales formations qui s’étaient retirées des « Forces du Changement » s’est particulièrement emmêlé les pinceaux, à telle enseigne que ses sympathisants ont pris part à des manifestations qui ont réuni à la fois des partisans de la contre-révolution et des sympathisants du parti d’el-Béchir.

De son côté, l'analyste politique, Amr Chaabane estime que les manifestations du 30 juin dernier ont confirmé au gouvernement que « la gauche est présente en force dans la rue et est capable de changer la donne, dans la mesure où la participation des sympathisants d’el-Béchir était sans impact ».

Dans une déclaration faite à l'Agence Anadolu, il a noté que les manifestations du 30 juin font office d’une « victoire remportée par les civils à l'encontre des sympathisants d'el-Béchir et des militaires qui s’emploient à obtenir un mandat populaire pour gouverner le pays ».

Il a souligné, également que « les manifestations ont changé les règles. Il y aura certainement un après-30 juin, dès lors que la rue a confirmé l'impératif de réformer le processus de la révolution et même ceux qui sont sortis pour revendiquer la chute du régime l’ont fait parce que le gouvernement de Hamdok n'a pas réalisé les objectifs de la révolution, notamment, s’agissant des procès des symboles de l'ancien régime et de la réalisation de la justice ».

Chaabane estime que « le plus important consiste à ce que les manifestations du 30 juin ont ouvert les portes à un dialogue plus élargi entre les partenaires du pouvoir afin de surmonter les entraves et d’éviter que le pays ne s'enlise dans des dérapages inconnus ».

Il a considéré également l’initiative de Hamdok comme étant « un pavé lancé dans la mare politique par le Premier ministre pour surmonter les embûches ».

Hamdok avait anticipé les manifestations du 30 juin et présenté mardi dernier une initiative composée de sept axes.

Cette initiative porte selon des copies remises aux journalistes sur la réforme du secteur sécuritaire et militaire, la justice, l'économie, la paix, le démantèlement du régime du 30 juin (Régime d'el-Béchir), la lutte contre la corruption, la politique étrangère, la souveraineté nationale et le Conseil législatif transitoire.

Deux ans durant, le Soudan a été le théâtre de développements accélérés et enchevêtrés dans le cadre de la crise du pouvoir, et ce depuis que des dirigeants de l'armée avaient limogé el-Béchir de la présidence, en date du 11 avril 2019, sous la pression de de protestation populaire enclenchée à la fin de l'année 2018, pour dénoncer en particulier la détérioration de la situation économique dans le pays.

Source : AA

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