La stratégie la plus prometteuse envers la Russie est celle de sanctions ciblées d'un côté et d'une coopération dans les domaines d’intérêt commun de l'autre, y compris avec la société civile.
Le 22 février, les ministres des affaires étrangères de l’Union Européenne ont décidé de nouvelles sanctions contre la Russie et une discussion sur les relations entre l’UE et la Russie est prévue lors du prochain sommet européen de mars. Réfléchir à une stratégie européenne pour la Russie nécessite de s’interroger sur l’efficacité en général des sanctions contre le Kremlin. En 2014, suite à l’annexion de la Crimée, l’intervention militaire en Ukraine et l’abattage de l’avion malais MH-17, l’UE et les États-Unis ont imposé des sanctions économiques d’ampleur contre la Russie.
Les exportations de matériel militaire et certains équipements techniques pour la production pétrolière ont été interdits; les grandes banques et sociétés pétrolières et gazières russes ont été soumises à des restrictions de prêts et plusieurs personnes liées à l’annexion de la Crimée et à l’intervention en Ukraine ont été interdites d’entrée dans l’UE.
Ces sanctions ont-elles réellement touché l’économie russe? Le pays est certes en récession depuis 2014 et les investissements étrangers en Russie sont presque gelés. Mais la croissance économique était atone même avant les sanctions. Les fluctuations du prix du pétrole, la corruption et le sous-investissement dans l´innovation ont eu sans doute un impact bien plus important sur le PIB que les sanctions étrangères.
Maintenir la pression sur la question des droits de l´homme et de la démocratie nécessite des sanctions ciblées plus dures, en s´attaquant notamment à l’argent du pouvoir.
Les sanctions économiques n’ont pas non plus empêché Vladimir Poutine d’imposer un certain nombre de lois répressives, de renforcer les forces de sécurité, d’accuser l’opposition d´être soutenue par les puissances occidentales et d’arrêter ses chefs de file afin d’empêcher toute résistance organisée en vue des élections législatives de septembre 2021. Le ton est agressif contre les puissances occidentales. Fort de ses réserves monétaires et persuadé du succès de sa politique étrangère offensive, en Syrie, en Libye et plus récemment dans le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, Poutine ne semble nullement avoir l’intention d’accepter l’ingérence occidentale dans les affaires intérieures de la Russie.
Faut-il, au sein de l’UE, pousser pour des sanctions économiques encore plus radicales qui nuiraient à l’économie russe dans son ensemble? Par exemple: fermer complètement l’accès au marché des capitaux européens aux entreprises et banques russes, des sanctions ciblées à l´encontre de certaines entreprises notamment dans le secteur pétrolier et gazier ou décider de l’arrêt de Nord Stream 2?
De telles sanctions sont discutables pour deux raisons.
La première: plusieurs pays européens sont d´importants importateurs de gaz et de pétrole russes; un renforcement des sanctions dans ce secteur représenterait un coût économique pour ces pays en augmentant le prix d´accès à l’énergie, et dans le cas de l’Allemagne où le gaz est un substitut au charbon, il représenterait un coût environnemental. Malgré les pressions des États-Unis et de la plupart des pays européens, y compris la France, l´Allemagne continue de soutenir le projet Nord Sream 2. Signalons également que la Russie, avec d’importantes réserves de change et une politique étrangère et commerciale orientée vers de nouveaux partenaires a pour le moment une bonne capacité de résistance.
La seconde: il est peu probable que les États membres de l’Union parviennent à s’entendre sur de nouvelles mesures coercitives économiques radicales contre la Russie. Si la Pologne et les pays baltes réclament des mesures dures, des arguments tels que “nous ne devons pas pousser la Russie dans les bras de la Chine” sont désormais avancés par les gouvernements français et allemand. Le dialogue Moscou-Berlin-Paris est également un élément important de la politique de sécurité européenne sur laquelle Mme Merkel ainsi que M. Macron se sont engagés. Enfin, si par ailleurs les États-Unis de leur côté font pression pour des sanctions dures, il est important de noter que les intérêts américains et européens vis-à-vis de la Russie ne sont pas nécessairement alignés. Le commerce entre les États-Unis et la Russie est insignifiant et les États-Unis ont très peu d´intérêts économiques en Russie, ce qui n´est pas le cas de l´UE en particulier avec le projet gazier de Nord Stream 2.
Ces considérations confortent l’idée que la stratégie la plus prometteuse est celle des sanctions ciblées d’un côté, et de coopération dans les domaines d’intérêt commun de l’autre. C´est sans doute ce qui a guidé la récente décision de l´Union Européenne d´imposer le gel des avoirs et l’interdiction de voyager aux hauts fonctionnaires russes responsables de “l’arrestation, la condamnation et la persécution” d’Alexei Navalny, en vertu d´une loi européenne ciblant les personnes responsables de violations des droits de l’homme. Cette décision est faible: il aurait sans doute été plus efficace de cibler, comme le suggérait Navalny, non pas seulement les bureaucrates mais aussi les oligarques russes proches de Poutine. Elle reflète sans doute les divisions au sein des États membres de l’UE et les doutes, notamment de la France et de l’Allemagne, sur l’utilité des sanctions et leurs hésitations sur la stratégie concernant les relations avec la Russie.
Maintenir la pression sur la question des droits de l´homme et la démocratie en Russie nécessite selon nous de recourir à des sanctions ciblées plus dures que celles décidées, en s´attaquant notamment à l’argent du pouvoir.
La rhétorique anti-occidentale de la propagande russe doit être combattue par une coopération accrue avec la société civile, avec le message que “la Russie appartient à l’Europe”.
Cela ne doit toutefois pas empêcher l´UE d´engager un dialogue actif avec le Kremlin sur des questions d’intérêt commun. Les grands enjeux mondiaux tels que la maîtrise des armements, la non-prolifération, la question du climat, les négociations avec l’Iran et le dialogue sur la sécurité militaire en Europe doivent être résolus avec Moscou. Par ailleurs, l’actualité de la pandémie invite a coopérer avec la Russie dans le domaine médical, avec en particulier une coopération sur la production du vaccin russe Spoutnik V dès lors que la Russie donne accès aux informations nécessaires sur ce vaccin.
Enfin, l’UE doit montrer qu’elle sait faire la distinction entre le régime du Kremlin et la société russe. La rhétorique anti-occidentale de la propagande russe doit être combattue par une coopération accrue avec la société civile et avec le message que “la Russie appartient à l’Europe”. Les sondages d’opinion indépendants russes montrent que le peuple russe est fatigué de la confrontation avec l’Occident et ne voit pas les États-Unis ou l’Europe occidentale comme des ennemis. La coopération culturelle, scientifique, sportive et les échanges de jeunes existent déjà, notamment du côté allemand, et devraient être plus activés. Offrir aux jeunes russes des perspectives positives par la voie de dispense de visas, des programmes d’échanges scolaires et universitaires, des stages dans des entreprises européennes, afin qu’ils puissent vivre des réalités autres que celles d´une société autoritaire.
Un soutien à la démocratie, à travers des sanctions ciblées efficaces et un soutien actif à la société civile, combiné à une coopération intergouvernementale dans des domaines d’intérêts communs est certes un chemin difficile, mais apparaît comme la stratégie la plus prometteuse pour aller de l’avant.
Source : Le HuffPost