Célébrant le 59ème anniversaire de son indépendance : L’Algérie à la croisée des chemins

L’Algérie célèbre ce lundi 5 juillet le 59ème anniversaire de son indépendance acquise, en 1962, au terme d’une guerre de libération nationale de plus de sept ans et d’une farouche résistance à l’occupant français durant la majeure partie des 132 ans de la présence coloniale.

Nombre d’observateurs s’interrogent, toutefois, que reste-t-il de l’indépendance ? Et où se situe le plus grand pays du Maghreb et du sud de la Méditerranée, avec plus de 2 millions 381 mille 741 kilomètres carrés, dont environ 90% sont couverts par le Sahara ?

En ce 5 juillet 2021, l’Algérie évolue, depuis presque 29 mois, au rythme d’une protestation populaire massive, qui a su préserver son caractère pacifique et éviter les dérapages de la violence, dans un pays qui en a connu plus d’un conflit durant son histoire contemporaine (luttes fratricides aux maquis en 1963, les évènements du 5 octobre 1988, la vague du terrorisme barbare dans les années 1990, etc.).

Toutefois, la protestation, à forte présence juvénile dans sa grande majorité, s’est essoufflée, à cause, entre autres, de la pandémie planétaire de la Covid-19 qui a généré son lot de restrictions sanitaires et de gestes barrières, et des dissensions qui ont miné ce mouvement qui ne dispose pas, à vrai dire, d’un commandement unifié, d’un porte-parole désigné ou encore d’une direction à même d’en harmoniser les revendications et surtout de les concrétiser face au gouvernement. Ce dernier a su jouer habilement de ces contradictions et contraintes, en alternant le classique tandem de la carotte et du bâton et en jouant, par moments, la montre.

Période transitoire

Face au mouvement enclenché le 22 février 2019, et qui avait abouti, 40 jours plus tard au départ de l’ancien Président Abdelaziz Bouteflika (officiellement le 2 avril), le Pouvoir algérien a mis en place une période transitoire, chapeautée par l’ancien chef d’Etat-major de l’Armée et homme fort du pays, Ahmed Gaïd Salah, et durant laquelle la Présidence de la République a échu au président du Conseil de la Nation (chambre haute du Parlement), Abdelkader Ben Salah.

Au terme de cette phase transitoire, Abdelmajid Tebboune, plusieurs fois ministre et éphémère Premier ministre durant l’été 2017, a été élu Président de la République, en date du 12 décembre 2019, lors d’un scrutin marqué particulièrement par un fort taux d’abstention.

Tendant sa main au « Hirak béni », le Président Tebboune a annoncé les contours d’une feuille de route comportant notamment l’organisation d’un referendum sur la Constitution de 1996 et la tenue d’élections législatives et municipales.

Le 1er novembre dernier, journée qui marque la célébration annuelle du déclenchement de la Révolution algérienne de 1954, s’est tenu le referendum en question et les élections législatives viennent de se dérouler, le 12 juin écoulé, avec un taux de participation des plus bas (23%).

Le Président Tebboune avait déclaré à ce sujet, avant même le jour du vote, que « le taux de participation ne l'intéresse pas. Ce qui importe est que ceux qui sortiront de l'urne détiennent la légitimité populaire qui leur permettra, demain, d'exercer le pouvoir législatif ».

Situation sociale préoccupante

La feuille de route du Président en cours d’application, le Hirak qui s’essouffle, la situation semble se diriger vers une accalmie, ce qui n’est pas le cas pour nombre d’observateurs de la scène algérienne qui estiment qu’outre le blocage politique pouvant être jugé de manière variable par plusieurs parties, c’est la situation sociale générée par le modèle économique du pays qui est la plus préoccupante.

Pays membre de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), l’Algérie fait partie du top 3 des producteurs de pétrole en Afrique, de même qu’elle se classe parmi les dix premiers producteurs de gaz naturel au monde.

Avec son géant national Sonatrach, considérée comme étant la première entreprise africaine (en termes d’actifs), l’Algérie tire ses recettes à hauteur de 95% des hydrocarbures qu’elle exporte, lesquelles recettes financent près de 60% de son budget.

Même après avoir renoncé au dirigisme et à l’intervention étatique accrue, deux éléments qui avaient caractérisé l’économie algérienne après son indépendance et jusqu’à la fin des années 80, cela n’a pas permis de s’éloigner des standards de l’économie de rente, mise en place depuis l’aube de l’indépendance en dépit de tentatives sérieuses d’industrialisation.

N’exploitant pas au mieux son énorme potentiel agricole (plaines fertiles du nord du pays et nappes phréatiques dans le désert), étant à la traine en termes d’avancées technologiques et dans le domaine financier, l’Algérie n’est pas parvenue à endiguer le fléau du chômage qui frappe une grande partie de sa jeunesse, et qui est devenu un problème structurel en dépit des subventions accordées et des investissements de masse effectués au milieu des années 2000, grâce, notamment, à la manne pétrolière de l’époque.

Maintenir la paix sociale

Il convient de noter que lors de la vague de ce qui est communément appelé les « Révolutions du Printemps arabe », le Pouvoir algérien a maintenu la paix sociale, à la faveur, notamment, de majorations salariales dans la fonction publique et des subventions de plusieurs secteurs de base, dont ceux de la santé, de l’eau (problème structurel depuis le milieu des années 1970 dans les grands villes) et de la construction d’un million de logements à tarifs préférentiels pour palier un déficit accumulé des décennies durant.


Ce qui est remarquable et au-delà des facteurs socioéconomiques qui ont ponctué l’histoire du pays central du Maghreb, c’est que la forte présence de l’armée, dans la vie politique notamment, bien que cela n’a plus le même impact qu’avant du moins officiellement, trouve son explication dans les voies et moyens empruntés par le pays pour arracher son indépendance.

Le lourd tribut payé par le peuple algérien, atteint dans sa chair, a fait que la question militaire et sécuritaire occupe une place de choix dans la détermination des politiques du pays.

Cela est allé crescendo malgré l’institution du multipartisme et l’abolition du régime du Parti unique (Le FLN), à cause de la déferlante terroriste qui s’est abattue sur le pays depuis le début de la décennie 1990, et qui a fait des centaines de milliers de morts dans les rangs aussi bien de la population civile que des soldats et des éléments des forces de l’ordre.

Cette question sécuritaire garde intacte son rôle central dans la gestion des affaires de l’Etat bien que le terrorisme, sous sa forme classique et traditionnelle, a été vaincu ne gardant qu’une force résiduelle dépourvue de véritable force de nuisance. 

Une situation régionale menaçante

Les raisons qui ont milité pour que la question sécuritaire garde sa place centrale ne sont plus endogènes mais plutôt exogènes.

En effet, si l’Algérie connaît une stabilité au plan intérieur au niveau sécuritaire, résultante d’une lutte qui a duré près de deux décennies, il n’en demeure pas moins que le danger actuel provient davantage d’une situation régionale menaçante, du moins instable.

La situation dans la Libye voisine, avec qui l’Algérie partage près d’un millier de kilomètres de frontières terrestres, situation marquée par une prolifération des armes et une multiplication des milices et une détérioration sans précédent de la sécurité dans cet autre pays riche en pétrole, justifie, selon les observateurs les craintes de l’Etat algérien.

De plus, la situation dans la région du Sahel africain, notamment dans le nord du Mali, zone frontalière avec l’Algérie et l’interventionnisme français (Opérations Serval, Barkhane…) nourrissent également les appréhensions de l’Algérie, soucieuse de sécuriser ses frontières du sud.

Sur ses flancs est et ouest, la situation sécuritaire n’est pas si préoccupante malgré une Tunisie affaiblie et atteinte par le terrorisme depuis plusieurs années et le sempiternel conflit du Sahara occidental qui se poursuit depuis 1975 entre le Maroc et le Front du Polisario, soutenu par l’Algérie qui accueille même des réfugiés sahraouis sur son sol, notamment à Tindouf.

Changement de taille

L’ensemble de ces données ont provoqué en novembre dernier un fait inédit sur la scène algérienne.

En effet, c’est la première fois depuis 1962, date de la proclamation de l’indépendance, que l’armée algérienne est autorisée par le texte de la Loi fondamentale à intervenir en dehors des frontières du pays. Il convient de noter que l’armée algérienne n’a jamais pris part aux opérations onusiennes de maintien de la paix et que les seules interventions extérieures ont eu lieu dans le cadre des guerres arabes menées contre Israël.

Désormais, et en vertu de l’article 91 de la Constitution amendée par le referendum de novembre 2020, le « Président de la République, Chef suprême des Forces Armées de la République et responsable de la Défense Nationale, jouit du pouvoir de décider de l’envoi des unités de l’Armée Nationale Populaire à l’étranger après approbation à la majorité des deux tiers (2/3) de chaque chambre du Parlement ».

Ce changement de taille dans la doctrine de l’Armée Nationale Populaire, héritière, selon le Préambule de la Constitution de l’Armée de Libération nationale (ALN), pourrait provoquer durant les années à venir, voire avant, des changements notables sur la scène régionale, s’agissant entre autres du conflit libyen qui s’oriente a priori vers sa résolution, et des évènements au Mali et dans la région du Sahel, avec leur lot de terrorisme, de contrebande, de trafic illicite de stupéfiants et d’armes ... Autant de menaces qu’Alger souhaite éloigner, ce qui constitue un défi de taille, à l’orée de la soixantième année de l’indépendance du pays.

Configuration inédite

Mais au-delà des aspects sécuritaires et des développements régionaux, c’est surtout la situation politique dans un avenir proche qui cristallise toutes les attentions, en particulier, après la tenue des élections législatives anticipées du 24 juin écoulé.

Les résultats de ce scrutin ont généré une seule et unique constante, en l’occurrence, le haut du pavé occupé par le Front de Libération nationale (FLN), avec 98 sièges obtenus. Néanmoins, ce chiffre est loin des majorités remportées haut-la-main par le parti nationaliste, dans la mesure où les 309 autres sièges restants ont été remportés par d’autres partis.

La configuration inédite de ces résultats a été également marquée par la présence somme toute importante des Indépendants qui, bien qu’hétéroclites, ont raflé 78 sièges sur un total de 407, encouragés en cela par les autorités, et devenus ainsi la deuxième force au Parlement.

Ces résultats ont amené le Président Abdelmajid Tebboune, après le refus du Mouvement de la Société pour la Paix (MSP), principale formation d’obédience islamique, d’intégrer le gouvernement, à choisir le 30 juin, un Premier ministre « technocrate » n’ayant appartenu à aucune formation politique.

De plus, Aymen Ben Abderrahmène, puisque c’est de lui qu’il s’agit, a été jusqu’à la date de sa récente nomination, le détenteur du portefeuille des Finances.

Le choix porté par Tebboune sur un ancien ministre des Finances, poste occupé pendant une année et une semaine, et auparavant gouverneur de la Banque centrale d’Algérie montre, si besoin est, que le Président algérien focalisera l’attention sur les dimensions économiques à même d’identifier des solutions aux problèmes sociaux dont souffrent les Algériens dans leur quotidien.

Nommer à la primature un Premier ministre et non pas un Chef de gouvernement, en vertu de l’une des deux options prévues dans le mécanisme de désignation d’un Premier ministre selon les élections, et de surcroît un technocrate sans expérience politicienne et loin des rouages de la politique intérieure, fait dégager un fait indéniable.

Il s’agit de garder la question politique, notamment celle liée au Hirak, dans le giron du Président de la République et des acteurs traditionnels parmi les plus influents, dont ceux issus de l’establishment militaire.

Source : AA

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