En maintenant sa position, « le Mouvement pour la Société de la Paix » aura un bloc d’opposition au parlement composé de 65 députés
Le « Mouvement pour la Société de la Paix » (MSP, principale formation d’obédience islamique en Algérie) a préféré faire partie de l’opposition au lieu d’intégrer le gouvernement du Président Abdelmajid Tebboune, dans une mesure qualifiée par son chef comme étant un « refus de rééditer une précédente expérience de se trouver au sein du gouvernement sans un véritable partenariat au pouvoir ».
Le MSP avait annoncé, mardi dernier, au terme d’une réunion d’urgence de son « Conseil de la Choura » qu’il ne siègera pas au gouvernement, en cours de formation, à la lumière des résultats des dernières élections législatives.
Dans un communiqué signé par le président du parti, Abderrazek Makri, le MSP a souligné que « Le Conseil de la Choura a décidé de ne pas participer au gouvernement et la direction du parti a notifié cette décision au Président Abdelmajid Tebboune ».
Le Président Tebboune a accordé, dimanche dernier, au siège de la Présidence, une audience à Makri, dans le cadre de consultations politiques, qualifiées « d’élargies » et qui précèdent la formation du prochain gouvernement.
Classé troisième au cours des dernières élections législatives, le MSP a obtenu 65 sièges, précédé du Bloc des Indépendants et du Front de Libération nationale (Au pouvoir durant l’ère Bouteflika) qui ont recueilli respectivement 98 et 84 sièges.
En refusant de faire partie du gouvernement, le MSP a ainsi maintenu sa position au sein de l’opposition et sa décision de ne pas rééditer son expérience avec l’ancien Président, Abdelaziz Bouteflika en 1999, avant de se retirer de ses gouvernements successifs depuis 2012.
- Une décision souveraine
Expliquant les raisons de cette prise de position, en l’occurrence celle de ne pas siéger au prochain gouvernement, Makri a affirmé, au cours d’une conférence de presse animée mercredi dernier, que « la décision a été prise par le Mouvement, en toute souveraineté, dans le cadre de ses institutions ».
Il a indiqué, à ce propos, que « Le Conseil de la Choura du Mouvement a adopté, en session extraordinaire, à une grande majorité qui avoisinait l’unanimité, l’option de ne pas participer au gouvernement, sur la base de ce qui a été soumis à la délégation du Mouvement, au cours de sa récente rencontre avec le Président Tebboune ».
Il a ajouté : « Nous saluons la décision d’autant plus que tout s’est passé dans le cadre de la souveraineté totale du Mouvement ».
Makri a défendu cette option qui s’inscrit, selon lui, dans le « cadre des intérêts du pays ».
Cette décision, a-t-il poursuivi, « a permis à ce qu'une formation politique qui a du poids à l’intérieur du pays se place dans l’opposition afin de contrôler les affaires publiques comme cela est mentionné par les constitutions successives du pays ».
Après que les partis vainqueurs aux élections de la chambre basse du Parlement s’étaient mis à la disposition du Président Tebboune, il aurait été possible d’aboutir à un Parlement sans opposition si le MSP avait accepté de faire partie du gouvernement.
Les partis en question sont le FLN, le Bloc des Indépendants, le Rassemblement National Démocratique (RND), le « Front de l’Avenir » et le « Mouvement de l’Edification nationale ».
En maintenant sa position, « le Mouvement pour la Société de la Paix » aura un bloc d’opposition au parlement composé de 65 députés.
Après la décision prise par le MSP de faire partie de l’opposition, les contours du paysage politique du pays au cours de la prochaine étape sont devenus ainsi plus clairs.
Le MSP sera ainsi l’unique force politique d’opposition au sein de l’hémicycle, au moment où des partis, tels que le FLN, le RND, le « Front de l’Avenir » et le « Mouvement de l’Edification nationale » ont préféré former une majorité présidentielle au sein du parlement pour soutenir le Président Tebboune et intégrer son gouvernement en vue de mettre en œuvre son Programme présidentiel.
Makri a relevé, à ce sujet, que « si le Mouvement avait adhéré au gouvernement, il aurait ainsi privé les Algériens de cette position utile et médiane qui permettra de poursuivre la recherche des opportunités et du consensus et d’accorder la priorité aux programmes et aux idées ».
Il a ajouté que « ce sont les circonstances actuelles qui ont motivé le positionnement du parti, qui souhaitait effectivement participer au gouvernement mais de nature à garantir la réalisation de sa vision et de ses programmes ».
Dans le même ordre d’idées, Fateh Kerd, ancien député du MSP, a déclaré à l'Agence Anadolu que le « Mouvement porte dans son identité et dans sa genèse l’option de la participation ».
« Si le MSP avait accepté de participer, il aurait effectué un retour à son identité constitutive », a-t-il dit. « Toutefois, le parti a fait primer ses ambitions politiques au détriment du retour au gouvernement pour la mise en œuvre d’un programme qui n'est pas le sien ».
- Le MSP lorgne le pouvoir et non pas le gouvernement
Abderrezak Makri n’a pas caché les réels motifs qui ont incité le Mouvement à rejeter l’adhésion au gouvernement et qui portent essentiellement sur ses ambitions politiques.
Il a lancé clairement et sans détours : « Le Mouvement lorgne le Pouvoir et non pas le gouvernement. De manière plus détaillée, nous ne voulons pas être une simple vitrine du pouvoir ».
Il faisait allusion ainsi à la proposition faite par le Président Tebboune qui « n’autorise pas d’impacter sur les processus politiques et économiques tels que nous l’avons promis à nos électeurs ».
En l’absence d’une majorité parlementaire, la Constitution algérienne accorde au Président de la République les prérogatives entières pour la mise en œuvre de son programme électoral, et Makri a « perçu l’attachement du Président à son programme, ce qui est son droit ».
L’amendement de la Loi fondamentale effectué par voie référendaire, au début du mois de novembre dernier, a créé un mécanisme pour déterminer le Chef du gouvernement à la lumière des résultats des élections parlementaires.
Si les élections législatives aboutissent à une majorité parlementaire (non-loyale au Président), le Chef de l’Etat désigne le Chef du gouvernement parmi cette majorité et le charge de former un gouvernement et d’élaborer le programme de la majorité parlementaire, selon la teneur de l’article 110 de la Constitution.
Par ailleurs, si le scrutin législatif aboutit à une majorité présidentielle (favorable au Président), le Président de la République nomme un Premier ministre et le charge de former un gouvernement et d’Élaborer un plan pour mettre en œuvre le Programme présidentiel qu’il soumettra au Conseil des ministres (Article 105 de la Constitution).
Ainsi, il n’y a pas eu d’opportunité de partenariat politique entre le MSP et le programme du Président Tebboune, dans la mesure où l’offre du gouvernement comprenait la proposition de 27 noms, parmi lesquels il sera procédé au choix de quatre ou cinq personnalités pour gérer des portefeuilles ministériels du gouvernement en cours de formation.
Selon Makri, « le MSP n’a pas bénéficié de l’opportunité de discuter de la possibilité de parvenir à une plateforme commune entre le programme du Président et son programme partisan ».
Makri est allé encore plus loin lorsqu’il a considéré l’offre soumise à son Mouvement comme « similaire à ce qui était offert du temps de Bouteflika ».
Makri a répété, à maintes reprises, que son Mouvement refuse de rééditer l’expérience de l’alliance politique qui avait eu lieu avec Bouteflika lorsque le MSP faisait partie du gouvernement mais qu’il mettait en œuvre un programme autre que le sien (1999-2012).
- Une relation sereine
Le refus du MSP d’adhérer au gouvernement ne signifie pas une rupture du lien amical établi, de manière ostentatoire, au cours des derniers mois, entre le Président Tebboune et les formations d’obédience islamique en général.
Tebboune avait été salué par ces formations, à la suite de déclarations faites au sujet de l’Islam politique.
Au cours d’une entrevue accordée au magazine français, « Le Point », à la fin du mois de mai dernier, soit peu avant la tenue des élections législatives, le Président Tebboune a souligné que « l’islamisme, en tant qu’idéologie, telle que celle que certains voulaient imposer au pays, durant la décennie des années 1990, est révolue et ne sera pas tolérée ».
« L’Islam politique qui n’entrave pas le développement, tel que c’est le cas en Turquie ou en Tunisie, ne me gêne guère dès lors qu’il n’est pas au-dessus des Lois de la République », avait-il expliqué.
Tebboune avait ainsi fait allusion au fait qu’il ne « s’opposera pas à ce que les partis d’obédience islamique contrôlent le prochain gouvernement, au cas où ils parviendraient à remporter la majorité parlementaire ».
Dans une interview accordée également à la chaîne d’information satellitaire du Qatar, Al-Jazeera, Tebboune a relevé que « les partis d’obédience islamique en Algérie existent et évoluent selon une formule algérienne et non pas sous une autre formule ».
« L’obédience islamique de ces partis n’apparaît que dans les principes généraux qui régissent le pays », a-t-il ajouté.
Ces déclarations ont eu un écho des plus favorables parmi les dirigeants des partis de la mouvance islamiste dans le pays, et à leur tête, Abderrazek Makri.
Makri avait considéré que la réponse faite par le président Tebboune aux questions du magazine français était comme « un remède à plusieurs pathologies et malades qui veulent semer la discorde et la sédition parmi les Algériens ».
Bien qu’ayant opté pour être dans les rangs de l’opposition, le MSP soutiendra Tebboune en matière de développement économique de même qu’il l’appuiera pour faire face aux menaces extérieures de nature à resserrer les liens de l’unité nationale, selon Makri.
L’analyste politique algérien, Fateh Rabi’i, a estimé qu’en « s’exprimant ainsi au sujet de la mouvance islamiste, Tebboune a été adroit ».
Dans une déclaration faite à AA, Rabi’i a relevé que les « partis d’obédience islamique et leurs chances de succès aux législatives ne posaient pas de véritables problèmes au Président Tebboune », ajoutant que « le Président a prouvé que l’Algérie réunit tous ses enfants ».
L’analyste a ajouté que « les déclarations du Président algérien font que la mouvance d’obédience islamique se doit d’être disposée à s’intégrer davantage au cours de la prochaine phase et de faire partie du courant national conservateur ».
« Sous cette bannière, Tebboune sera en mesure de diriger le pays, de nature à préserver l’unité nationale, et à garantir la stabilité tout en consolidant les opportunités de développement », a-t-il encore dit.
Rabi’i a estimé que « l’élargissement de la participation au gouvernement parmi les divers courants permettra d’assurer une stabilité institutionnelle au pays sous l’affiche du consensus ».
Source : AA