La Déclaration finale de la Conférence de Berlin II a focalisé l’attention sur l’organisation des élections et le départ des mercenaires et ignoré les appels à décréter des sanctions contre Haftar et son allié Aguila Salah
Le Chef du gouvernement libyen, Abdelhamid Dbeibeh, est arrivé à la Conférence de Berlin II avec dans son escarcelle une initiative pour résoudre la crise dans son pays. Il a ramené avec lui une requête fondamentale qu’il a adressée aux Etats et aux organisations participants, en l’occurrence, « Aidez-nous à dissuader les parties qui entravent le processus ».
Les différents protagonistes libyens et la communauté internationale, représentée par les quinze pays et les quatre organisations participants à la Conférence de Berlin, conviennent tous quant à l’impératif d’organiser les élections à la date prévue, décidée initialement au 24 décembre prochain.
Cependant, il existe plusieurs indicateurs qui font penser que les parties libyennes ne respecteraient pas ce rendez-vous, compte tenu de la présence de protagonistes qui entravent ce processus et qui ne savent que mettre les bâtons dans les roues.
Haftar et Aguila : les principaux obstructionnistes
Au cours d’une allocution prononcée lors de la séance d’ouverture de la Conférence, mercredi dernier, Dbeibeh a failli citer les noms des obstructionnistes lorsqu’il a dit : « Malgré les progrès enregistrés sur la voie de l’unification de l’institution sécuritaire, il n’en demeure pas moins que des appréhensions persistent et menacent le processus politique, en raison de l’existence de forces militaires qui ont des dimensions politiques ».
Il est clair que cette déclaration faisait allusion au général à la retraite, Khalifa Haftar, chef des milices de l’Est libyen, qui entrave le processus d’unification de l’armée, et qui effectue, de temps à autre, des manœuvres et des opérations militaires et procède à un redéploiement de ses unités.
Haftar a violé, ainsi, les instructions du Conseil présidentiel, commandant suprême de l’armée, ainsi que l’accord de cessez-le-feu signé en date du 23 octobre 2020.
Haftar a entravé, récemment, l’ouverture de la route côtière reliant l’est à l’ouest du pays, avant de céder aux pressions internationales, quelques heures avant le démarrage de la Conférence de Berlin II, craignant de subir des sanctions.
Cependant, la communauté internationale affiche une nonchalance et une inertie dans la condamnation des violations par Haftar des accords signés et les embûches qu’il a dressées à la réunification de l’institution militaire voire au déroulement des élections, d’autant plus que ses déclarations faites en public contredisent ses agissements sur le terrain.
C’est ce qui a poussé Dbeibeh à rappeler aux parties participantes à la Conférence de Berlin leurs précédents engagements pris pour sanctionner les parties qui entravent la mise en œuvre de l’Accord politique.
S’adressant aux participants à la Conférence de Berlin, Dbeibeh a déclaré : « Respectez les engagements qui sont les vôtres et soyez au rendez-vous. Aidez-nous à dissuader les obstructionnistes de manière claire, convaincante et à travers la concertation ».
Néanmoins, Haftar n’est pas le seul accusé, aux yeux de Dbeibeh, d'entraver le précédent Accord de Berlin, s’agissant aussi de la chambre des députés, sans pour autant citer nommément son président Aguila Salah (allié de Haftar), voire du Haut Conseil d’Etat qui siège dans la capitale Tripoli, selon lui.
« Malheureusement, il y a un manque de sérieux de la part des corps législatifs (chambre des députés et Conseil d’Etat) pour aller de l’avant sur la voie de ce processus (électoral) et nous appelons à parvenir à la Règle constitutionnelle pour assurer la tenue des élections dans les délais impartis », a-t-il dit.
En effet, la chambre des députés refuse toujours de débloquer le budget de l’Etat. Aguila Salah exige que le Conseil d’Etat, sous la présidence de Khaled Mechri, progresse sur la voie de la répartition des postes de souveraineté, au premier rang desquels figurent le poste de gouverneur de la Banque centrale qui devrait échoir à la région de l’est du pays.
Pour sa part, Conseil d’Etat (législatif consultatif) exige le parachèvement de la réunification de l’institution militaire avant de parvenir à la phase finale de la répartition des postes de souveraineté.
Le Haut Conseil d’Etat ne souhaite pas paraître comme étant la partie naïve qui accordera le poste sensible de gouverneur de la Banque centrale à l’une des personnalités loyales à Haftar, au moment où ce dernier refuse la réunification de l’institution militaire et de soumettre ses milices au commandement du Conseil présidentiel. Pire encore, il ressort des agissements militaires du général à la retraite qu’il a des intentions peu rassurantes concernant la sécurité et la stabilité du pays.
La crise du budget n’est pas le principal problème, dans la mesure où ce qui est encore plus grave, c'est l’échec du Forum du Dialogue politique, parrainé par les Nations unies, à aboutir à un accord au sujet de la Règle constitutionnelle pour la tenue des élections.
De son côté, le Haut Conseil d’Etat insiste sur la tenue d’un referendum au sujet du draft de la Constitution, ou du moins son adoption par l’institution législative de manière provisoire jusqu’à la tenue des élections.
Jusqu’à présent, la chambre des députés n’a pas voté la loi électorale sur la base de laquelle se tiendront les élections législatives, voire la présidentielle ou le referendum.
- L’ultime chance
Cette situation complexe et enchevêtrée a incité le Chef du gouvernement d'Union à appeler les parties libyennes concernées à mettre un terme à cette politique « absurde d'entraves, qui consiste à prendre les échéances électorales en otage ».
En effet, il ne reste que quelques jours à la date fixée par la Commission électorale, soit le 1er juillet prochain, pour recevoir la Règle constitutionnelle et les lois électorales afin que la Commission puisse honorer ses engagements de tenir les élections en date du 24 décembre.
Le non-respect de la date du 1er juillet constitue un indicateur probant sur le fait que les parties libyennes transformeront la date du 24 décembre en une nouvelle opportunité ratée.
Afin de sauver la situation, la Mission onusienne en Libye avait annoncé son intention de tenir une réunion directe du Forum du Dialogue politique libyen, en Suisse, du 28 juin au 1er juillet prochain".
Dbeibeh n'était pas seul à réclamer de la Chambre des députés de débloquer le budget de l'Etat. Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, avait adressé une accusation implicite à Aguila Salah d'entraver la tenue des élections, même s'il ne l'avait pas cité nommément.
Dans une allocution prononcée devant les participants à la Conférence de Berlin II, Guterres a déclaré : « J'exhorte la Chambre des députés à adopter le budget et à instituer les législations requises pour la tenue des prochaines élections ».
La non-adoption par la Chambre des députés du budget de l'Etat empêche le gouvernement d'allouer les ressources financières et matérielles nécessaires à la Commission électorale pour entamer les préparatifs nécessaires pour le vote.
De plus, la Chambre des députés, en s’abstenant d'adopter la loi électorale, entrave directement la tenue des élections.
Aux yeux des Nations unies, c'est la Chambre des députés qui représente la principale entrave à la tenue des élections, en dépit de la présence d'autres parties concernées par ces actes d'inhibition.
- Les pays occidentaux n’exercent pas de pressions sur Haftar
Les pays occidentaux participants à la Conférence de Berlin II ne semblaient pas particulièrement intéressés par l'appel lancé par Dbeibeh pour l'aider à dissuader les obstructionnistes des élections et de la stabilité sécuritaire. Ils étaient plutôt intéressés par deux éléments, à savoir, le départ des mercenaires étrangers et la tenue des élections à leur date prévue.
Le problème pour ces pays, et à leur tête la France et les Etats Unis, c'est qu'ils font l'amalgame entre les forces turques intervenues à la demande du gouvernement libyen légitime, et entre les mercenaires étrangers, dont ceux relevant de la compagnie russe Wagner, les Janjawid soudanais et les mouvements rebelles tchadiens et soudanais qui ne suivent pas les consignes d’un Etat, mais combattent plutôt pour le compte des milices de Haftar.
La Turquie a été le seul pays qui avait répondu présent à l'appel de secours lancé par le gouvernement libyen d'Entente, internationalement reconnu, à la fin de l'année 2019, après que la capitale Tripoli était sur le point de tomber aux mains des milices de Haftar.
Les milices de Haftar étaient appuyées par les mercenaires de Wagner, des mercenaires africains ainsi que par des unités spéciales françaises et bénéficiaient d'un soutien militaire de taille, émirati et égyptien.
L'intervention de la Turquie, via des instructeurs militaires et des armes sophistiquées (à leur tête les drones « Bayraktar »), a contribué à sauver Tripoli de la chute et à atteindre l'équilibre militaire, ce qui avait aidé à réunir, autour d'une même table, les protagonistes du conflit pour dialoguer et convenir de la formation d'un gouvernement unifié et décréter un cessez-le-feu.
La Déclaration définitive de la Conférence de Berlin II n'a pas évoqué de sanctions ou des condamnations aux entraves de Haftar au déroulement des élections et à l'ouverture de la route côtière ainsi qu'à la réunification de l'institution militaire.
La Déclaration s’est contentée de termes génériques portant sur « l'application et le respect » des sanctions des Nations unies, à travers des mesures nationales, « contre quiconque violerait l'embargo sur les armes ou le cessez-le-feu », a rapporté l'agence de presse italienne Nova.
Le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a, d'ailleurs, souligné au cours d'une conférence de presse : « Nous voulons que les élections se tiennent à leur date prévue, que les mercenaires quittent la Libye, tout en considérant que cela se déroulera de manière progressive ».
Maas a salué ce qui a été réalisé depuis la première Conférence de Berlin, qui s'est tenue en date du 19 janvier 2020, mentionnant dans ce cadre la formation d'un gouvernement d'Union nationale, qui a été investi officiellement par le Parlement, au mois de mars dernier, ainsi que le cessez-le-feu et la reprise de la production et de l'exportation du pétrole.
Bien que la Conférence de Berlin II a affirmé son soutien au gouvernement d'Union, il n'en demeure pas moins que la non-condamnation par les participants des violations de Haftar et de Aguila Salah pourrait dégager un indice négatif, qui permettrait à ces deux hommes de continuer sur leur lancée en matière d'entraves des élections, bien qu'ils aient publiquement affiché leur soutien au scrutin.
Source : AA