C'est pour la première fois que des indépendants se portent candidats sous une direction centrale unifiée dans la majorité des provinces du pays
Les candidats indépendants ont créé la surprise en parvenant à accéder à la deuxième place, et ce pour la première fois de l'histoire des élections législatives algériennes, alors que les résultats préliminaires les avaient placés au troisième rang puis au quatrième, quelques heures avant la publication des résultats définitifs.
Les candidats indépendants, qui ont obtenu 78 sièges sur un total de 407 à la chambre basse du Parlement, selon l'Autorité Nationale Indépendante Electorale, ont réussi à déloger le Mouvement pour la Société de la Paix (MSP) de la deuxième place, bien que cette formation (d’obédience islamique) a obtenu 64 sièges, selon les résultats définitifs.
Les indépendants ont, également, dépassé le Rassemblement National Démocratique (RND, 57 sièges), qui n'avait jamais obtenu moins que la place du dauphin durant son histoire d'un quart de siècle.
Cette surprise n'était pas vraiment à écarter, dans la mesure où le gouvernement algérien a parié, lors de ce scrutin, sur la Société civile, pour transformer le paysage politique, à travers l'émergence de nouveaux visages, sur fond de régression de la popularité des partis traditionnels, tous réunis, y compris l'opposition.
Cette option s'est concrétisée, à travers le financement d'une partie de la campagne des candidats indépendants âgés de moins de 40 ans, tout en accordant la priorité aux candidats les moins âgés, en cas d'égalité des voix, au lieu du candidat le plus âgé, comme cela était de rigueur par le passé.
Quelque 1200 listes, dont la majorité sont issues des partis politiques, ont été écartées de la course, et ce dans le cadre de la « lutte contre l'argent sale ». Cette mesure avait permis aux candidats indépendants en lice d’occuper la première place en termes de nombre, dépassant les listes des 28 partis politiques participant aux élections.
En effet, 1208 listes d'indépendants ont réussi à se porter candidats (52,8%) contre 1080 listes partisanes (47,2%).
Les partis politiques ont obtenu, tous réunis, 329 sièges (moins de 80%) contre 78 sièges pour les indépendants (un peu moins de 20%), ce qui démontre que la multiplication des listes candidates ne signifie pas nécessairement le gain d'un plus grand nombre de sièges.
- Les indépendants sous une direction centrale
Lors des précédentes élections, les listes indépendantes s'activaient, chacune dans sa province, de manière autonome par rapport aux autres. Elles étaient aussi issues de tendances intellectuelles et idéologiques diverses, et ce n’est qu’après les élections que les indépendants se réunissaient dans un seul bloc, ce qui leur permettait de bénéficier d'une série d'avantages, dont l'obtention d'un bureau pour se réunir au siège du Parlement.
La nouveauté lors de ces élections, c’est l'apparition de plusieurs coalitions d'associations et d'organisations de la société civile inscrites sous forme de listes indépendantes dans plus d'une province, à l'instar « d’al-Hisn al-Matin » (La Forteresse solide), qui a réussi à présenter des candidats dans 44 provinces, ce qui est inédit.
Peu de partis algériens ont été en mesure de présenter des candidats dans ce grand nombre de provinces, éparpillées sur de vastes superficies du pays.
De plus, 26 parties n'ont pas réussi à honorer les conditions de participation aux élections, ce qui a donné l'impression que les Rassemblements des listes des indépendants ne sont que les projets de partis qui prendront forme à l'avenir pour constituer une ceinture parlementaire qui soutiendrait le Président Abdelmadjid Tebboune et le gouvernement devant être formé.
Toutefois, il est difficile de considérer l'ensemble des députés indépendants comme étant des soutiens du Président, bien que la coalition d'indépendants a été, depuis 1997, un appui aux gouvernements, malgré quelques noms qui sortaient du lot.
Au cas où le rassemblement « d’al-Hisn al-Matin » parviendrait à former, seul, une coalition qui sera constituée de 10 députés au moins, cela ouvrira la porte à la scission de la coalition des indépendants avec la possibilité que des députés indépendants intègrent les blocs d'autres partis politiques. Il convient de noter que nombre de militants du FLN et du RND se sont portés candidats sous forme d'indépendants.
- Les indépendants et la formation du gouvernement
Les députés indépendants avaient un impact limité au sein du Parlement, et bien qu'ils avaient appuyé les précédents cabinets et voté en leur faveur, il n’en demeure pas moins qu’ils n’ont jamais été partie prenante dans la formation des gouvernements.
Néanmoins, cette donne peut changer, d'autant plus que les indépendants représentent désormais la deuxième force politique au Parlement et que le premier parti n'obtient désormais que le quart des sièges, ce qui l’inciterait à s’allier avec d'autres blocs pour atteindre le quorum du « gouvernement du Président ».
Cependant, et en cas de coalition entre le MSP (64 députés), le Front de l'Avenir (48 députés), le Mouvement d’al-Binaa al-Watani (40 sièges) auxquels s’ajouteront les indépendants (78 parlementaires), tous ces blocs seront en mesure de former un gouvernement de coalition, sans avoir recours aux deux partis du pouvoir (le FLN avec 105 députés et le RND avec 57 parlementaires).
Un gouvernement de coalition nécessiterait l'adhésion de 204 députés et les blocs du MSP, du Front de l'Avenir, du mouvement al-Binaa et les indépendants pourraient atteindre, réunis, les 230 parlementaires.
Ce scénario pourrait permettre aux députés indépendants, au cas où ils seraient solidaires, d'obtenir une bonne partie de portefeuilles ministériels, et la présidence du gouvernement pourrait échoir même à un député indépendant.
Néanmoins, ce scénario est peu probable, compte tenu du fossé idéologique qui sépare ces coalitions. Mais, en cas de de présence d'une volonté franche de la Présidence d'exclure le FLN et le RND, sous la pression du Hirak populaire et des accusations de corruption qui pourchassent les dirigeants de ces deux partis, ce scénario deviendra plausible.
Le parti du Président émanera-t-il du giron des indépendants?
Ce qui rend plausible que nous sommes face à un parti sous forme de listes indépendantes, c'est la publication sur la page officielle du Rassemblement d’al-Hisn al-Matin sur les réseaux sociaux, dirigée par l'analyste stratégique Yacine Marzouki, au sujet de la désignation de Ahmed Zwawid, comme Secrétaire général chargé de la coordination avec les députés.
En effet, trois jours après le vote, le Rassemblement d’al-Hisn al-Matin avait annoncé le lancement de ses préparatifs en prévision des prochaines élections municipales et provinciales qui, selon lui, sont prévues durant l'année 2021, bien que ni la présidence de la République ni celle du gouvernement n'avaient arrêté de date à ces scrutins locaux.
C'est la première fois de l'histoire des élections législatives et locales algériennes que des listes indépendantes sont en lice sous la houlette d'une direction nationale centrale, qui procède à l'organisation des listes à travers la majorité des provinces du pays.
Cette configuration rappelle étrangement la formation du RND en 1997, qualifiée du « Parti du Président », après la tentative de la direction du FLN, dirigé à l'époque par feu Abdelhamid Mehdi, de prendre ses distances par rapport au Pouvoir.
Le gouvernement sait pertinemment que, cette fois-ci, le FLN est une carte grillée bien que le parti historique a obtenu la première place, de même que le RND, ce qui pousse les autorités à chercher une alternative qui serait probablement ce parti qui émanera du giron du bloc des indépendants.
Source : AA