Addis-Abeba a entamé des procédures qui balisent la voie pour assurer le deuxième remplissage du barrage, parallèlement à une coopération militaire intense entre Khartoum et Le Caire
Faisant peu de cas du rejet et des mises en garde du Soudan et de l'Egypte, l'Ethiopie a entamé des procédures qui balisent la voie pour assurer le deuxième remplissage du barrage de la Renaissance, durant les mois de juillet et d’août prochains, selon le Soudan.
Il s'agit d'une mesure qui accroîtra d’un cran la tension dans une crise qui se poursuit depuis plus de 10 ans, entre les trois pays, et la situation actuelle marquée par des déclarations tendues pourrait se transformer en des actes d'hostilité.
Le 26 mai dernier, la Présidence égyptienne a indiqué dans un communiqué que le Chef de l'Etat, Abdelfattah al-Sissi, a discuté avec le Secrétaire d'Etat américain, Anthony Blinken, du dossier du barrage de la Renaissance.
Al-Sissi a affirmé « l'attachement de l'Egypte à ses droits en eau, en parvenant à un accord légal, équitable et contraignant », et souligné l'importance à ce que les Etats-Unis d'Amérique « accomplissent un rôle influent pour résoudre cette crise », marquée par les négociations qui trébuchent et qui sont parrainées par l'Union africaine.
Blinken a, de son côté, « réitéré l'engagement de Washington à déployer des efforts afin de parvenir à un accord, qui préserverait les droits au développement et en eau de toutes les parties », selon le même communiqué.
Au cours d'un entretien téléphonique effectué le 24 mai dernier, le président américain, Joe Biden, a indiqué à son homologue égyptien son intention « d'intensifier les efforts pour résoudre la crise du barrage ».
Dans la plus sévère menace adressée à Addis-Abeba, al-Sissi a déclaré, le 30 mars dernier, que « les eaux du Nil constituent une ligne rouge et toute atteinte aux eaux de l'Egypte sera contrée par une réaction qui menacera la stabilité de la région tout entière ».
- Le point d'achoppement du deuxième remplissage
Selon nombre d'observateurs, il ressort de plusieurs indices qu’un affrontement avec l'Ethiopie est inéluctable, au cas où la divergence des positions des trois pays se poursuivrait, dans la mesure où l'option diplomatique et le langage du dialogue ont été infructueux.
Cette option se confirme d’autant plus que l'Ethiopie insiste pour aller de l'avant sur la voie du deuxième remplissage du barrage, estimant qu'il s'agit d'un droit légitime et rejetant l'initiative des négociations sous les auspices du Quartet, qui comprend l'Union européenne (UE), l'Union africaine (UA), les Nations Unies et les Etats-Unis, initiative lancée par Khartoum depuis des mois et appuyée par l'Egypte.
Les mêmes observateurs estiment que l'amenuisement des chances de résolution de la crise par voies diplomatiques, renforce l'éventualité de l’enclenchement d'un affrontement militaire entre l'Egypte et le Soudan d’une part, et l'Ethiopie d'autre part.
Mardi dernier, le porte-parole du ministère éthiopien des Affaires étrangères, Dina Mufti, a relevé, au cours d'une conférence de presse tenue à Addis-Abeba, que son pays ira de l'avant sur la voie du deuxième remplissage en eau du barrage, et ce à la date prévue, soit durant la saison de l'automne, qui commence généralement en Ethiopie à la fin du mois de juin et qui se poursuit jusqu'au mois d'août.
Mufti n'a pas évoqué la déclaration faite par le Soudan rapportant le début effectif du deuxième remplissage du barrage par l'Ethiopie.
Le négociateur en chef soudanais au dossier du barrage, Mustafa Hussein Zoubeir, avait souligné au cours d’un point de presse, mardi, que l'Ethiopie a commencé effectivement le deuxième remplissage du barrage, sans l'accord préalable de l'Egypte ou du Soudan.
Il a, également, dévoilé que le Soudan a engagé une mobilisation arabe, africaine et internationale pour adresser des messages en vertu desquels le deuxième remplissage a effectivement commencé, sans qu'il y ait d'indices interdisant à l'Ethiopie de l'accomplir sans accord.
Il a relevé, aussi, que "le deuxième remplissage du barrage sera achevé durant les mois de juillet et d'août prochains".
Addis-Abeba insiste à effectuer le deuxième remplissage, indépendamment du fait de parvenir à un accord et s'attelle à relever qu'elle ne vise pas à porter atteinte aux intérêts de l'Egypte et du Soudan, mais que son objectif demeure de produire de l'électricité à des fins de développement.
De leur côté, Khartoum et le Caire s'attachent à parvenir à un accord tripartite, qui préserverait leurs installations hydrauliques et qui garantirait surtout leurs quotes-parts annuelles des eaux du Nil, respectivement de 55,5 milliards de mètres cubes pour l'Egypte et de 18,5 milliards de mètres cubes pour le Soudan.
Parallèlement à cette crise, le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, avait déclaré, lundi dernier, que l'Ethiopie envisageait de construire plus de 100 barrages à petite et à moyenne capacité, au cours de la prochaine année, dans différentes régions du pays.
Commentant cette déclaration, le ministère égyptien des Affaires étrangères a estimé, dans un communiqué, que « cela dévoile, à nouveau, la mauvaise foi de l'Ethiopie et la manière avec laquelle elle traite les dossiers des eaux du Nil et des autres fleuves internationaux qu'elle partage avec les pays du voisinage, et qu’elle considère comme des eaux soumises à sa seule souveraineté et requises pour servir ses propres intérêts ».
-Prémices de guerre
Selon l'expert international et ex-membre de la délégation soudanaise aux négociations sur le barrage, Ahmed al-Mufti, toutes les voies et suppositions concernant le barrage de la Renaissance amènent à la guerre.
Al-Mufti a déclaré que « chaque jour qui passe, la probabilité de l’enclenchement d'une guerre augmente, compte tenu de l'échec essuyé à parvenir à un accord au sujet du barrage ».
Il a relevé que toutes les options possibles ont été épuisées avec l'Ethiopie, à travers des pourparlers qui ont commencé, il y a plus d'une décennie, mais qui sont sanctionnées à chaque fois par un échec.
Notre interlocuteur a ajouté que « le Soudan et l'Egypte sont obligés d'engager une confrontation avec l'Ethiopie, dans la mesure où Addis-Abeba les pousse à cela, à travers sa tentative de contrôler le destin de l'eau des deux pays ».
« Si les gouvernements de l'Egypte et du Soudan ne se mobilisent pas, ce sont les peuples de ces deux pays qui se soulèveront contre leurs gouvernements, d'autant plus que les dégâts et les atteintes aux droits de ces peuples seront considérables », a-t-il expliqué.
« Les préjudices du barrage sont claires. D’un point de vue stratégique, le remplissage du barrage serait synonyme d'une bombe à retardement dans la région », a-t-il précisé.
« Techniquement parlant, cela pourrait provoquer la soif et des conséquences environnementales et sociales sur les deux pays en aval, l'Egypte le Soudan, de même que Khartoum avait indiqué que près de 20 millions de citoyens (la moitié de la population) seront touchés de front par ce barrage », a-t-il encore dit.
Al-Mufti a lié entre les manœuvres militaires égypto-soudanaises à l'accroissement des risques de la confrontation au sujet du dossier du Barrage.
Il a ajouté que ces « manœuvre sont sérieuses et que c'est la première fois que toutes les armes ont été utilisées et qu'elles ne se sont pas limitées à quelques unités militaires ».
Entre le 26 et le 31 mai écoulé, les deux pays voisins ont effectué des manœuvres au Soudan intitulées « Les Protecteurs du Nil », avec la participation d'éléments des forces terrestres, aériennes et de la Défense anti-aérienne.
Source : AA