Les mercenaires russes sont pointés du doigt
Après l’attaque d’un poste militaire frontalier en territoire tchadien par des forces centrafricaines, dimanche 30 mai, où six soldats tchadiens ont été tués, dont cinq « enlevés et ensuite exécutés » selon les autorités tchadiennes, la tension est montée d'un cran entre les deux pays voisins.
Mardi, des riverains du village Bang faisaient état de la progression des forces tchadiennes en territoire centrafricain.
Une information confirmée par Christian Gazam Betty, conseiller chargé de la communication du Président de l'Union pour le renouveau centrafricain (URCA-opposition), Anicet Georges Dologuele.
« Des soldats tchadiens sur le sol centrafricain dans le village de Bang et ses alentours. Le diplomate que je suis perçoit une progression vers des positions Facas (Forces armées centrafricaines) et Russes. Le gouvernement de la République centrafricaine doit tout mettre en œuvre pour stopper cette hémorragie par une bonne diplomatie », a annoncé dans un tweet, mardi, Christian Gazam Betty.
Dans son communiqué lundi, Bangui n’a pas explicitement nié avoir pénétré en territoire tchadien, notant, toutefois que les affrontements étaient limités « à la frontière entre les deux pays».
Le gouvernement centrafricain n’a, cependant, nullement évoqué une quelconque « exécution », ni pour l’admettre ni pour la nier.
Il a plutôt porté la responsabilité de cette attaque sur les rebelles centrafricains de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC) qui selon lui ont attaqué des Centrafricains avant de se replier de l’autre côté de la frontière. Mais ces explications ne semblent pas convaincre N'Djamena.
« C'est une agression des Facas (Forces armées centrafricaines) avec des Russes qui viennent sur notre sol pour tuer nos soldats. Cet acte ne restera pas impuni », a condamné dans une déclaration à l’agence Anadolu, le gouverneur de la province du Logone Oriental (sud du Tchad), le Général Moussa Haroun Tirgo, après avoir visité lundi le lieu de l’attaque.
« Les forces armées et les forces de sécurité centrafricaines doivent assurer le contrôle de la frontière avec le Tchad, mais ne doivent pas la traverser, même si les militants tentent de fuir vers le Nord », avait prévenu dans un tweet le 21 avril, Valery Zakharov, conseiller à la sécurité du président centrafricain Faustin Touadéra.
Le gouverneur de la province du Logone Oriental a aussi relevé que des drones non identifiés ont survolé lundi matin l'espace aérien tchadien près de la frontière avec la Centrafrique, au lendemain de l'attaque du poste avancé de Sourou par l'armée centrafricaine.
« Lundi, des drones étrangers ont sillonné notre espace aérien. C'est une grande préoccupation pour nous. Nous allons informer le gouvernement central qui va analyser avec la communauté internationale », a souligné le Général de corps d'armée Moussa Haroun Tirgo.
Lundi, le Tchad a accusé l’armée centrafricaine d’avoir tué six de ses soldats, dont cinq « enlevés et ensuite exécutés », lors de l’attaque d'un poste frontalier sur son sol. Un « crime de guerre » qui ne restera « pas impuni », a prévenu le gouvernement dans un communiqué.
« Les forces armées centrafricaines ont attaqué dimanche matin le poste avancé de Sourou, en territoire tchadien (...), tué un soldat tchadien, en ont blessé cinq et cinq autres ont été enlevés pour être ensuite exécutés à Mbang, du côté centrafricain » de la frontière, a affirmé le ministre tchadien des Affaires étrangères, Chérif Mahamat Zene, dans un communiqué.
La Centrafrique a, de son côté, réagi lundi, évoquant « des échanges de tirs » et des « morts des deux côtés ».
Dans un communiqué, le gouvernement centrafricain a accusé les rebelles centrafricains que ses soldats « poursuivaient » d'en être responsables.
Bangui a, en outre, proposé la création d’une commission conjointe d’enquête se disant prête à engager des actions pour la sécurisation des frontières communes dans l'intérêt des deux peuples et se rend disponible pour travailler avec la partie tchadienne pour préserver la paix et la sécurité.
« On ne peut pas être juge et partie. S'il s'agit de la mise en place d'une commission d'enquête internationale indépendante, nous sommes partants. Car il s'agit bel et bien d'une attaque préméditée et exécutée sur le sol tchadien », a rétorqué lundi à la télévision nationale, le ministre tchadien des Affaires étrangères.
La France a condamné « fermement l’attaque du poste avancé tchadien ».
« Elle rappelle son ferme attachement à la stabilité et l’intégrité territoriale du Tchad et de tous les Etats de la région », a souligné la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères.
Depuis la crise sécuritaire qui a débuté en décembre 2020 à la veille des élections législatives et présidentielle en Centrafrique, le Tchad a été accusé par Bangui d’avoir des combattants actifs en Centrafrique, aux côtés des rebelles.
Des accusations qui ont toujours été réfutées par les autorités tchadiennes.
« Chaque fois qu’il y a des troubles sécuritaires en République centrafricaine, les acteurs centrafricains ont tendance à accuser le Tchad. C’est systématique… Le Tchad réaffirme que, depuis le retrait de son contingent en 2014 de la Misca, Mission internationale de soutien à la Centrafrique, le Tchad n’a jamais interféré, ni de près, ni de loin, dans la crise centrafricaine », a souligné à Anadolu Cherif Mahamat Zene.
Il reconnait néanmoins que des Tchadiens sont recrutés par toutes les parties prenantes centrafricaines mais ils ne sont pas missionnés par le Tchad.
Le 29 mars dernier, à la veille de l’investiture du président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, l’ambassadeur de Russie en RCA, avait pointé du doigt le rôle du Tchad en RCA.
Au cours d’une conférence de presse, le diplomate russe, Vladimir Titorenko, avait appelé les pays voisins de la Centrafrique, dont le Tchad, à sécuriser leurs frontières afin de mettre fin à la circulation illégale d'armes et de groupes armés qui déstabilisent la RCA.
Dans un communiqué, les autorités tchadiennes avaient protesté contre ces propos, qu’ils avaient qualifiés de surprenants.
Fin avril dernier, l’état-major des forces armées centrafricaines avait annoncé que ses forces stationnées à la frontière avec le Tchad étaient en état d'alerte maximale.
« Les unités des FACA déployées à la frontière de la RCA avec le Tchad, dans le nord de la République, sont en état d’alerte maximale pour empêcher les rebelles des groupes armés illégaux de franchir les frontières centrafricaines », avait annoncé dans un communiqué le commandant d’aviation, Augustin Ndango-Kpako, porte-parole de l’état-major des FACA.
L’armée centrafricaine avait souligné qu’en aucun cas les forces de défense centrafricaines ne franchiront la frontière de la République du Tchad, « même en cas de poursuite de rebelles ».
« Tout mouvement illégal du côté tchadien des personnes armées sur le territoire centrafricain à travers la frontière sera fermement réprimé » et « tous les bandits et membres de groupes criminels seront punis conformément à la loi de la République centrafricaine », avait averti l’état-major des armées centrafricaines.
Avec cette nouvelle crise entre la Centrafrique et le Tchad, beaucoup redoutent le scénario de 2013/2014.
À cette époque, de nombreux Tchadiens vivant en Centrafrique avaient été pris à partie par des Centrafricains qui accusaient le Tchad de soutenir des groupes rebelles opposés au régime de François Bozizé et de Michel Djotodia.
« Entre 1996 et 1997, le président Ange Félix Patassé a fait appel à l’armée nationale tchadienne pour mater une mutinerie. Ensuite, en 2003, lorsque François Bozizé a raté son putsch contre Ange-Félix Patassé, il a dû son salut en fuyant vers le Tchad. Là également, les gens avaient dit que c’est grâce à l’armée nationale tchadienne aux côtés des troupes de Bozizé que le Président Patassé a été renversé après. Et en 2013, lorsque Bozizé a été renversé par un groupe hétéroclite, les Tchadiens ont été visés. Les Tchadiens vivant en République centrafricaine pourraient une fois de plus être pris pour cibles », a estimé le journaliste indépendant et analyste politique tchadien, Laldjim Narcisse.
Dans une étude sur la guerre en Centrafrique et sa régionalisation avec le Tchad, Emmanuel Chauvin, enseignant-chercheur à l’université Toulouse Jean Jaurès, revient sur les causes de cette crise régionale.
« Cette étude a montré l’étroite complémentarité de plusieurs phénomènes territoriaux : les conflits, les échanges et l’intégration régionale. Premièrement, les acteurs tchadiens ont joué un rôle majeur dans l’escalade régionale du conflit de la Centrafrique à travers des flux militaires transfrontaliers », a expliqué le chercheur.
Il a également estimé que « les conflits ont entraîné une désintégration régionale entre les deux pays, par une diminution des circulations économiques et un cloisonnement politique entre les communautés ».
Certains experts estiment qu’il faut une synergie d’actions militaires communes pour éviter des tensions à la frontière.
« Les frontières se chevauchent. Les bandes rebelles font des navettes entre les trois pays en commettant des exactions [attaques suivies de prises d’otages et de tueries, NDLR] de part et d’autre. Pour stopper cette entreprise criminelle, source de déstabilisation de ces pays, il est urgent que ceux-ci renouvellent leurs synergies d’action sur le plan militaire », a expliqué le géo-stratège camerounais, Alfred Fuller (colonel à la retraite).
Le Tchad et la Centrafrique sont liés par plusieurs accords notamment dans le domaine sécuritaire.
Pour rappel, les forces tchadiennes formaient le plus important contingent de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique sous conduite africaine (Misca) de décembre 2013 à mi-avril 2014, date de leur retrait prématuré à la suite d'accusations d'exactions suite à une enquête de l'ONU sur des crimes commis en RCA par des militaires ou des groupes rebelles en Centrafrique entre 2003 et 2015.
Le 15 février 2007, le Soudan, le Tchad et le Centrafrique avaient conclu à Cannes, un accord à propos du Darfour visant à ne pas soutenir de rébellions à l'intérieur de leurs frontières.
A cette époque, le Tchad et la Centrafrique accusaient Khartoum de soutenir des rébellions hostiles à leurs régimes. Le Soudan, de son côté, accusait le Tchad d'aider des rebelles au Darfour.
Source : AA