S’agissant des relations de l’Egypte avec la Turquie, le Qatar, la Libye et le Mouvement Hamas
Depuis le début de l’année 2021, les contours des changements notoires de la politique étrangère égyptienne sont devenus denses en particulier sur quatre principales orbites, qui ont vu Le Caire déployer des efforts, mutuels faut-il le souligner, avec la Turquie, le Qatar, la Libye et le Mouvement palestinien de la Résistance islamique, Hamas.
S’agissant d’Ankara, l’Egypte a qualifié des déclarations et des agissements turcs comme faisant « l’objet de considération ».
Les deux pays ont tenu des consultations à la demande de l’Egypte, parallèlement à deux contacts au niveau des ministres des Affaires étrangères et il est attendu que davantage de rencontres se tiennent durant la prochaine étape dans une tentative d'engager les relations bilatérales dans une nouvelle phase.
Il a été remarqué également une accélération des mesures de normalisation des relations entre l’Egypte et le Qatar qui a atteint son point d’orgue lorsque le Président égyptien, Abdelfattah al-Sissi a reçu, mardi dernier, une invitation de la part de l’émir qatari pour se rendre à Doha.
Dans le dossier libyen, l’Egypte a réduit au minimum le soutien accordé à son ancien allié, le général à la retraite, Khalifa Haftar et s’est rapproché, par contre, du gouvernement d’Union nationale, lequel rapprochement s’est illustré à travers aussi bien une visite inédite effectuée à Tripoli par une délégation gouvernementale égyptienne que par la réouverture de l’ambassade égyptienne dans la capitale libyenne après des années de fermeture.
Dans la quatrième orbite, il a été constaté un grand rapprochement de l’Egypte avec le Mouvement Hamas. Le chef du Bureau politique du Hamas a été convié pour visiter le Caire, et ce après l’intervention du Caire couronnée de la conclusion d’un cessez-le-feu entre les factions palestiniennes à Gaza et Israël, dans ce qui apparait comme étant une extension de l’influence cairote dans un dossier embarrassant pour l’Administration américaine.
Anadolu observe dans ce papier le changement notoire dans la politique étrangère égyptienne via ces quatre orbites.
Premièrement : L’orbite de la Turquie ... Louanges et consultations
Le 8 avril écoulé, le Premier ministre égyptien, Moustafa Madbouli, a fait part de ses remerciements à l’adresse du président turc, Recep Tayyip Erdogan, pour les efforts qu’il a déployés, au cours de la Présidence régulière par Ankara du « Groupe des huit pays islamiques en développement », plus connu sous l’acronyme D-8.
Ces remerciements sont intervenus un mois après que le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a annoncé, en date du 12 mars, l’amorce de contacts diplomatiques entre Ankara et le Caire en vue de normaliser leurs relations.
Cette même annonce avait été précédée, au mois de décembre de l’année 2020, par une déclaration dans laquelle le chef de la diplomatie turque avait dévoilé que les deux pays « s’emploient à identifier une feuille de route relative à leurs relations bilatérales ».
Le 12 avril écoulé, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a, dans un entretien téléphonique qu’il a eu avec son homologue turc, souligné que l’Egypte est soucieuse « d’établir des relations avec la Turquie, sur la base des règles du droit international et d’un dialogue franc qui sert les intérêts mutuels des deux pays ».
Dans des déclarations télévisées, Choukri a relevé que les « derniers gestes et déclarations turcs font l’objet de considération et nous sommes hautement intéressés pour créer un véritable changement en termes d’indicateurs politiques et d’ouverture politique également, afin de déterminer un cadre de nos relations et des modalités de les gérer ».
Les choses ont évolué, par la suite, lorsque l’Egypte a accueilli un round préliminaire de consultations bilatérales, en date du 5 et 6 mai courant, round conduit par le vice-ministre égyptien des Affaires étrangères, Hamdi Sanad Loza et son homologue turc, Sadat Unal.
Il ressort d’une Déclaration finale, publiée à l’issue de ce round, que les « consultations ont été franches et profondes, ayant permis de passer en revue l’ensemble des questions bilatérales et régionales d’intérêt commun ».
Cavusolgu avait déclaré, à cette date, que la rencontre des deux délégations a eu lieu à l’invitation du Caire et s’est déroulée dans une atmosphère « conviviale et positive », ce qui a permis de discuter des voies et moyens à même d’assurer l’amélioration des relations », ajoutant que ce genre de rencontres se poursuivra au cours de la période à venir.
Le lendemain, soit le 7 mai, le président turc Erdogan a annoncé le début d’une nouvelle phase des relations avec l’Egypte, affirmant que les discussions se poursuivront et seront consolidées et élargies.
Quatre jours plus tard, Cavusolgu a discuté avec Choukri, au cours d’un entretien téléphonique, le 11 mai, des développements survenus dans la Bande de Gaza, qui subissait une agression militaire israélienne, lancée la veille.
Rappelons que les relations entre l’Egypte et la Turquie ont été maintenus depuis 2013, mais au niveau des chargés d’affaires. Depuis cette date, les ministres des Affaires étrangères des deux pays ont eu des rencontres furtives et épisodiques, en marge de divers évènements et conférences.
L’ambassade de la Turquie au Caire et son consulat à Alexandrie de même que l’ambassade d’Egypte à Ankara et son consulat à Istanbul ont continué à fonctionner et à fournir leurs services.
Deuxièmement : L’orbite du Qatar ... Accélération de la reprise des relations et invitation à visiter Doha
Le 5 janvier dernier, la Déclaration d’al-Ula a émané du Sommet des pays du Golfe en Arabie saoudite, annonçant ainsi la fin d'une crise aiguë, qui s'est enclenchée au milieu de l'année 2017. L'Arabie Saoudite, les Emirats, le Bahreïn et l'Egypte ont rompu leurs relations avec le Qatar parallèlement à l’imposition d’un blocus économique et frontalier.
Immédiatement après la signature de la Déclaration d’al-Ula, le Caire et Doha ont œuvré « de manière intensive à tourner la page des différends » qui les avait opposés pendant des années.
D'un boycott gouvernemental ponctué d'attaques médiatiques, la situation s'est transformée en des rencontres et des contacts officiels marqués par une accalmie et un équilibre dans le discours utilisé, ce qui reflète une volonté commune d'accélérer la reprise des relations et de résoudre les problèmes antérieurs en suspens.
En effet, le 23 février dernier, deux délégations officielles, qatarie et égyptienne ont tenu des discussions, au Koweït, pour examiner les mécanismes de mise en œuvre de la Déclaration de réconciliation.
Dix jours plus tard, le ministre qatari des Affaires étrangères, Mohamed ben Abderrahmen al-Thani, a effectué sa première visite en Egypte depuis la réconciliation conclue en terre saoudienne.
A l'issue d'une entrevue avec Sameh Choukri, le chef de la diplomatie qatarie a affirmé que Doha et le Caire s'emploient à « réchauffer leurs relations bilatérales ».
Le 8 mars, soit moins d'une semaine après cette visite, une délégation qatarie s'est rendue, pour la première fois au Caire, depuis la réconciliation.
La semaine d'après, le ministre égyptien des Affaires étrangères a déclaré, lors d'une réunion d'une commission parlementaire, que « les frères au Qatar ont adressé un message positif pour la reprise des relations ».
Un mois plus tard, soit le 12 avril, le président égyptien, Abdelfattah al-Sissi, a reçu un appel téléphonique de la part de l'émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad al-Thani, qui l'a félicité à l'occasion de l'avènement du mois sacré du Ramadan. Il s'agit du premier contact entre les deux chefs d'Etat depuis la réconciliation d’al-Ula.
Durant l'agression israélienne contre la Bande de Gaza, Choukri s'est entretenu au téléphone avec son homologue qatari, le 16 mai, pour convenir de l'importance de travailler ensemble afin de parvenir à un cessez-le-feu et pour souligner la continuité de la coordination dans un cadre bilatéral et régional.
Lundi 24 mai, le ministre qatari des Affaires étrangères a atterri au Caire, dans ce qui est considéré comme sa deuxième visite en Egypte, depuis la réconciliation en janvier dernier.
Al-Thani s'est entretenu avec Choukri et fait part de ses remerciements à l'adresse de l’Egypte pour son rôle dans la conclusion de l'Accord de cessez-le-feu, à Gaza, tandis que la partie égyptienne a évoqué « un développement positif des relations » avec Doha.
Al-Thani a remis, le lendemain, à al-Sissi un message écrit de l'émir de l'Etat du Qatar qui l’invite à se rendre à Doha, dans ce qui est considéré comme le développement majeur au niveau des relations bilatérales depuis la réconciliation.
Troisièmement : L'orbite de la Libye ... Se démarquer de Haftar et se rapprocher du gouvernement
Pendant plusieurs années, l'Egypte a affiché publiquement son soutien inconditionnel au général à la retraite, Khalifa Haftar, qui a combattu sans relâche l'ancien gouvernement d'Entente nationale, reconnu par la Communauté internationale.
Après l'échec du pari porté sur Haftar, le lot d'accusations et la série de frappes aériennes égyptiennes contre des éléments qualifiés par le Caire de « terroristes » en Libye, l'Egypte s'est rapprochée davantage du gouvernement officiel actuel et de son voisin de l'ouest, en prenant des mesures et des décisions inédites.
En effet, le 5 février dernier, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukri, a adressé un message de félicitations à Abdelhamid Dbeibeh, après son élection au poste de Chef de gouvernement d'Union nationale.
Moins de deux semaines plus tard, Dbeibeh a débarqué au Caire dans ce qui est considéré comme sa première visite à l'étranger, depuis qu’il a été officiellement investi, ce qui constitue un développement qui a reflété des ambitions mutuelles, en particulier, celles de l’Egypte, en vue d’accroître le niveau des relations.
Le 13 mars dernier, al-Sissi a eu un entretien téléphonique avec Dbeibeh pour le féliciter, après l'obtention par son gouvernement de la confiance du Parlement et pour affirmer le soutien franc de l'Egypte à son cabinet et la prédisposition du Caire à participer à la réalisation des projets de développement en Libye.
Cet entretien téléphonique a reflété, si besoin est, le développement du niveau des consultations et des contacts entre les deux pays voisins, avec comme horizon les éventuels acquis économiques pouvant être engrangés par le Caire, en particulier, après la conclusion d'un accord de retour de la main d'œuvre égyptienne en Libye.
Il convient de noter que cette main d'œuvre, évaluée à plusieurs millions de personnes, représentait un appui de taille à l'économie égyptienne, en termes, notamment, de transferts sociaux, mais dont le nombre s’est réduit de manière drastique, depuis l’enclenchement du conflit armé en Libye.
Le 20 avril écoulé, Madbouli est arrivé à Tripoli à la tête d’une délégation gouvernementale composée de 11 ministres. Il s’agit de la première visite effectuée par un responsable égyptien de ce rang, en Libye, depuis plus d'une décennie, la dernière visite remontant à 2010.
Madbouli a qualifié ce déplacement « d'historique à tous les niveaux », affirmant que des efforts ont été déployés et des actions engagées en vue de parvenir à un accord pour le retour de la main d'œuvre égyptienne en Libye.
De son côté, Dbeibeh a fait des déclarations pour « saluer chaleureusement les contours de ce changement d'attitude » de l'Egypte. Évoquant au passage « la genèse d'une nouvelle étape de partenariat entre les deux pays et la signature de plusieurs accords importants ».
A la fin de la visite, l'Egypte et la Libye ont rendu publique une Déclaration finale, dans laquelle ils ont annoncé être convenus de la mise en place de patrouilles frontalières, de l'installation de points de contrôle, de la reprise des dessertes aériennes entre les deux pays et de l’encouragement des échanges économiques, mutuellement profitables.
Au début du mois de mai, le diplomate égyptien, Mohamed Tharouat, est arrivé à Tripoli pour occuper le poste d’ambassadeur, annonçant ainsi officiellement la reprise de l'action diplomatique du Caire en Libye.
Quatre jours plus tard, la commission consulaire mixte (égypto-libyenne) a repris ses travaux au Caire après huit ans d'interruption et d’inaction.
Quatrièmement : L'orbite du Hamas ... Rapprochement renforcé, influence grandissante et rôle de médiateur
Depuis le début de l'escalade israélienne en Palestine, en particulier, dans la Bande de Gaza, contrôlée par le Mouvement Hamas, depuis l'été 2007, un rapprochement remarquable a été annoncé entre le Caire et le Mouvement bien implanté dans l'enclave frontalière avec la péninsule du Sinaï, dans le cadre de la conduite par l’Egypte d'une médiation pour parvenir à un cessez-le-feu avec Israël.
Alors que les combats intenses se poursuivaient entre les factions de la Résistance palestinienne à Gaza et Israël, le président égyptien, Abdelfattah al-Sissi, a annoncé, en date du 18 mai courant, que des fonds, d’une valeur de 500 millions de dollars, seront réservés à la reconstruction de la Bande de Gaza. Cette mesure a été saluée par le président du Bureau politique du Hamas, Ismaël Haniyeh.
En effet, le Fonds baptisé « Tayha Misr » (Vive l’Egypte, public), a annoncé que « sous des directives présidentielles, un compte financier a été ouvert pour recevoir les contributions de l'Intérieur et de l'extérieur de l'Egypte, afin de reconstruire la Bande de Gaza, où vivent plus de deux millions de Palestiniens ».
Vendredi à l'aube, et à la faveur d'efforts égyptiens, un cessez-le-feu a été annoncé. Une délégation sécuritaire égyptienne est arrivée dans la foulée à Gaza pour mener des consultations avec les deux parties, palestinienne et israélienne, notamment, avec les factions palestiniennes, et en particulier, les dirigeants du Hamas.
Le surlendemain, un convoi d'aides égyptiennes est arrivé à Gaza, après avoir franchi le point de passage terrestre de Rafah, qui sépare la Bande palestinienne de l'Egypte. Il s'agit du deuxième convoi, en l'espace d'une semaine, composé de 87 camions pour soutenir la population civile de la Bande, assiégée par Israël depuis l'été 2006.
L'ensemble de ces mesures inédites dévoile une orientation égyptienne destinée à assurer un plus grand rapprochement avec le Hamas et à étendre l'influence et le pouvoir du Caire à Gaza, ce qui nécessite inévitablement une coordination et l'établissement de liens forts avec le Mouvement.
C'est ainsi que l'initiative de reconstruction, certes saluée, a soulevé en même temps une série d'interrogations quant à la capacité de l'Egypte de l'honorer, compte tenu de son économie qui fait face à plusieurs problèmes et qui a besoin de ces fonds.
L'invitation lancée à Haniyeh pour se rendre au Caire reflète la volonté de l'Egypte de garantir une plus grande coordination politique avec le Hamas, après que le Caire a réussi à être au centre de la médiation pour le cessez-le-feu entre les factions de la Résistance palestinienne et l’Etat hébreu.
Ainsi, l'Egypte joue le rôle de médiateur politique entre le Hamas et les Etats-Unis, un nouveau développement et un rôle égyptien, dont Washington a grandement besoin, compte tenu de son incapacité à traiter directement avec le Hamas et au vu de ses relations stratégiques privilégiées établies avec le Caire.
Source : AA