Seulement 10 % des Russes ont reçu une première dose du vaccin contre la COVID-19. La Russie a beau en avoir développé trois, dont le Spoutnik, la méfiance et l'indifférence l’emportent.
Vivre en Russie en pleine pandémie, c’est vivre dans un monde parallèle à celui que l'on observe de loin, en Asie, en Europe ou aux États-Unis.
Alors que le nombre de cas d’infection baisse dans ces coins du monde, en grande partie grâce à la vaccination de masse et aux mesures pénibles de confinement des derniers mois, ici, en Russie, c’est le contraire qui se produit.
Le nombre d'infections a recommencé à croître ces dernières semaines et les hospitalisations aussi, avec presque 9000 cas confirmés le 26 mai et plus de 400 décès.
Il suffit de marcher deux coins de rue à Moscou, pas plus, pour comprendre. Les gens se collent, se font la bise, et quand ils portent le masque, c’est souvent autour du cou plutôt que sur le visage.
Les Russes sont libres de se rassembler à leur guise, autant à la maison que dans les bars ou les restaurants, parce que leur gouvernement a choisi de ne pas imposer de confinement depuis presque un an pour épargner l'économie. Et la population, en bonne partie, s’en est réjouie.
Pour le Kremlin, qui misait surtout sur la vaccination pour contrer la troisième vague, c’est raté.
J’ai eu la COVID au printemps de toute façon
, me dit une jeune femme qui s’installe sur une terrasse pour un 5 à 7. Son amie arrive quelques minutes plus tard et m'explique qu’elle aussi a les anticorps.
Et le vaccin? Elle éclate de rire : Il faudra qu'on me force pour le recevoir.
L’échange n’est pas qu'anecdotique, c’est la norme en Russie.
Au 25 mai, seulement 10,8 % de la population avait reçu une première dose, et seulement 7 % était pleinement vaccinée.
C’est le taux le plus bas de tous les pays développés, malgré le fait que la Russie a mis au point trois vaccins, dont le Spoutnik V, qui serait un des plus efficaces du monde et un des plus vendus à l’étranger.
Mais je ne leur fais pas confiance, dit Alina en fumant une cigarette pendant sa pause de travail. Et j’ai peur des conséquences du vaccin sur mon système reproductif.
Deux jeunes mamans passent juste à côté et évoquent la peur de l’inconnu pour justifier leur refus d'être inoculées.
Je ne me ferai vacciner que si ça me permet de voyager, mais ce n'est pas le cas pour le moment
, dit une autre jeune femme, qui s’offre une session de photo pour son compte Instagram dans une jolie rue près du théâtre Bolchoï.
Si le mot-clic #je suis vacciné fait fureur au Canada, photo à l’appui, en Russie, rares sont ceux qui s’en vantent quand c’est le cas.
Cette indifférence me frustre énormément
, dit Yelena Ivankiv, une cinquantenaire qui est aussi l'une des rares vaccinées que nous avons croisées durant tout un après-midi au centre-ville de Moscou.
En Europe, les gens se battent pour se faire vacciner. Et ici, quand c'est gratuit et à chaque coin de rue, les gens s’en balancent. Certains pensent encore que l'épidémie est une fiction.
Elle dit que toutes les excuses sont bonnes pour snober le vaccin, mais certainement pas sa disponibilité.
Des cliniques temporaires ont en effet été installées un peu partout à Moscou, dans le parc même, et dans des centres commerciaux. Souvent, le personnel attend assis, les bras croisés, parce que les Russes ne sont pas au rendez-vous.
C’est un échec monumental, de l'aveu même du maire de Moscou, Sergei Sobyanin, qui a rarement affiché publiquement son découragement comme il l’a fait le week-end dernier, en conférence de presse.
Moscou a été la première grande ville du monde à annoncer le début de la vaccination de masse, mais le pourcentage de personnes vaccinées ici est inférieur à celui de n'importe quelle ville européenne, dit-il. Les gens tombent malades et meurent, mais la population refuse toujours le vaccin.
Nous avons pu constater que même les efforts déployés par les autorités ont peu d’effet en suivant un centre de vaccination mobile qui s’est rendu dans les campagnes pour convaincre les gens de se faire vacciner.
Dans le village de Pyatnitsa, le camion s’arrête et les infirmières attendent. Le temps est long.
Luba, une femme de 79 ans, dit qu’elle a peur et demande à la blague si elle peut prendre un verre de cognac avant la piqûre. Pas d'alcool trois jours avant et après la vaccination, lui rappelle son amie. Ce sont les consignes en Russie.
Luba finit par tendre le bras en disant qu'à son âge, advienne que pourra.
Quelque cinq heures plus tard, seules sept personnes sont venues se faire vacciner dans ce village de 500 âmes, confirme la Dre Lena Kolmakova.
C’est très décevant, et je crois que c’est le manque d’information et la courte durée des essais cliniques qui explique la méfiance. Les gens pensent qu’il n’a pas été assez étudié et ils en ont peur.
La situation est désastreuse, nous dit Alexeï Kouprianov, qui est chercheur à l'Académie des sciences en Russie.
Les Russes ont une attitude désinvolte face à la COVID-19 et c'est en bonne partie, selon lui, parce qu'ils n'ont pas l’heure juste quant au nombre réel de cas et de décès depuis le début de la pandémie.
Si les autorités rapportent officiellement 119 000 morts, les recherches d'Alexeï Kouprianov indiquent un taux de surmortalité de 500 000 attribuable au coronavirus.
Le chercheur constate que seule une poignée de villes rapportent les cas réels, comme Saint-Pétersbourg et la Carélie. Mais pour le reste, dit-il, la véritable situation est sous-estimée et surtout, volontairement masquée.
La Russie misait sur ses vaccins pour contrer la troisième vague, qui semble désormais inévitable. Et à ce rythme, selon plusieurs experts, dont Alexeï Kouprianov, l’immunité collective en Russie sera atteinte en raison de la transmission du virus et non grâce à la vaccination.
Je suis un enfant de la guerre et ce n'est pas la COVID qui va m'emporter
, dit Nikolai Ivanovich Zaletaev en nettoyant son jardin dans le village de Pyatnitsa.
Il va sans dire qu’il a refusé de se rendre à la clinique mobile, même s'il n’avait que deux minutes de marche à faire pour s’y rendre.
Il ira quand ce sera obligatoire.
Plusieurs politiciens russes, dont l’ancien premier ministre Dmitri Medvedev, ont évoqué la nécessité de la rendre obligatoire.
Vladimir Poutine a tranché cette semaine qu'une telle mesure n’était pas envisageable.
Le président dit avoir été vacciné ce printemps, mais il a refusé de le faire publiquement devant les caméras, tout comme il refuse à ce jour de dévoiler lequel des trois vaccins russes lui a été administré.
Source : radio-canada.ca