Le Président français, qui est arrivé jeudi dans la capitale rwandaise, accompagné d'entrepreneurs, viendra chercher la confirmation du réchauffement diplomatique en cours entre les deux pays, après plusieurs décennies de relations conflictuelles
Emmanuel Macron s'entretient, jeudi à Kigali, pour la deuxième fois en dix jours avec Paul Kagame, après sa rencontre avec son homologue rwandais, lundi 17 mai, à Paris, au Sommet de financement des économies africaines.
Interrogé mercredi par l'Agence Anadolu, Roger Ngbama Ma Mbelenga, chercheur à l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) a rappelé que cette « rencontre était prévue à la fin de ce mois, celle-ci s'inscrivant dans la perspective du réchauffement des relations entre la France et le Rwanda. Il s'agit d'un processus en cours, avec des perspectives positives », note le chercheur franco-congolais rappelant les relations tendues et conflictuelles par épisodes, entre Paris et Kigali au cours des décennies passées, notamment après l'attentat du 6 avril 1994 et le génocide rwandais survenu la même année.
Le Président français a souligné, mardi 18 mai, qu'il avait « à cœur d’écrire une nouvelle page » entre les deux pays alors que la veille, le président rwandais interrogé par les médias de l'Hexagone, estimait qu'une « bonne relation » était désormais possible entre Kigali et Paris, notamment à la suite de la publication du « Rapport Duclert » [1] imputant des « responsabilités lourdes et accablantes » aux autorités françaises dans le génocide rwandais ayant coûté la vie à 800 000 personnes.
- Rupture des relations diplomatiques entre la France et le Rwanda
« L'attentat du 6 avril 1994 durant lequel le Président du Rwanda, Juvénal Habayarimana et son homologue burundais, Cyprien Ntaryamira avaient été assassinés, a été suivi d'une longue série de démêlées judiciaires ayant mené à une rupture des relations diplomatiques bilatérales franco-rwandaises en 2006 », rappelle d'abord Ngbama Ma Mbelenga.
« Il s'agit de plusieurs années de conflits diplomatiques, d'accusations de part et d'autre, et d'un rapport de force entre la France et le Rwanda », note le chercheur franco-congolais, rappelant également « les dépôts de plainte des familles françaises de l'équipe de pilotage de l'avion par le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguiere », pour mener une enquête sur cet attentat du 6 avril 1994 ».
Saisi par ces familles en 1998, « le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière avait conclu à une responsabilité des autorités rwandaises, et même Paul Kagame avait été mis en cause. Il est à rappeler que suite à cet attentat et aux massacres qui ont suivi, il avait pris le pouvoir avec sa force armée rebelle, le FPR (Front patriotique rwandais)», note le chercheur, rappelant que « le magistrat avait recommandé au Tribunal Pénal International sur le Rwanda (TPIR) de poursuivre Paul Kagame, pourtant sous immunité judiciaire en tant que Président du Rwanda.
En réaction aux procédures judiciaires alors en cours en France contre les autorités rwandaises, notamment contre son président, « le pouvoir rwandais dénonçant les accusations du juge, a constitué une commission de justice au Rwanda qui a mis en cause l’armée française dans le génocide qui a suivi », rappelle Ngbama Ma Mbelenga, ajoutant que « dans sa procédure, l'Exécutif rwandais a exigé que des responsables importants du gouvernement français soient entendus, notamment Alain Juppé, en charge de la Diplomatie française, ainsi qu'Hubert Védrine, Secrétaire général de la présidence de la République, au cours de la période précédant et incluant le génocide rwandais.
« Les autorités rwandaises voulaient que des responsables politiques français soient entendus par la CPI. Le Rwanda a notamment porté plainte devant la Cour Pénale Internationale (CPI), car selon les autorités rwandaises, la France ne respectait pas le droit international en impliquant le Président Kagame et affirmaient que la France avait pris part aux événements ayant mené au génocide, lui attribuant une responsabilité dans celui-ci ».
- Réchauffement diplomatique entre Kigali et Paris
Notant que le réchauffement des relations bilatérales franco-rwandaises a pris un nouvel élan sous la Présidence d'Emmanuel Macron, Ngbama Ma Mbelenga note qu'il s’agit d'un « processus en cours, avec des perspectives positives ».
Le chercheur rappelle qu'après la rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali en 2006, « dès l'année suivante, s'est initié un processus dans lequel, la France n'a pas cessé de chercher, par les initiatives de ses présidents successifs, à commencer par Nicolas Sarkozy, à œuvrer pour un rapprochement entre Paris et Kigali », Claude Guéant, secrétaire général de la Présidence française, rendant visite au Président Kagame la même année, renouant ainsi les relations diplomatiques, et en février 2010, Nicolas Sarkozy, était le seul président français à se rendre à Kigali.
Au cours d'une longue période d'échanges parfois difficiles sous la Présidence de François Hollande, durant laquelle Kigali a notamment refusé l'ambassadeur proposé par Paris, la reconnaissance du rôle de l'État français dans les événements liés au génocide rwandais, constituait la question la plus épineuse.
Soulignant l'impact du « Rapport Duclert », Ngbama Ma Mbelenga rappelle «que le président Macron voulait avoir une idée des responsabilités de la France, au cours de l'opération Turquoise », l'opération militaire menée par la France suite à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU le 22 juin 1994.
« Pour Macron, il s'agissait de démontrer sa volonté de nouer de bonnes relations avec le Rwanda », ajoute le chercheur de l'IPSE. Il semblerait que la mission soit réussie pour le Président français, alors que son homologue rwandais estimait qu'une « bonne relation » était désormais possible entre Kigali et Paris.
- Enjeux importants pour Kigali et Paris
Le Rwanda, connu également comme le « pays des mille collines », ou « Suisse de l'Afrique », pays de la région des Grands Lacs, jouit d'une position clé au cœur de l'Afrique et dispose d'une population jeune (12 millions d'habitants dont 60 % ont moins de 25 ans), alors que le pays a connu un essor démographique important au cours de la décennie passée, avec une croissance moyenne annuelle de plus de 8 % (2010-2019), ainsi qu'un essor économique l'érigeant en modèle de développement pour les économies africaines, avec notamment une croissance annuelle moyenne de son produit intérieur brut (PIB) de plus de 7 % au cours de la même période.
Ngbama Ma Mbelenga note également que « le Rwanda, d'après les rapports que nous recevons, opère une bonne gestion de la crise sanitaire du coronavirus. Le pays démontre un réel progrès en termes économiques, sociaux, mais également au niveau de ses infrastructures de santé », souligne le chercheur de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
S'agissant des relations économiques et commerciales entre la France et le Rwanda, « depuis 1994, les échanges économiques ne sont pas au beau fixe, il s'agit d'un enjeu majeur comme le démontre la présence d'investisseurs français dans la visite de jeudi », note encore Ngbama Ma Mbelenga n'excluant pas l'intégration d'un chapitre de coopération militaire dans cette rencontre.
« Cela ne devrait pas manquer : le Rwanda a des besoins, voire des lacunes dans ce domaine, la France dispose d'une industrie orientée à l'exportation, elle peut également offrir ses services dans le domaine des renseignements », note le chercheur franco-congolais rappelant néanmoins la concurrence étrangère, de pays tels qu'Israël, les États-Unis, la Grande-Bretagne ou encore la Chine.
« L'économie rwandaise est d'abord basée sur l'exploitation du thé, mais également sur l'exploitation de ressources minières comme l'étain, l'or, le diamant et le coltan », précise Ngbama Ma Mbelenga notant cependant que « malheureusement, il est reproché au Rwanda de tirer ces ressources minières du pillage de l’Est de la République démocratique du Congo où il entretient une déstabilisation permanente ».
S'agissant des retombées politiques du voyage d'Emmanuel Macron, « il donnera l'image de cet homme politique français qui cherche à entretenir des relations apaisées avec le continent : une bonne image de la France sur le plan diplomatique et une bonne image de Macron à un moment où dans beaucoup de pays, africains notamment, nous pouvons constater une contestation importante de la France », estime le chercheur.
Emmanuel Macron a également besoin de se trouver un héritage, celui de Nicolas Sarkozy, afin de fracturer la droite politique française, mais également d'assumer le rôle du dénonciateur de François Mitterrand afin de casser la gauche, selon des observateurs à Paris.
« Côté rwandais également, pour Paul Kagame, [qui a rendu possible la mise en route de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) en mai 2018, alors qu’il présidait l’Union Africaine], il y aura des retombées politiques pour un président qui aura su discuter sur la question historique et apporter des partenaires importants pour son pays, notamment des investissements et des transferts de technologie », conclut Ngbama Ma Mbelenga, chercheur au sein de l'IPSE, rappelant néanmoins qu'il puisse encore rester quelques contentieux judiciaires n'empêchant pas l'essor des relations franco-rwandaises.
Source : AA