Tchad : Après la défaite des rebelles, le Conseil militaire étouffera-t-il la colère de la Rue ?

L’armée tchadienne est parvenue à infliger une défaite aux rebelles déployés dans le nord du pays, mais une autre bataille complètement différente, qui aura lieu dans la capitale N’Djamena et les villes du sud, attend le Conseil militaire de transition (CMT) conduit par Mahamat Idriss Déby, fils du président défunt.
Les partis de l’opposition et les syndicats insistent sur le fait que le Conseil militaire a commis un « coup d’Etat institutionnel », lorsqu’il s’est emparé du pouvoir et procédé à la dissolution du parlement, au limogeage du gouvernement et à la suspension de la Constitution.
L’opposition rejette la composition du nouveau gouvernement désigné par le CMT, estimant que ce cabinet n’a pas été l’aboutissement d’un dialogue et d’un consensus entre les partis politiques.
Un état d’incertitude a prévalu au sujet du destin du pays, qui a son poids dans la région de l’Afrique centrale, après l’élimination du président Déby, des suites d’une attaque lancée par les rebelles depuis le nord, et le refus de 30 partis de l’opposition de reconnaître la légitimité et l’autorité du Conseil militaire de transition.

Le jour où le drapeau français a été brûlé

L’opposition politique a conduit plusieurs manifestations et marches pour réclamer la démission du Conseil militaire, rejetant ce qu’elle a considéré comme « la transmission héréditaire du pouvoir » du père au fils, et décidé de mettre sur pied une coordination mixte sous le nom de « Wakit-Tama » (Il est grand temps).
Le Mouvement de « Wakit-Tama » a conduit des manifestations pour réclamer le retrait du Conseil militaire du Pouvoir. Au cours de ces marches, des manifestants ont brûlé et piétiné le drapeau français pour dénoncer le soutien apporté à Déby-fils.
Toutefois, certaines de ces manifestations ont déploré des morts, enregistré des blessés en plus de centaines d’interpellations dans les rangs des protestataires.
Les manifestations du 27 avril écoulé ont coûté la vie à six personnes et les forces de l’ordre ont interpellé 600 individus selon des médias locaux.
En dépit de l’interdiction par les autorités militaires de toute marche sans autorisation préalable, il n’en demeure pas moins que des dizaines de protestataires sont sortis manifester le 8 mai courant, dans plusieurs villes tchadiennes.
La coalition de l’opposition de « Wakit-Tama » planifie une troisième vague de manifestations au courant du mois de mai, afin d’accroître la pression exercée sur le Conseil militaire selon le site « Tchad-info ».

Diviser les rangs de l’opposition

Déby fils acquiert au fur et à mesure davantage de confiance après, notamment, son obtention des faveurs et de l’appui des principaux dirigeants de l’armée qui ont combattu, des années durant, aux côtés de son père, ainsi que du soutien de l’allié stratégique de son pays, en l’occurrence la France, et celui des quatre Etats du Sahel (Niger, Mali, Mauritanie, Burkina Faso).
Après l’annonce de la défaite de la rébellion menée par le « Front de l’Alternance et du Consensus du Tchad » (FACT) et du retour des soldats aux casernes, Déby fils n’a plus qu’à faire face à l’opposition politique à N’Djamena et dans les villes du sud du pays.
Le Conseil militaire est parvenu de réaliser une percée de taille dans les rangs de l’opposition, lorsqu’il a réussi à faire adhérer au gouvernement l’un des principaux chefs de l’opposition, Saleh Kebzabo, ce qui a provoqué l’affaiblissement du Mouvement de « Wakit-Tama » après le retrait de ses sympathisants de l’opposition.
Qualifié « d’opposant historique » au chef de l’Etat disparu Idriss Déby (1990-2021), Saleh Kebzabo avait été classé deuxième à l’élection présidentielle de 2016 après avoir obtenu 13% des suffrages exprimés contre 60% au profit du vainqueur, Déby.
Lors de la présidentielle du 11 avril dernier, que Kebzabo avait boycotté pour protester contre la violence qui l'avait précédée, la voie était balisée à la victoire de Idriss Déby avec environ 80% des voix, face à des concurrents qui ne faisaient guère le poids. Rappelons que ce résultat avait été annoncé le jour même de la mort de l'ancien président.
Cependant, Kebzabo, qui dirige le parti de « l'Union nationale pour la Démocratie et l’Innovation » avait reconnu, récemment, l'autorité du Conseil militaire de transition et accepté de prendre part au gouvernement, où son parti a obtenu le portefeuille de l'Education ainsi que le poste de Secrétaire général-adjoint du gouvernement.
Ainsi, le fait que le CMT s'est attiré les faveurs de Kebzabo en le retirant de la Coalition de l'opposition serait de nature à affaiblir cette dernière, en dépit de la persistance de l'état de colère populaire, que ce soit à l'époque de Déby père où lors de l’actuelle phase transitoire, considérée par les opposants comme étant le prolongement du pouvoir de la famille Déby, étalé sur plus de 30 ans.
Rappelons que Kebzabo n'est pas le seul homme politique issu de l'opposition qui a reconnu l'autorité et le pouvoir du Conseil militaire. En effet, l'opposant Mahamat Ahmad Alhabo, Secrétaire général du parti des « Libertés et du Développement », a rejoint, à son tour, le gouvernement en obtenant le prestigieux portefeuille de la Justice.

Retour de la « vieille garde »

Après la dissolution du gouvernement par le Conseil militaire de transition et l'appropriation de l'ensemble des attributions exécutives, ledit Conseil a été contraint de céder aux pressions de Paris, qui va dans le sens de la nécessité d'associer des personnalités civiles au pouvoir.
Déby fils, qui préside le Conseil militaire, composé de 14 généraux, a été convaincu en raison, notamment, des pressions internes et externes, que l'armée ne peut, à elle seule, diriger le pays, au cours de cette phase transitoire.
Il a, ensuite, nommé l'ancien Premier ministre Albert Bahimi Badaki, dauphin lors de la dernière présidentielle, au poste de Chef du gouvernement intérimaire, en date du 26 avril écoulé.
Cependant, cette désignation n'a pas convaincu la société civile et une partie de l'opposition, qui persiste toujours à qualifier ce qui s'est passé de « coup d'Etat », quand bien même une vitrine civile viendrait secourir et maquiller le nouveau pouvoir.
Au lendemain de la désignation de Badaki au poste de Premier ministre intérimaire, les manifestations organisées ont été violemment réprimées. Plusieurs morts ont été déplorés et des centaines de personnes ont été arrêtées.

Badaki n'est pas considéré comme faisant partie de l'opposition, quand bien même il était un adversaire de Déby au cours du dernier scrutin, dans la mesure où cet homme politique était le dernier Chef de gouvernement du président tué, avant que ce dernier ne décide la suppression pure et simple de ce poste en 2018.
Il convient de noter que le nouveau gouvernement compte un grand nombre de départements ministériels, atteignant les 40, en plus d'un secrétariat d'Etat. A travers cette composition, le Conseil militaire a tenté de satisfaire la « vieille garde », qui était présente dans les anciens cabinets ministériels de Déby père, ainsi que certains chefs de l'opposition.
La plupart des ministères régaliens du gouvernement transitoire ont échu aux membres du "Mouvement patriotique du salut" fondé par le président tué.
Quant au nouveau ministère créé en charge du Dialogue et de la Réconciliation, c’est un ancien chef rebelle du nom d' Acheikh Ibn Oumar qui l'a raflé. Il avait occupé le poste de conseiller diplomatique du président Déby en 2019.

Le Tchad évitera-t-il le risque de l'effondrement ?

Le principal danger qui menace le Tchad au cours de cette étape consiste en la perte de son unité et de son intégrité territoriale, compte tenu des multiples risques qui guettent la nature de sa composition ethnique et religieuse.
Les provinces du nord du pays, désertique et au climat ardu, sont peuplées par des tribus d'origine arabe, et dont la majorité sont musulmanes. Elles ont des activités pastorales, à l'instar de la tribu des Zaghawas, dont est issu le président disparu, et qui la main mise sur le pouvoir au cours des dernières décennies.
Quant aux provinces du Sud, elles sont peuplées par des tribus africaines, dont la majorité sont de confession chrétienne ou animistes. Elles s’activent généralement dans le domaine de l'agriculture mais bénéficient d'opportunités d'enseignement et d'éducation meilleures que les provinces du nord du pays. Cette région avait pris le pouvoir, durant les deux premières décennies qui ont suivi l'indépendance du Tchad en 1960.
Sur une population de 16,4 millions d'habitants, 54% sont de confession musulmane tandis que le tiers de la population est chrétienne et le reste sont des animistes.
Après la mort de Déby père, des appréhensions sont apparues quant au risque de scission de certains bataillons et régiments de l'armée et quant à l'éventualité de l'émergence d’un conflit entre Mahamat Déby (37 ans) et un groupe d’officiers supérieurs de l'armée qui avaient combattu avec le père depuis les premières années de sa rébellion, jusqu’à sa prise du pouvoir.
De leur côté, les partis politiques et la société civile, en particulier dans les régions du sud du pays, revendiquent la démocratie et l'alternance au pouvoir, accaparé par le nord depuis le début de la décennie 1980.
Ces revendications ont, récemment, poussé Déby fils à faire quelques concessions en promettant le lancement d’un « Dialogue inclusif », en créant un nouveau département ministériel chargé du Dialogue et de la Réconciliation, en libérant des centaines de prisonniers arrêtés lors des dernières manifestations, en nommant un Premier ministre civil et en intégrant des personnalités de premier plan issus de l'opposition dans le gouvernement.
Déby fils a inspecté les 1200 soldats des forces tchadiennes déployés dans la ville de Taira (180 Km à l’ouest de Niamey), dans la région des Trois frontières, et ce au cours de son premier déplacement à l’étranger. Il s’est entretenu, au cours de cette visite, avec le président du Niger, Mohamed Bazoum et l’a remercié pour son soutien apporté au Tchad dans sa guerre contre la rébellion du nord du pays.
En effet, après avoir maîtrisé la situation au sein de l’armée et obtenu un soutien français et régional, Mahamat Déby a réussi à infliger une défaite à la rébellion du nord et à attirer les symboles de l’opposition dans un gouvernement qui représente une sorte de vitrine civile à son pouvoir.
Déby fils est parvenu également à ouvrir les canaux de dialogue avec les mouvements rebelles, ce qui pourrait sauver le pays de s’enliser dans le bourbier de « l’Etat défaillant », sans pour autant l’amener au bon port de la démocratie.

Source : AA

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