Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, était au Liban le jeudi 6 mai. Il y a rencontré les dirigeants de ce pays. Quelques jours auparavant, la France avait annoncé des sanctions contre des personnalités libanaises considérées comme responsables du blocage politique qui paralyse ce pays depuis plusieurs mois. A cela s´ajoute une crise économique et sociale. L'inflation a atteint 146 % en 2020, selon les statistiques officielles et plus de la moitié des Libanais vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté, selon l'ONU.
La France a joué un rôle important dans la fondation du Liban. A la suite de la Première Guerre mondiale, le Mont Liban se retrouve dans la zone sous administration française, avec à sa tête le général Henri Gouraud. Un siècle plus tard, la France souhaiterait maintenir une forte influence. A la suite de la double explosion de Beyrouth, en 2020, l'initiative de la « conférence internationale de soutien et d'appui au peuple libanais » est venue d'Emmanuel Macron et du secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres. Le premier cité s´y était d´ailleurs rendu rapidement. Notons que depuis François Mitterrand, en 1983, tous les présidents français s´y sont rendus au moins une fois durant leur mandat. La vraie question en 2021 est la suivante : La France a-t-elle les moyens de ses ambitions au Liban ? Sont-elles légitimes ?
Selon Lina Kennouche, doctorante en Géopolitique (Université de Lorraine, France) “l’offre de méditation française a bénéficié du blanc-seing de Washington dans un contexte où la politique de pression américaine à l’encontre du Liban – qui s’est illustrée par des accusations visant le Hezbollah, des sanctions contre les banques et les hommes d’affaires et des hommes politiques – a montré ses limites. Cependant, il serait irréaliste de penser que la France aurait encore la prétention et les moyens d’assumer un rôle de puissance au Moyen-Orient.” Les envolées lyriques d´Emmanuel Macron, deux jours après la double explosion qui a ravagé Beyrouth en 2020, comme « nos destins sont noués indéfectiblement par les liens du temps, de l'esprit, de l'âme, de la culture, des rêves » ne suffiront donc pas.
Karim Émile Bitar, directeur de l’Institut des sciences politiques de l’université Saint-Joseph de Beyrouth, démontre la naïveté du Président français : "Emmanuel Macron, lors de sa visite après l'explosion du port de Beyrouth, a pris le taureau par les cornes mais il a été abusé par la roublardise de la classe politique libanaise" et la visite de son ministre des Affaires étrangères "va devoir prendre acte de cet échec". Il ajoute que "si la France est toujours prête à aider le Liban, l’initiative Macron a été vidée de son contenu. La classe politique libanaise, toutes tendances confondues, qui est totalement incompétente en matière d’affaires publiques, mais qui est très habile pour se maintenir au pouvoir, s’est montrée extrêmement perverse et habile en faisant semblant d’écouter le président français, alors qu’elle n’était pas prête à lâcher du lest". Cela prouverait son manque d´expertise sur la région et sa difficulté à être réellement influent.
La réalité est qu´aujourd´hui, les liens entre ces deux pays sont principalement linguistiques. Le Liban est membre de l'Organisation Internationale de la Francophonie. Selon elle, près de 40 % de la population parlent le français. D´ailleurs, le ministère français des Affaires étrangères estime que “la promotion de la langue française au Liban est un impératif stratégique”. Pour cela, il existe un réseau important d'établissements scolaires (cinquante) et depuis 2011, l'Institut français du Proche-Orient, qui vise à renforcer les relations académiques avec les pays de la région a été déplacé de Damas à Beyrouth. Au niveau économique, les relations sont limitées. La France n'est que le huitième fournisseur du Liban et que son quatorzième client.
Si la France tente de se présenter comme un intermédiaire incontournable dans ce pays, la réalité est qu’elle n’incarne pas suffisamment un contrepoids à l´influence américaine. Sa seule différence notable est de toujours dialoguer avec le Hezbollah, alors que les Etats-Unis le classent sur la liste des organisations terroristes. Malgré tout, la réalité est que ce n´est pas Paris qui permet au Hezbollah de se maintenir dans le jeu politique. Ali Mourad, professeur de droit public à l'université arabe de Beyrouth, l´explique très bien quand il affirme que “le Hezbollah n'est pour l'instant pas prêt à lâcher du lest car sa présence au sein du gouvernement est pour lui stratégique ; reculer représente un danger pour sa légitimité au Liban”.
Le gouvernement actuel a démissionné en août 2020, quelques jours après l'explosion au port de Beyrouth qui a fait plus de 200 morts, mais il continue de gérer les affaires courantes du fait des blocages politiques. Emmanuel Macron risque de perdre en crédibilité car "il va revenir constater les non-progrès. C'est un risque politique car il a engagé sa parole, la parole de la France", selon Joseph Bahout, directeur de l'Institut Fares de politiques publiques et d'affaires internationales à Beyrouth. Il ajoute que faute de résultats, Emmanuel Macron pourrait bien "devoir ranger ce dossier libanais pour longtemps". Cela serait une preuve supplémentaire de l´influence plus que limitée de la France et un gouffre entre l´influence supposée et l´influence réelle. Les tensions sont toujours aussi fortes entre le président Michel Aoun et le Premier ministre Saad Hariri. Selon Nadim Houry, directeur du think tank "Arab Reform Initiative", l´erreur du diagnostic français, a été "de penser que cette classe politique allait se prendre en mains et faire des réformes, mais pour cette classe politique cela reviendrait à se tirer une balle dans le pied".
Source : AA