Une décennie s'est écoulée, mais le pays n'est pas parvenu à sortir de l'enlisement de la guerre civile, dans lequel les Libyens se sont empêtrés, et ces dix années n’ont pas suffi pour jeter les bases d'un Etat démocratique, moderne et prospère.
Une décennie s'est écoulée depuis l’enclenchement de la Révolution libyenne, le 17 février 2011, mais le pays n'est pas parvenu à sortir de l'enlisement de la guerre civile, dans lequel les Libyens se sont empêtrés, et ces dix années n’ont pas suffi pour jeter les bases d'un Etat démocratique, moderne et prospère.
Mais les espoirs sont placés aujourd’hui en cette nouvelle Autorité exécutive pour quitter la sempiternelle sphère des phases transitoires à répétition et réaliser ce à quoi avait aspiré le peuple libyen lorsqu'il a engagé sa Révolution, qui a renversé le Régime de Mouammar Kadhafi.
L'une des principales revendications des citoyens, sortis manifester un certain 17 février, fut la chute du « pouvoir d'un tyran qui a gouverné le pays pendant 42 ans », l'édification d'un Etat civil régi par les élections afin de choisir les gouvernants et les représentant du peuple et le développement de l'infrastructure du pays pour concurrencer les Etats du Golfe.
La Libye est considérée comme étant le pays le plus riche du continent africain, en termes de réserves pétrolières et sa population est inférieure aux habitants et résidents des Emirats. De plus, la Libye dispose d’un avantage comparatif par rapport aux pays du Golfe consistant en sa proximité de l'Europe, qui représente un vaste marché pour ses exportations pétrolières mais aussi une source d’investissements et de transfert de technologie.
Toutefois, l’ensemble de ces caractéristiques et privilèges n’ont pas permis de réaliser le « Rêve libyen » pour moults raisons qui ont entravé l’accomplissement des objectifs de la Révolution.
- Une décennie sans constitution
Le Congrès Général National (CGN, Assemblée constituante) élue en 2012 avait comme principale mission celle de l'élaboration d'une Constitution, dans un délai ne dépassant pas une année.
Cependant, l'Assemblée constituante a échoué dans cette mission et a été impuissante à élaborer le draft de la Loi fondamentale pour la soumettre à un referendum populaire.
L'Assemblée constituante a prolongé, de son propre chef, son mandat pour une durée d'une année et a procédé à l'élection de 60 membres, représentant une instance constituante chargée de l’élaboration d’un draft de constitution, au lieu de les désigner.
Le « Comité des 60 » élus a échoué à son tour à accomplir son mandat, dans les délais impartis. Sous la pression de la Rue, le CGN a décidé d'organiser des élections législatives pour former une nouvelle Assemblée parlementaire, à qui une durée d'une année non renouvelable a été fixée.
Mais l'élection de la Chambre des députés, en juin 2014, a fait face à des scissions aigues et la tenue du scrutin a été simultanée avec le lancement de l'Opération « al-Karama », conduite par le général putschiste à la retraite, Khalifa Haftar, au mois de mai de la même année, ce qui a empiré la situation.
Afin d'éviter la vacance politique dans le pays, les protagonistes libyens ont signé, en date du 17 décembre 2015, l'Accord de Skhirat, au Maroc. En vertu de cet accord, le mandat de la Chambre des députés a été prolongé d'une année et les signataires ont procédé au rétablissement du CNG sous l'appellation du « Haut Conseil d'Etat », à qui ils ont confié des prérogatives consultatives.
Le draft final de la Constitution n'a été prêt qu’au mois de juillet 2017, au terme de plus de trois ans de travaux de l'Instance mise en place et qui a été chargée de l’élaborer, en février 2014.
Cependant, les problèmes des Libyens avec le draft de la Constitution n'ont pas pris fin à ce stade, dans la mesure où la Chambre des députés de Tobrouk, qui soutient Haftar, s'est employée à entraver sa soumission au referendum populaire, estimant que le texte comprend des articles qui sont à même d'empêcher le général, détenteur de la citoyenneté américaine, de se porter candidat à la Présidence.
Depuis quelques jours, la Commission de la Constitution, composée des membres de la Chambre des députés et du Conseil d’Etat, a convenu de soumettre le draft de la Constitution au referendum populaire, avant la tenue des élections générales, le 24 décembre prochain.
Il n'en demeure pas moins que des différends existent toujours au sujet des détails de la tenue du referendum et certains observateurs estiment que la nouvelle Constitution ne sera pas approuvée avant la tenue des élections, surtout si elle sera rejetée par voie référendaire.
- Une institution militaire scindée
L'une des principales raisons qui alimentent en permanence la crise libyenne est l'incapacité des rebelles, qui ont renversé le Régime de Kadhafi, à édifier une institution militaire unifiée, qui monopolise la force et qui procède à l'intégration des rebelles, à titre individuel, tout en mettant fin à la circulation anarchique des armes dans le pays.
Les dirigeants de l'armée désignés, durant la période s'étalant de 2012 à 2014, ont tenté d'unifier l'institution militaire et d'intégrer les phalanges des rebelles dans ce qui a été appelé « les Boucliers ». Cependant, cet objectif souhaité n'a pas été atteint à cause, entre autres, de la réintégration des éléments entraînés par les milices de Kadhafi.
Des milices et des régiments armés ont été formés, sur la base de critères idéologiques et régionaux. Ces formations relèvent formellement du ministère de la Défense, en réalité, chacune dispose de son commandement propre ainsi que de son influence et zone de pouvoir. Cette situation a généré inéluctablement des affrontements et une série d'assassinats et de kidnappings qui ont touché même de hauts responsables dans l'appareil de l’Etat.
Au milieu de cette atmosphère instable, Haftar a lancé, à la mi-mai 2014, l'opération « al-Karama », aggravant ainsi la crise sécuritaire sans précédent dans le pays.
Cette opération a généré une scission au sein de l'institution militaire sur une base régionale. Le ministre de la Défense et la plupart des régiments de l'est de la Libye ont prêter allégeance à Haftar, tandis que le chef d'Etat-major de l’armée et la majorité des régiments de l'ouest et des « Boucliers » ont affiché leur soutien au CGN à Tripoli.
Haftar a, donc, été à l'origine de toutes les entraves pour la réunification de l'institution militaire, en dehors de son pouvoir. Le général putschiste a réussi à diriger, d'une main de fer, la région orientale du pays après sa domination totale de la ville de Benghazi (est) en 2017, puis celle de Derna (est) en 2018 et de la majorité des villes du Sud, l’année suivante.
Son mode de gestion de la région orientale a reflété sa volonté de fonder un Régime militaire, qui ne diffère pas de celui instauré par Kadhafi, renversé par la révolution de 2011.
En effet, Haftar accueillait Abdallah al-Théni, Chef du gouvernement provisoire (non reconnu internationalement) et par ailleurs ministre de la Défense, à son bureau dans la zone de Rajma et agissait en tant que président de la République et non pas à titre d’officier supérieur soumis à une autorité civile. Le même procédé se répétait avec Aguila Salah, président de la Chambre des députés de Tobrouk.
Haftar a, également, sapé l'Accord politique conclu en 2015, et ses partisans ont entravé les travaux de la Chambre des députés qui tentait d'octroyer sa confiance au gouvernement d’Entente et d'approuver le draft de la Constitution
Son attaque surprise lancée contre Tripoli, en date du 4 avril 2019, a provoqué l'annulation d'un Congrès fédérateur, sous les auspices onusiens, pour résoudre la crise libyenne.
Même après l'échec de Haftar à prendre le contrôle de la capitale, il s'est autoproclamé président sur l'ensemble du territoire libyen, profitant de la simple sortie, à sa demande, de certains de ses sympathisants, dans plusieurs villes du pays pour le mandater en tant que chef d’Etat.
Ainsi, Haftar et sa contre-révolution ont représenté le pire obstacle devant l'élection d'un président du pays et d'un Parlement pour un mandat de 5 ans, afin d'amorcer la phase de la stabilité politique.
-Une économie effondrée
Les revendications économiques ne faisaient pas partie des slogans de la Révolution libyenne, contrairement à ceux scandés par les manifestants Tunisiens et Egyptiens, dans la mesure où les conditions de vie des libyens, sous l'ère de Kadhafi, étaient acceptables, grâce à la rente pétrolière et au nombre peu élevé des habitants, et ce en dépit de l'infrastructure rudimentaire dans l'ensemble du pays.
Néanmoins, le blocage, en 2013, par les gardes des installations pétrolières, dirigés par Ibrahim al-Hadhran, des champs et des terminaux pétroliers dans la zone méridionale, a causé un manque à gagner de plusieurs milliards de dollars au pays, d'autant plus que le prix du baril dépassait à cette époque les 100 USD.
Les installations énergétiques dans la région du Croissant pétrolier ont subi une destruction partielle, entre 2014 et 2015, après le lancement par le gouvernement du « Salut » de Tripoli l'opération militaire « Al-Chourouk » dans le but de libérer la zone de la présence des milices d’al-Hadhran appuyées par Haftar.
Une année plus tard, soit en 2016, les milices de Haftar ont repris le contrôle intégral du Croissant pétrolier et ont expulsé les gardes des installations relevant d’al-Hadhran qui avait prêté allégeance au gouvernement d'Entente nationale, internationalement reconnu.
Entre 2016 et 2017, plusieurs affrontements ont eu lieu dans cette région et des parties hostiles sont parvenues à reprendre des parties de la zone du Croissant pétrolier mais pour de courtes périodes seulement.
Les milices de l'est sont parvenues à prendre entièrement le contrôle des champs pétroliers, après leur prise d’assaut réussie de la base aérienne stratégique d’al-Joffra, située au sud du Croissant pétrolier.
L'ensemble de ces événements et affrontements ont évidemment impacté sur les revenus en devises fortes du pays, dans la mesure où les exportations du pétrole représentent la principale source de revenus de la Libye.
Haftar a tenté, à maintes reprises, d’accaparer les recettes du pétrole pour financer ses guerres mais il a échoué dans son entreprise, dans la mesure où la Communauté internationale ne reconnaît comme représentants officiels de l’Etat libyen en la matière, que la Compagnie pétrolière et la Banque centrale, qui siègent à Tripoli.
En janvier 2020, les milices de Haftar ont arrêté l'exportation du pétrole afin de priver le gouvernement légal des recettes, ce qui a amené les citoyens à se soulever contre le gouvernement de Tripoli. Ce choix suicidaire a entrainé de lourdes financières essuyées par le pays en plus des interruptions fréquentes de l'électricité à cause du manque d'énergie.
Les recettes pétrolières ont baissé de 53,3 milliards de dollars en 2012 à quelque 8 milliards de dollars seulement en 2020 et la Banque centrale libyenne a estimé les pertes du pays, en raison du blocage des ports et des terminaux pétroliers, entre 2013 et 2020, à quelque 180 milliards USD.
Ces chiffres illustrent la situation difficile de l'économie libyenne, ce qui a impacté négativement la vie de la population et provoqué de nombreuses manifestations à Tripoli, à Benghazi et dans plusieurs autres villes pour protester contre la détérioration de la situation sociale, l'augmentation des prix, la pénurie de carburant, la propagation de la corruption et les interruptions à répétition de d'électricité.
Durant les dix années qui ont suivi la Révolution, l'échec des parlementaires à élaborer une Constitution a abouti à une vacance politique et constitutionnelle, une situation qui a été exploitée par la contre-révolution, dirigé par Haftar pour diviser l'institution militaire et tenter de mettre la main sur les richesses pétrolières, provoquant ainsi une détérioration et un effondrement de l'économie nationale et l’enclenchement de guerres qui n'ont fait qu’appauvrir le peuple.
Néanmoins, la sortie des Libyens pour manifester dans l'est, l'ouest et le sud du pays a poussé les protagonistes de la crise à revoir à la baisse le plafond de leurs revendications et à réduire leurs ambitions, ce qui a facilité la conclusion d'un accord de cessez-le-feu et le choix de nouveaux Conseil présidentiel et Chef de gouvernement.
Le principal défi auquel fait face à la nouvelle direction du pays consiste à remédier aux déséquilibres majeurs, en particulier, la résolution de l'impasse constitutionnelle, la réunification de l'institution militaire en mettant fin au projet militaire de Haftar ou du moins en le neutralisant, ainsi que la résolution des principales crises de l'économie du pays et la réussite de la réconciliation entre les différents protagonistes du conflit.
Source : AA