Ce qu’offre la Tunisie au Fonds monétaire international pour sauver le pays

Avec son plan de réforme, le gouvernement est face à deux défis majeurs : obtenir le programme de crédit avec le FMI, mais surtout trouver les moyens de convaincre les Tunisiens…

Une délégation tunisienne de haut niveau conduite par le ministre des finances et du gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie était à Washington, du 3 au 8 mai courant, afin de concrétiser un nouveau programme de prêt avec le Fonds monétaire international (FMI).

Il s’agit d’un programme de prêt portant sur 4 milliards de dollars.

Depuis 1964, la Tunisie a obtenu 11 prêts du Fonds dont les plus importants en terme de valeur ont été ceux obtenus après la révolution de 2011, soit en 2013, 2016 et 2020, pour des montants cumulés qui avoisinent les 3,643 milliards de dollars.

Mais si la Tunisie est parvenue par le passé, sans grands soucis, à obtenir des prêts de l’institution de Bretton–Woods, force est de constater qu’il n’en sera pas de même pour le nouvel accord en vue, en raison de la situation très difficile des finances publiques et de l’économie nationale, de la dégradation de la note souveraine par les principales agences de notation internationales, et surtout, à cause de la suspension du dernier programme de prêt par la Tunisie qui n’est pas parvenue à mettre en place les réformes nécessaires négociées avec le FMI.

Néanmoins, la Tunisie a pu certainement compter, dans sa démarche pour convaincre le Fonds, sur les ravages de la pandémie qui a secoué de plein fouet une économie dont la croissance est structurellement molle depuis des années.

Le tableau de bord de l’économie nationale montre, en effet, des indicateurs au rouge écarlate à cause de la pandémie de la Covid-19.

Ainsi, le coût budgétaire de cette crise est estimé à 5300 MDT (14 575 M de dollars), soit 4.7 % du PIB dont 690 MDT (1897 M de dollars) au titre des interventions de l’État particulièrement à vocation sociale et 4615 MDT (12 691 M de dollars) occasionnées par le manque à gagner des recettes fiscales.

Par conséquent, le déficit budgétaire a été révisé fortement à la hausse pour se situer fin 2020 aux environs de 10.1% du PIB.

Le PIB a baissé de -8.8% en 2020 avec une envolée du taux de chômage qui a atteint 17.4 % durant le quatrième trimestre 2020 contre respectivement 0.9% et 14.9% durant la même période de 2019.

Dans le même temps, l’investissement public et privé a fortement chuté. Le déficit courant a été cantonné à 6.8 % du PIB avec une amélioration des réserves en devise.

Quant à l’inflation, elle s’est établie à 5.7 % en moyenne en 2020 et ce, malgré une légère augmentation des prix à la consommation enregistrée pendant la période de confinement.

Pour convaincre le FMI, la Tunisie devrait présenter un plan de réformes ambitieux, préparé par le gouvernement avec le concours de la Banque Centrale de Tunisie et dont une copie nous est parvenue.

Une matrice de réformes majeures proposée par la Tunisie au FMI

Les objectifs du programme, d’après le gouvernement, sont l’accélération du rythme des réformes structurelles, l’amélioration de la gouvernance et du pilotage du secteur public dans toutes ses composantes pour une meilleure soutenabilité budgétaire à moyen terme, une gouvernance claire, transparente et crédible de la politique monétaire, et la promotion d’une croissance saine, inclusive et durable.

Ce programme devra trouver un équilibre entre les mesures de soutien économique et social d’une part, et les mesures de relance de la croissance et de maîtrise des équilibres financiers d’autre part. La Banque Centrale, de son coté, s’engage dans ce programme à mettre en place une politique monétaire proactive qui veillera au renforcement de la coordination avec la politique budgétaire.

Pour ce faire, le gouvernement souhaite légiférer par ordonnance conformément à l’article 70 de la constitution tunisienne pour avoir les coudées franches à mener les réformes qu’il propose de mettre en œuvre.

1/ Une politique budgétaire plus rigoureuse

La dette publique de la Tunisie avoisine en 2020 les 92% du PIB. Elle est donc, très importante quantitativement et qualitativement parlant. Quantitativement, cette dette est très élevée pour un pays dont la croissance est atone. Qualitativement, elle est libellée pour les ¾ en devises étrangères et subit le choc des fluctuations. C’est pour cela que le gouvernement projette de mettre en place une agence de gestion de la dette. Une idée ancienne mais qui refait surface dans le plan de réformes.

Corollaire de la dette publique, la politique budgétaire s’attachera à assurer la soutenabilité de cette dernière à travers une maîtrise accrue du déficit budgétaire et ce en présentant un plan de réformes qui concerne aussi bien les ressources que les dépenses du budget de l’Etat.

2/ Révision de la fiscalité et des procédures de collecte des impôts

Sur un plan fiscal, le gouvernement compte optimiser le recouvrement des créances fiscales en recouvrant 5600 MDT (15 400 M de dollars) sur les 12 600 MDT (34 650 M de dollars) de créances constatées au profit de l’Etat sur une période de 7 ans.

Un effort sera également déployé pour plus de rendement fiscal et une panoplie de mesures concerneront aussi bien les impôts indirects que les impôts directs avec une généralisation du taux de la TVA pour des produits et des assujettis non concernés par l’imposition jusque-là.

L’Impôt sur les sociétés subira lui aussi un lifting avec l’instauration de l’IS à deux taux (10% et 15%) et la suppression du taux de l’impôt sur les sociétés de 35%.

Quant à l’I.R.P.P ( impôt sur le revenu des personnes physiques), son barème sera plafonné désormais à 25%.

Le régime forfaitaire sera lui aussi réformé à travers le nettoyage du fichier des forfaitaires, ainsi que le déclassement de ceux fictifs vers le régime réel.

3/ Réduire drastiquement le train de vie de l’Etat

Avec un budget qui dépasse les 51 milliards de dinars pour l’exercice 2021 et des recettes propres qui ne dépasseront pas 30 milliards de dinars selon la loi de finances pour l’exercice 2021, le déficit budgétaire faramineux provient essentiellement d’un train de vie de l’Etat incompatible avec les moyens dont il dispose.

Deux catégories de dépenses plombent ce budget : la masse salariale de la fonction publique et la caisse de compensation.

Dans son plan de réformes, le gouvernement projette un certain nombre de mesures pour repenser aussi bien le poids budgétaire de la fonction publique que la compensation des produits de base, des hydrocarbures et du transport.

La masse salariale s’élève à 19 030 MDT (52 332 M de dollars) en 2020 soit l’équivalent de 60.6 % des ressources budgétaires (hors dons et emprunts) contre une moyenne de 52.2 % durant la période 2010-2019. Elle représente 17.2% du PIB et ce ratio est l’un des plus importants dans le monde pour une performance et un rendement très mitigés. Il s’agit d’un problème très épineux dont la gestion est la pomme de discorde entre les gouvernements qui ont géré le pays et les syndicats en place.

Le gouvernement tunisien a prévu un certain nombre de réformes pour ramener le ratio masse salariale/ PIB à des proportions moins importantes et compte les mettre en œuvre en s’appuyant sur :

  • Une remobilisation de la fonction publique et adoptant un déploiement de l’administration centrale vers celle territoriale avec primes d’intéressement.
  • la mise en place d’une règle d’ajustement des salaires et des primes qui intègre les performances de croissance et de productivité et l’évolution de l’inflation.
  • la mise en place d’un programme de départs volontaires permettant aux fonctionnaires de conserver 25% des salaires net (plus les cotisations sociales) pour se consacrer à une autre occupation y compris une activité rémunérée.
  • L’encouragement à l’entrepreneuriat en octroyant aux fonctionnaires la possibilité de bénéficier d’un congé pour création d’entreprise d'une durée de 5 ans renouvelable avec système déclaratif et avec possibilité de réintégrer la fonction publique.

 

Considérée à son origine comme un outil de redistribution sociale des richesses dans le cadre d’une politique de lutte contre la pauvreté en Tunisie, la Caisse Générale de Compensation grève le budget de l’État ce qui appelle une refonte de la politique de subvention et des mécanismes de compensation.

Le budget de la compensation hors énergie n’a cessé d’augmenter depuis une dizaine d’années. Il est passé de 730 MDT (2007 M de dollars) et 1.2% du PIB en 2010 à respectivement 2722 MDT (7485 M de dollars) et 2.3% du PIB en 2020.

L’objectif de cette réforme est de passer de la subvention des prix à la compensation des revenus, de mieux cibler les dépenses sociales et de réduire le déficit budgétaire.

Cela se fera à travers le versement direct de cash aux ménages bénéficiaires en contrepartie d’un ajustement graduel des prix de vente au public. Le champ de la réforme couvrira dans un premier temps les produits alimentaires de base et le GPL, puis sera étendu à l’électricité et au gaz liquide dans un second temps.

Pour ce faire, le gouvernement table sur trois axes de travail à savoir le parachèvement de la réforme de ciblage de la population, l’identification des populations cible et la digitalisation des paiements.

En ce qui concerne la subvention des hydrocarbures, qui devrait être levée totalement et graduellement, le gouvernement semble décidé à la mise en place d'une autorité de régulation indépendante dans le secteur de l’électricité et du gaz naturel qui sera compétente sur la tarification.

4/ Améliorer la gestion des entreprises publiques

Parmi les points importants relevés dans le plan de réformes que le gouvernement a soumis au FMI, figure la participation de l’Etat dans les entreprises publiques.

Dans ce cadre, la Tunisie fait le constat de l’échec de la gouvernance des entreprises publiques, notamment celles œuvrant dans les secteurs concurrentiels.

Pour ce faire, le gouvernement envisage de travailler sur plusieurs axes qui concernent aussi bien l’aspect organique que fonctionnel et de gouvernance.

Organiquement, le gouvernement propose de créer une agence de participation publique dont l’objectif est de simplifier les procédures vis-à-vis de la tutelle, le renforcement du suivi budgétaire, notamment des effectifs, et une meilleure gestion du portefeuille de participation de l’État.

Mais le chantier le plus important semble toucher la gouvernance des entreprises publiques en élaborant un nouveau cadre législatif qui abrogera le cadre actuel défini par la loi de 1989 et en poursuivant la révision des conseils d’administration.

Sur un plan financier, le plan de réformes prévoit de restructurer les bilans des entreprises publiques en assainissant les arriérés croisés et les dettes en cascade, en restructurant les dettes échues, et en recapitalisant les entreprises via le Fond de Restructuration des Entreprises publiques (FREP).

Par ailleurs, un travail d’évaluation des modèles économiques et les business plan des entreprises sera préalablement mis en place à travers la sélection des entreprises et des filières prioritaires nécessitant une restructuration opérationnelle et financière ainsi que la définition du soutien de l’État dans le cadre d’un nouveau contrat de performance pour chacune des entreprises concernées.

Avec ce plan de réforme, le gouvernement est face à deux défis majeurs : obtenir le programme de crédit avec le FMI , mais surtout trouver les moyens de convaincre les Tunisiens… parviendrait-il à le faire ? Une réponse qui coûte…4 milliards de dollars !

Source : AA

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