Tchad : Pourquoi les rebelles ont-ils accepté la médiation de la Mauritanie et du Niger ?

Les rebelles disposent d'une carte majeure en prévision des négociations, à savoir le contrôle de vastes parties du nord du pays

Les rebelles tchadiens ont accepté la médiation menée par deux dirigeants des Etats du Sahel après avoir menacé, il y a quelques jours, de reprendre leur progression vers la capitale N’Djamena pour renverser le Conseil militaire de transition, qui a pris les rênes du pouvoir après la mort du président Idriss Déby.

Le G5 Sahel a précédé, avec un appui français, tout mouvement de l’Union africaine (UA) dans la crise tchadienne en chargeant le président mauritanien, Mohammed Ould Ghazouani, et le chef de l'Etat du Niger, récemment élu, Mohamed Bazoum, de mener une médiation dans cette crise.


De son côté, l'UA a fait part de sa « profonde inquiétude » de la prise du pouvoir au Tchad par un Conseil militaire, appelant à rétablir le régime civil, « dans les plus brefs délais ».

Il s’agit de la première critique d’ordre international adressée au Conseil militaire de transition présidé par Mahamat Déby, fils du président disparu qui a succombé à ses blessures, en date du 20 avril dernier, ce qui pourrait aboutir à la suspension du Tchad à l’organisation panafricaine.


Cette « profonde inquiétude africaine » se croise avec ce qui a été considéré par les partis de l'opposition tchadienne comme étant un « putsch institutionnel », après que la nouvelle Charte a octroyé des pouvoirs élargis au Conseil militaire, tandis que la Constitution prévoit que le président du Parlement (autorité civile), dirige la phase intérimaire.

Les rebelles ont renoncé à entrer à N’Djamena


L'annonce faite par le chef du « Front pour l'Alternance et le Consensus au Tchad » (FACT), Mahamat Mahdi Ali, signifiant l'acceptation de la médiation de la Mauritanie et du Niger et du cessez-le-feu pour laisser le champ ouvert à une « solution politique », reflète l'échec des rebelles à renverser le régime de Déby, même après sa mort.

Cela pourrait être expliqué par le fait que les rebelles ont perdu leur force de frappe dans la bataille qui a été livrée dans la province de Kanem (ouest), durant laquelle ils ont perdu 300 éléments, qui ont été tués, et 150 autres qui ont été emprisonnés selon l'armée tchadienne.

L’effectif total des rebelles ne dépasse pas les 1500 éléments armés, selon plusieurs médias, bien qu'ils prétendent que leur nombre s'élève à plusieurs milliers.

La perte par les rebelles de leur premier atout, en l’occurrence, le facteur surprise, rend leur avancée dans des convois en plein désert et sans couverture aérienne une chose quasiment absurde, assimilable à un « suicide ».

Le chef des rebelles pourrait payer un tribut lourd et sacrifier sa vie à cause de toute action irréfléchie, telle est la teneur du message adressé par le raid aérien mené par l'aviation tchadienne avec un soutien français.

Toutefois, les rebelles disposent toujours d'une carte majeure en prévision des négociations, à savoir le contrôle de vastes parties du nord du pays, sans oublier que l'opposition politique refuse de reconnaître le Conseil militaire et l'UA pourrait lui emboîter le pas.

Cette situation pourrait laisser les rebelles plus enclins à opter pour la voie politique, via des pourparlers visant à parvenir à un cessez-le-feu, comme cela s'est passé en Libye, et ce pour ouvrir la voie libre à un dialogue politique qui leur permettrait de devenir une partie prenante du prochain paysage, malgré leur rejet catégorique que le Conseil militaire s'empare de la direction du pays, au cours de la période transitoire.


En effet, le chef des rebelles a, dans une déclaration faite au média français RFI, indiqué qu'il faut qu'il y ait « un dialogue national inclusif à même de réunir toutes les composantes politiques tchadiennes ».

Paris évoque la possibilité d'une intervention militaire


La France a évoqué la possibilité d'une intervention militaire directe contre les rebelles tchadiens si ces derniers parviendraient à menacer sérieusement la sécurité de la capitale tchadienne, voire l'unité et la stabilité du pays.

Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a, dans ce cadre, souligné, au cours d'une interview télévisée en date du 22 avril dernier, que « la stabilité du Tchad est une question décisive pour la région du Sahel ainsi que pour la sécurité de l'Europe ».

Citant des sources diplomatiques et militaires françaises, RFI a rapporté que Paris « examinera de manière sérieuse l'option d'une intervention militaire si les rebelles s’approcheraient de N’Djamena ou s'ils menaceraient la stabilité du pays ».

Dans la nuit du 20 au 21 avril écoulé, le chef des rebelles, Mahamat Mahdi Ali, a subi un raid aérien dans l’un des postes de commandement du nord de la province de Kanem. Après avoir échappé à la mort, Mahdi Ali a accusé l'armée française de fournir un appui logistique au Conseil militaire à travers les avions de reconnaissance qui survolent la région en permanence depuis le début de l'attaque des rebelles, le 11 avril dernier.


De plus, un millier de militaires français sont déployés dans une base aérienne à N’Djamena dans le cadre de l'opération « Barkhane ». Ces soldats sont en mesure de stopper la progression de centaines de rebelles faiblement armés, à l'instar de ce qu'ils ont fait à maintes reprises (2006, 2008 et 2019).


La France considère le Tchad comme un partenaire stratégique et une base d'appui à ses opérations militaires dans la région du Sahel. Des troupes françaises sont déployées dans ce pays africain, depuis 1986, à l'occasion du soutien militaire qui a été apporté au Tchad dans sa guerre contre la Libye, à cette époque.

De plus, la présence du président français Emmanuel Macron aux obsèques d'Idriss Déby, en compagnie de quatre chefs d'Etat des pays du Sahel, est une reconnaissance du Conseil militaire de transition, dirigé par Déby fils, et cela pourrait générer une reconnaissance africaine et internationale de la nouvelle autorité militaire dans le pays, malgré la menace de l'opposition politique d'engager la désobéissance civile.

Trois conditions


Bien qu’ayant qualifié l'installation du Conseil militaire de « coup d'Etat » constitutionnel, l'opposition politique, composée de près de 30 partis, a appelé à un dialogue inclusif, y compris avec ledit Conseil, mais a posé pour cela trois conditions préalables considérées comme non-négociables.

La première condition est relative à la détermination de la durée de la période transitoire, qui ne doit pas être prolongée, alors que le Conseil militaire a fixé cette durée à 18 mois renouvelables une fois, « en cas de nécessité », ce que rejette catégoriquement l'opposition ainsi que la France et les pays du Sahel.

La deuxième condition imposée par l'opposition consiste en la nomination d'un Chef de gouvernement à l'unanimité, pour gérer un gouvernement d'Union nationale, tandis que la Charte de la phase transitoire publiée par le Conseil militaire octroie la présidence du gouvernement au général Mahamat Déby.

Les dirigeants des Etats du Sahel et la France soutiennent le partage du pouvoir entre civils et militaires au cours de cette phase intérimaire, à l'instar de ce qui se passe au Mali après le putsch qui a renversé le régime de l’ancien président Ibrahim Keita, en août 2020.

Le troisième préalable annoncé par l'opposition est de nature à annihiler toute ambition prévisible de Déby fils à gouverner le pays, pour une longue période à l'instar de son défunt père, qui a passé 31 ans au pouvoir.

En effet, l'opposition réclame de ne pas autoriser aux instances de la phase transitoire de participer aux élections qui se tiendront ultérieurement, ce qui signifie que Mahamat Déby ne pourra pas se porter candidat à la prochaine Présidentielle ainsi que l'ensemble des 15 membres du Conseil militaire.

La France n'a pas clarifié sa position quant à la possibilité de priver Déby fils de se porter candidat au prochain scrutin, mais la délégation accompagnant Macron à N’Djamena a indiqué que « les membres civils dirigeant cette transition doivent avoir de larges prérogatives » et il est nécessaire qu'il y ait un équilibre « satisfaisant » entre le Conseil militaire de transition et le Régime civil qui sera mise en place.

Pressions de l'UA


L'UA, dont la Commission générale est présidée par le tchadien Moussa Faki, a tenu à son tour une réunion au niveau du Conseil de Paix et de Sécurité, en date du 23 avril, pour examiner ce que l'opposition a qualifié de « putsch », mené par les membres du Conseil militaire dirigé par Déby fils.

Toutefois, le Conseil de Paix et de Sécurité africain s'est contenté, dans une déclaration rendue publique le lendemain, de faire part de sa « profonde inquiétude », quant à la mise sur pied d'un Conseil militaire au Tchad, mais n'a pas condamné ce qui s'est passé jusqu’à maintenant, comme cela avait eu lieu lors du dernier putsch dans le Continent, en l'occurrence, au Mali.

Dans ce qui apparaît comme une perche tendue aux militaires pour remettre le pouvoir aux civils avant la suspension du Tchad à l'UA et dans ses différentes instances, le Conseil de Paix et de Sécurité a appelé le Conseil militaire tchadien à respecter le mandat et le régime constitutionnel et à adhérer, avec célérité, au processus de rétablissement du régime constitutionnel ainsi qu’à procéder à une passation du pouvoir politique aux autorités civiles.

Dans une mesure qui pourrait se croiser avec l'initiative lancée par les Etats du Sahel, le Conseil de Paix et de Sécurité a demandé à la Commission de l'UA de « former rapidement une mission de haut niveau pour enquêter » et était soucieux de mettre l'accent sur l'impératif qu'il y a à engager un « dialogue national inclusif ». 

Evaluant la situation qui prévaut actuellement au Tchad, le Conseil de Paix et de Sécurité a mis en garde que cela « constitue une menace éventuelle à la paix et à la stabilité dans ce pays ainsi que pour ses voisins et pour le Continent en entier ».

Les pressions internes et externes exercées sur le Conseil militaire de transition devraient le contraindre soit à céder ses prérogatives absolues, soit à affronter toutes les parties.

Cela pourrait amener à un approfondissement de la crise, en raison de l'appel lancé par l'opposition à une désobéissance civile et d'une probable scission au sein de l'armée, dans la mesure où plusieurs officiers ont affiché leur opposition à l'endroit du plan transitoire.

Source : AA

De la même section Contributions