Tout porte à croire que le général à la retraite a déjà tranché sur la question de sa candidature à la présidentielle du 24 décembre, après l'échec de son option militaire visant à gouverner la Libye par la force des armes
Dans un énième outrepassement des prérogatives du Conseil présidentiel et du gouvernement d'Union nationale libyens, le général à la retraite, Khalifa Haftar, a signé, tout en arborant un costume civil, les plans de construction de trois villes autour de Benghazi (est), dans une mesure d’où se dégage son intention de se porter candidat à la prochaine présidentielle.
Ce pas a été suivi par l'accueil de Haftar d'une délégation de la ville de Zenten (ouest), qui compte le plus grand nombre de ses soutiens dans la région occidentale du pays.
Il convient de noter que Haftar a accueilli cette délégation en arborant cette fois-ci le treillis militaire, d’autant plus que la ville était tombée pacifiquement aux mains des sympathisants du gouvernement d'Entente après l'effondrement des milices du général putschiste et leur fuite vers l'est du pays, au mois de juin 2020.
Les slogans scandés par les familles des victimes tuées par les milices de Haftar étaient remarquables. Ces familles ont été rassemblées dans une salle de Benghazi, le 10 avril courant, pour que le général à la retraite leur fait miroiter des promesses imaginaires et chimériques, en termes de logement, d'emploi et d'éducation.
Composé majoritairement de femmes, le parterre scandait : « Le peuple veut…Haftar président », comme si le général à la retraite s'était engagé dans une pré-campagne, ce qui signifie qu’il a déjà tranché sur la question de sa candidature à la présidentielle du 24 décembre, après l'échec de son option militaire visant à gouverner la Libye par la force des armes.
Les conditions de candidature non réunies
Haftar parie sur la non-tenue du référendum sur le draft de la Constitution avant l'organisation de l'élection présidentielle ou encore sur l'adoption par le draft d'une mention constitutionnelle pour les élections, de nature à lui permettre de se porter candidat à la présidentielle.
Le projet de la Constitution élaboré en 2017 a vu les soutiens de Haftar à la Chambre des députés de Tobrouk jouer un rôle de premier plan pour entraver la soumission du texte au référendum populaire, dans la mesure où il comportait des conditions qui ne l'autorisent pas à se porter candidat à la présidentielle.
Grâce à ce soutien, la condition mentionnant l'écoulement de deux ans au moins depuis qu'un candidat ait occupé un poste militaire avant la date de candidature, comme indiqué dans l’article 111 du draft de 2016, a été annulée.
De même, il a été procédé à l'amendement de la condition de la nationalité étrangère, en réduisant le délai de renonciation à ce statut, de cinq ans avant la date d'ouverture des candidatures dans le draft de 2016, à une année seulement selon l'article 99 du draft de la Constitution de 2017.
Il est de notoriété publique que Haftar détient la nationalité américaine et qu’il n'a jamais annoncé y renoncer. De plus, les procédures de son procès dans l'Etat américain de la Virginie indique qu'il n'a pas renoncé à cette nationalité, ce qui le prive légalement de se porter candidat à la présidentielle, dans la mesure où seulement huit mois nous séparent de ce scrutin.
L'espoir que caresse Haftar pourrait se réaliser si le Forum du dialogue parvient à adopte une règle constitutionnelle allégée, qui validerait sa candidature. Il s'agit là également d’une configuration peu probable, dès lors que le Forum compte dans ses rangs de nombreuses personnalités qui s’opposent à sa candidature et qui l’accusent d'avoir commis des « crimes de guerre ».
Construire trois villes pouvant accueillir jusqu’à 12 millions de personnes
L'un des paradoxes qui a soulevé la polémique sur les réseaux sociaux en Libye consiste en l'évocation par Haftar de la construction « prochaine » de trois villes à l'ouest, à l'est et au sud de Benghazi, qui pourraient accueillir jusqu’à 12 millions d'habitants.
Comme le nombre de la population libyenne ne dépasse pas les sept millions de personnes, il est possible de supposer que Haftar s'emploie à implanter des tribus des pays du voisinage, en particulier la tribu d'al-Jawari dans l'ouest de l'Egypte, dont les origines remontent à la Libye, et probablement une partie des tribus de Ouled Ali en Egypte aussi, qui ont des prolongements qui s'étendent jusqu'au territoire libyen.
Toutefois, le plus probable serait l’implantation des tribus des Ferjen, présentes en Egypte également, sachant que Haftar lui-même est issu de cette tribu déployée, par ailleurs, dans les provinces de Syrte et de Tarhouna (ouest).
De même, les tribus tchadiennes des « Toubous » pourraient constituer une autre option d'implantation, d'autant plus que le colonel Mouammar Kadhafi, qui avait dirigé la Libye, entre 1969 et 2011, s'était employé à les convaincre que leurs origines sont libyennes, tout en naturalisant certains parmi eux, dans une tentative de réaliser son rêve, celui d'édifier la Grande Jamahiriya.
Haftar avait déclaré, dans une vidéo qui circule depuis 2019 : « Nous avons environ un million 760 mille kilomètres carrés, Que faisons-nous avec tout ça. Si nous parvenons à obtenir 10 millions d'habitants supplémentaires qui seront aptes à transformer le visage de la Libye, pourquoi pas? ».
Le projet d'implantation de tribus égyptiennes voire tchadiennes permettra à Haftar de s'approprier un réservoir électoral qui équivaudrait au double du nombre des électeurs libyens, ce qui lui garantirait à lui ainsi qu’à ses fils de gagner toute prochaine élection.
Outrepasser les prérogatives du gouvernement
Haftar continue à gérer les régions de l'est et du sud du pays, faisant peu de cas de l'investiture d'un gouvernement d'Union nationale qu'il a lui-même reconnu, en mettant ses milices sous l'autorité du Conseil présidentiel, qui est le commandant suprême de l'armée.
Quand bien même la signature d'un plan portant construction de trois villes, en dépit de son caractère de propagande irréaliste, même si nous supposons que c'est un officier militaire au service de son pays, comment ça se fait qu'il s'arroge le droit de superviser l'édification de villes et de logements, une prérogative qui relève des attributions du gouvernement et non pas de l'armée.
De plus, comment Haftar pourrait détenir les ressources financières et matérielles pour mener à terme un projet gigantesque de la sorte, alors que le pays souffre encore d'une crise d'électricité, d'une carence d'hydrocarbures et de grands problèmes de liquidité financière.
Se comportant comme étant le gouverneur effectif de l'est libyen, Haftar ne semble pas prêt à céder son influence et son pouvoir à un gouvernement d'Union, comme l'a fait Fayez al-Sarraj, le Chef du gouvernement de l'Entente nationale, basé auparavant à Tripoli.
Canaliser la colère des sympathisants de Ouerfelli
Haftar n'a jamais affiché auparavant un intérêt aux familles des personnes tuées par ses milices comme il l'a fait cette fois-ci, bien que de nombreux blessés de l'opération « al-Karama » (dignité) lancée en 2014 avaient organisé des manifestations, à maintes reprises dans la ville de Benghazi, pour contester le fait qu'ils soient négligés, et pour réclamer la prise en charge des frais de leur soins.
Il est apparu après l'assassinat du commandant, dirigeant du régiment d'Al- Saeeka, le 24 mars dernier, à Benghazi, que ce dernier avait adopté et défendu l'affaire des blessés de l'opération « al-Karama » et des familles des personnes tuées par les milices de Haftar, en particulier, ceux qui ont été tués ou blessés dans des batailles qu'il a menées contre les éléments du « Conseil de la choura des révolutionnaires de Benghazi », entre 2014 et 2017.
Après la prise d'assaut par Ouerfelli, connu pour être « l'officier des exécutions », d'un concessionnaire automobile à Benghazi, où il s'est emparé des fonds et des véhicules exposés à la vente, il a procédé à la distribution de l'argent ou du moins une partie aux blessés de l'opération « al-Karama », ce qui a accru son capital confiance et crédibilité dans les rangs de cette frange, et porté atteinte à l’image de Haftar, en raison du faste constaté lors du mariage de l'un de ses fils, comme l'attestent plusieurs activistes.
Il se pourrait que Haftar ait ressenti le danger que représente cette catégorie, particulièrement après le sit-in observé par nombre de ses éléments, pour réclamer une enquête dans l'affaire de l'assassinat de Ouerfelli, menaçant d'enclencher une guerre, d'autant plus que les fils de Hafter et leurs proches font partie du premier cercle des accusés.
Pour absorber la tension générée par l'assassinat de Ouerfelli, Haftar a réuni les familles des victimes de ses milices et promis monts et merveilles, en termes de logements, d'opportunités d'emploi, d'éducation pour leurs enfants et de prise en charge des frais d'accomplissement du pèlerinage.
Il convient de noter que Haftar a promis aux familles des victimes de leur accorder 20 mille logements, soit une moyenne d'une habitation par victime ou famille de victime, selon lui, ce qui représente une reconnaissance implicite que le nombre des éléments tués dans le cadre de l'opération al-Karama, depuis 2014, a atteint le seuil des 20 000.
Un discours éradicateur
L'élément le plus dangereux contenu dans l’allocution prononcée par Haftar devant les familles des victimes est l’appel lancé pour éradiquer les « frères musulmans ». « Nous ne laisserons aucune personne appartenant aux Frères (Confrérie des Frères musulmans), nous ne coexisterons jamais avec eux », a-t-il souligné.
Au moment où le Conseil présidentiel annonçait la création d'un Haut-commissariat pour la Réconciliation nationale afin de résoudre les différends inter-libyens, Haftar appelait à éradiquer l'une des composantes politiques qui a son poids dans le pays.
Ce discours éradicateur et extrémiste est de nature à impacter négativement sur l'organisation des élections présidentielle et législatives à leur date prévue.
En effet, comment les candidats proches ou considérés comme appartenant à la confrérie des Frères musulmans pourraient se porter candidats dans l'est et le sud du pays ou organiser des campagnes électorales dans les régions contrôlées par Haftar ?
Même chose pour le général à la retraite qui ne pourrait pas organiser sa campagne électorale dans les villes et localités de la région de l’ouest du pays, où il est considéré comme étant un criminel de guerre, à supposer que sa candidature serait acceptée et validée.
Le discours éradicateur de Haftar ne sert pas l’atmosphère de la réconciliation bien qu'il s'était engagé et promis à Mohamed Al-Manfi, président du Conseil présidentiel, de réaliser ou du moins de réunir les conditions pour l'organisation des élections transparentes et libres.
Si les candidats ne disposeraient pas de la latitude entière et de la liberté de circulation entre les différentes villes libyennes, cela pourrait porter atteinte à la crédibilité du scrutin, quand bien même ses résultats seraient transparents.
Cette situation rend la mission du gouvernement dans l'organisation d'élections crédibles et reconnues, des plus délicates, en particulier, si le scrutin aboutissait à l'élection d'une personnalité polémique qui pourrait être rejetée par l'une des parties.
Haftar ne dissimule pas sa volonté de gouverner la Libye. Rappelons qu'il avait appelé auparavant ses sympathisants à le mandater en tant que chef incontesté du pays en 2020.
L'arrivée à la présidence par la voie des urnes, que ce soit via la falsification ou à cause de l'éparpillement des voix dans la région de l'ouest, nous rappelle étrangement le scénario du chef nazi, Adolf Hitler.
Source : AA