Quel bilan tirer de la stratégie mise en place par le pays pour lutter contre le coronavirus ? Louis Imbert, notre correspondant à Jérusalem, a répondu à vos questions dans un tchat.
Bars et restaurants ouverts, accès de nouveau possible aux équipements sportifs et culturels, fin du port du masque en extérieur, accueil de touristes vaccinés à partir du 23 mai… avec un pourcentage très élevé de sa population désormais vaccinée contre le Covid-19 (plus de 80 % des citoyens ou résidents israéliens de plus de 16 ans ont reçu deux doses), Israël semble être en passe de reléguer la pandémie dans le carton à mauvais souvenirs.
Le correspondant du Monde à Jérusalem, Louis Imbert, a répondu à vos questions.
Sab : Combien y a-t-il de cas et de morts au quotidien en Israël ?
On compte ici moins de cent nouveaux cas par jour et moins de deux cents personnes hospitalisées. Pour un petit pays d’environ 9 millions d’habitants, c’est exceptionnel. Les Israéliens n’ont certes pas retrouvé leur « vie d’avant », et on ne peut pas parler d’insouciance, mais disons qu’ils retrouvent une forme de normalité, et cela demeure une surprise chaque jour.
En janvier, Israël affichait encore un record mondial d’infections. Depuis lors, le nombre de diagnostics a baissé de 98 %, le nombre de cas graves dans les hôpitaux de 93 %, selon une récente étude du centre Weizmann, basée sur des données du ministère de la santé. C’est bien plus qu’attendu. C’est le fruit d’une campagne de vaccination rapide et massive, menée dès décembre 2020, grâce à une négociation avec le laboratoire américain Pfizer. En partageant ses données médicales avec ce dernier, Israël est devenu un lieu de test de l’efficacité de son vaccin grandeur nature.
FH : Quelles sont encore les restrictions en Israël (masques, jauge de personnes, réunions de famille limitées) ?
Elles ont été largement levées depuis début mars. A l’approche des élections législatives, il s’agissait pour le gouvernement Nétanyahou de montrer que le pays revenait à la normale. Cette semaine encore on a vu la réouverture des écoles de façon « normale » – c’est la fin des classes par demi-groupes, des « capsules ». Et la fin, très symbolique, de l’obligation de porter le masque à l’extérieur ; mais, dans les faits, la police ne distribuait plus d’amendes depuis quelque temps.
Aujourd’hui, il est difficile pour le citoyen moyen de comprendre ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. Chacun reprend ses habitudes à son rythme – on voit encore bien des gens porter le masque dans la rue. Les restaurants, les lieux publics ont bien des jauges – incompréhensibles. Mais la fête de l’indépendance du pays s’est déroulée plus ou moins « comme avant ». Et les épidémiologistes sont optimistes.
Turf : Est-ce que le Covid-19 est encore dans la tête des habitants en Israël, où tout le monde est passé à autre chose – surtout depuis que le masque n’est plus obligatoire ?
Il l’est, bien sûr. En mars, le pays a rouvert rapidement les espaces intérieurs, commerces, restaurants, certains clubs de danse, et les gens s’y sont précipités, dans une grande improvisation. Il y avait encore des réticences, des craintes mêlées à la joie. Cela évolue peu à peu. On est surpris, ici, d’improviser un dîner dehors avec des amis, et de se rendre compte une fois assis que c’était si facile. Autre exemple : cette voisine âgée qui invitait discrètement ses copines dans son jardin depuis six mois, et qui maintenant envisage de dîner en ville ou de jouer avec un enfant qui n’est pas de sa famille. Bref, le retour à la « normale » est lent, mais il se fait.
Jean : Les mouvements antivax existent-ils en Israël ? Comment s’explique une telle adhésion de la population à la campagne de vaccination ?
Le mouvement antivax existe, mais il a été débordé par une campagne de vaccination efficace : 5 millions de personnes ont reçu deux doses du vaccin de Pfizer, plus de 80 % des plus de 16 ans sont vaccinés. Israël a mis à profit la réactivité de sa population et son expérience des temps de guerre : gouvernement, hôpitaux et caisses d’assurance maladie ont collaboré efficacement. Dès décembre 2020, des vaccinodromes étaient ouverts dans les stades et les maisons de la culture de quartier, y compris durant le repos du shabbat.
Dès le début de février, l’Etat a peiné à maintenir le rythme de sa campagne et mené une chasse agressive aux non-vaccinés, notamment dans les communautés arabe et ultraorthodoxe.
Tnato : Y a-t-il encore un passeport vaccinal, ou sert-il juste le temps de la transition ?
Oui. Depuis mars, en théorie, il faut montrer son « passeport vert » à l’entrée d’un théâtre, d’une salle de sport, d’un restaurant. En pratique, beaucoup vous demandent si vous l’avez et ne vérifient plus. Il y a eu des doutes au début sur la facilité avec laquelle il pouvait être falsifié, mais quel intérêt quand la vaccination est si rapide ?
Il y a eu aussi des critiques sur le manque de sécurité des données informatiques. Mais le passeport vert a surtout servi à inciter ceux qui hésitaient à se faire vacciner à sauter le pas. Le gouvernement a surjoué la sévérité, les menaces de brimades légales contre les non-vaccinés… sans passer réellement à l’acte. Il s’agissait de créer une impression : le vaccin est inéluctable ; cela a plutôt bien fonctionné.
LN : Comment les autorités comptent protéger les Arabes Israéliens, moins couverts par la vaccination, et les Palestiniens, qui n’y ont que peu accès ?
Les citoyens arabes d’Israël (20 % de la population) ont eu accès au vaccin en même temps que les autres. Même s’ils ont été un peu plus lents. Pour la Palestine, c’est autre chose. Israël a manqué une occasion de se montrer généreux, en livrant à peine deux mille doses à l’Autorité palestinienne, qui s’époumone actuellement dans un nouveau confinement, et où le taux d’infection a explosé.
Le contraste est terrible, même si Ramallah a reçu quelque 80 000 doses du système Covax de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et quelques dizaines de milliers de doses du vaccin russe, offertes par les Emirats arabes unis aux habitants de Gaza.
Israël a été accusé de manquer à ses obligations en tant que puissance occupante, au titre de la quatrième convention de Genève. Les autorités répondaient que la santé relevait des compétences de Ramallah selon les accords de paix d’Oslo. Après les habitants de Jérusalem Est, les quartiers palestiniens occupés de la ville sainte, Israël a fini par vacciner en mars les travailleurs palestiniens qui s’emploient dans les colonies et en Israël, 100 000 personnes. Cela lui permet d’éviter que le regain d’épidémie en Palestine ne circule trop vite sur son propre territoire.
Tranber : Les Israéliens peuvent-ils voyager partout et doivent-ils faire un test PCR avant un vol ? De la même façon, les étrangers vaccinés avec les doses de Pfizer peuvent-ils aller en Israël ?
Craignant l’arrivée de variants durant le troisième confinement, Israël a purement et simplement interdit à ses citoyens de voyager à l’étranger, ou de rentrer au pays lorsqu’ils s’y trouvaient. Un comble pour cet Etat qui se veut un refuge pour tous les juifs. En mars, la Cour suprême a jugé illégale cette interdiction, qui s’assouplissait déjà.
Aujourd’hui, Israël commence à autoriser les membres de la famille d’Israéliens qui ne sont pas citoyens du pays à leur rendre visite. Mais les obstacles administratifs sont nombreux. Le pays annonce aussi sa réouverture aux touristes étrangers à la mi-mai. Les groupes seront les premiers accueillis, car leurs déplacements sont plus aisés à suivre. Un test PCR sera imposé. Le pays s’est déjà engagé à reconnaître la validité des « passeports verts » de touristes grecs, et réciproquement. Il réfléchit à un même système avec le Royaume-Uni. Mais, dans les faits, les voyages restent complexes, chaotiques.
Lectrice anxieuse : Cette campagne de vaccination massive a-t-elle montré des effets cliniques indésirables du vaccin Pfizer ?
Certains hésitent, bien sûr, face à cette incertitude. Par exemple, les mères qui allaitent leur enfant ne pouvaient pas s’appuyer sur des études pour décider de se faire vacciner. Il n’y en avait pas. On trouvait simplement des estimations scientifiques. Mais, dans la pratique, après quatre mois de vaccination et avec 5 millions de vaccinés, les effets indésirables sont jusqu’ici jugés rares et mineurs.
Philippe : On parle de la préparation d’une nouvelle campagne de vaccination dans six mois. N’est-ce pas un peu démoralisant pour la vie des Israéliens ?
Oui, le gouvernement vient de s’assurer de nouvelles livraisons Pfizer pour distribuer une troisième dose à la population en 2022. Il estime de longue date que de tels rappels seront la normalité pour les années à venir.