Libye : La Chambre des députés est-elle en mesure de faire réussir la phase transitoire ?

La Chambre des députés libyenne est chargée d'une mission primordiale et décisive, au cours de la phase transitoire, devant prendre fin le 24 décembre prochain, par l'élection d'un nouveau président du pays et d’un nouveau Parlement

Après le dénouement difficile auquel est parvenu le Forum du Dialogue politique libyen, sous les auspices des Nations unies, en choisissant une Autorité exécutive « unifiée », qui bénéficie d’un consensus national et international, les regards sont rivés actuellement sur la Chambre des députés avec ces deux camps et une série d'interrogations se posent sur la capacité de cette institution à couronner de succès la phase transitoire, en dépit des scissions qui la traversent.

En effet, la Chambre des députés libyenne est chargée d'une mission primordiale et décisive, au cours de la phase transitoire, devant prendre fin le 24 décembre prochain, par l'élection d'un nouveau président du pays et d’un nouveau Parlement.

La première de ces missions consiste en l'octroi de la confiance au gouvernement d'Union nationale que doit former Abdelhamid Dbiba, choisi pour cette tâche le 5 février courant.

De plus, la Chambre des députés est contrainte d’amender les lois électorales, dont certains articles ne sont pas conformes au draft de la Constitution, élaboré par la commission élue des « Soixante ».

L’ultime mais non moins importante mission consiste à approuver le dernier draft de la Constitution avant sa soumission à un référendum populaire, en prélude de la tenue d'élections présidentielle et législatives, à la date prévue, soit avant la fin de l'année 2021.

 

- Talon d'Achille

La Chambre des députés constitue le principal « talon d'Achille » du processus de résolution de la crise libyenne, dans la mesure où sa scission entre Tripoli et Tobrouk soulève une interrogation quant au lieu de la tenue de la séance d'investiture du gouvernement et sur la personnalité qui sera chargée de présider la séance, d’autant plus que les deux présidents des deux parlements, se disputant la légalité, pourraient revendiquer cet honneur.

Hammouda Siala, président du Parlement de Tripoli, a appelé les députés de Tobrouk à les rejoindre, dans la capitale, tandis que Aguila Salah, président de la Chambre des représentants de Tobrouk, et ceux qui l’appuient, s'obstinent à ce que la séance se tienne à Tobrouk ou dans la ville de Benghazi, tel que mentionné dans la Déclaration constitutionnelle, ou encore dans la ville de Syrte (450 Km à l'est de Tripoli).

Néanmoins, aussi bien Tobrouk que Benghazi et Syrte, sont toujours soumises au contrôle des milices du général putschiste, Khalifa Haftar, et les députés du Parlement de Tripoli n'ont pas les garanties nécessaires pour préserver aussi bien leur intégrité physique que leur liberté de décision. Certains parmi eux gardent un mauvais souvenir de leur expérience de déplacement, en 2016, à Tobrouk.

Une autre proposition a émergé, en guise de solution médiane, et consiste en la tenue à distance de la séance d’investiture du gouvernement et l’approbation de son programme, en utilisant la technologie de la vidéoconférence, s'inspirant ainsi de l'expérience de la Mission onusienne, au cours de certaines étapes du Dialogue politique.

Certaines personnes hostiles aux résultats du Dialogue politique pourraient exploiter la problématique du lieu de la tenue de la séance d'investiture du gouvernement d'Union nationale pour entraver le processus de résolution onusienne dans son intégralité, à l'instar de ce qu'ils ont fait avec l'Accord politique de Skhirat, conclu à la fin de l'année 2015.

Jusqu’à présent, la Chambre des députés a échoué à unifier ses deux camps et à élire un nouveau président, malgré la réunion, au mois de décembre dernier, dans la ville de Ghadamès (600 Km au Sud-ouest de Tripoli), tout en réunissant le quorum, en présence de 127 députés sur un total de 175 qui sont encore en vie ou qui n’ont pas démissionné.

Il convient de noter que la totalité du nombre des députés, selon le texte de la Déclaration constitutionnelle, s’élève à 200, mais 12 sièges représentatifs de la ville de Derna n'ont pas été élus, en 2014, époque où la ville était contrôlée par les groupes extrémistes. En outre, 10 députés ont péri, soit dans des accidents de circulation ou à cause de kidnappings ou d’assassinats, ou encore des suites de la Covid-19. De même, au moins un député a présenté sa démission.

 

- Une lacune comblée

Pour éviter la réédition du scénario des gouvernements d'Entente nationale avec la Chambre des députés de Tobrouk, en 2016, notamment, lorsque des députés loyaux à Haftar et à Salah, avaient recouru à des actes de banditisme pour entraver l'octroi de la confiance gouvernement, la Mission onusienne a prévu un plan alternatif.

Le 31 décembre dernier, la Mission onusienne en Libye a rendu publiques les prérogatives du pouvoir exécutif et la feuille de route pour accorder la confiance au gouvernement.

Le premier alinéa de l'article 4 dispose, en effet, que « le Chef du gouvernement présente, à la Chambre des députés, dans un délai maximum de 21 jours, à compter de la conclusion de cet accord, une formation gouvernementale aux membres du gouvernement d'Union nationale et son programme d'action muni des conclusions du Forum du Dialogue pour l'approuver entièrement. L’octroi de la confiance se fera dans un délai ne dépassant pas 21 jours, depuis la date de sa présentation à la chambre ».

Le troisième alinéa du même article dispose que « si la confiance n'a pas été accordée, la question sera tranchée par le Forum du Dialogue politique libyen ».

Ce paragraphe a essuyé un refus des députés, tout particulièrement, ceux du Parlement de Tobrouk, dans la mesure où selon eux, ce procédé confisque leurs prérogatives, en les transmettant aux membres du Forum du Dialogue.

Mais en réalité, ce processus place les députés devant leurs responsabilités pour accorder la confiance au gouvernement d'Union « en un seul package », selon un calendrier préétabli et ne pas tergiverser, en réclamant des amendements du genre de la réduction du nombre de ses membres comme cela s'était produit en 2016 avec le gouvernement d'Entente pour gagner du temps et exercer une pression sur les députés afin de changer leurs positions.

La Chambre des députés, qu’il s’agisse de celle de Tripoli ou de Tobrouk, se doit d'unifier ses rangs et sa direction. A défaut, elle laissera passer une chance historique qui se présente à la chambre et au pays, et qui pourrait ne plus se reproduire qu’après cinq ans d’anarchie.

En effet, même si l'octroi de la confiance au gouvernement sera transféré au Forum du Dialogue et à ses 75 membres, il n'en demeure pas moins que la Chambre des députés pourra entraver la promulgation des lois électorales ainsi que l'approbation du draft de la Constitution, ce qui rendra la tenue d'élections à la date prévue, impossible.

Cette hypothèse a été évoquée par le porte-parole de la Chambre des députés de Tobrouk, Abdallah Bliheq, quand il a dit que les discussions du 3ème round de la Commission du processus constitutionnel entre les délégations de la Chambre des députés et du Haut Conseil d'Etat, qui se tient dans la ville égyptienne de Hurghada a confirmé la difficulté de la tenue du référendum sur le draft de la Constitution, avant l'organisation des élections générales, le 24 décembre prochain.

 

- Une seule voix qui s’oppose, qu’en est-il des autres ?

Parmi tous les députés libyens, une seule voix s’oppose à ce processus, en l'occurrence, le député Ali Tekbali, loyal à Haftar, a accusé le président du nouveau Conseil présidentiel, Mohamed Younès Manfi d'appartenir au « Groupe Islamique Combattant en Libye » (GICL).

De même, Tekbali a accusé, dans un entretien télévisé, le Chef du gouvernement désigné, Abdelhamid Dbiba, de « corruption depuis l'époque de Mouammar Kadhafi » et qu'il avait acheté les voix des membres du Forum du Dialogue, pour obtenir la présidence du gouvernement, sans pour autant présenter la moindre preuve de ses allégations.

Manfi est connu pour être un professeur qui enseigné en France et pour appartenir à une grande famille de Tobrouk. Son père est également un enseignant universitaire à Benghazi, qui appartient à la tribu de Manfi, une des branches des tribus des Almoravides, auxquelles appartient Omar al-Mokhtar.

Manfi a évolué au sein du bloc « Fidélité au sang des martyrs » dans le Congrès National Général (Assemblée constituante) qui comporte des indépendants et il s'était opposé à l'Opération « al-Karama » (Dignité), lancée par Haftar, en 2014, ce qui a poussé Tekbali à porter avec effronterie ces accusations d'appartenance au GICL.

A l'exception de Tekbali, Hammouda Siala, président de la Chambre des députés de Tripoli et Aguila Salah, président de la Chambre de Tobrouk, avaient exprimé leur appui à la nouvelle Autorité exécutive, ce qui laisse prévoir qu'il n'est pas exclu que le nouveau gouvernement obtienne la confiance du Parlement, sauf si les députés échouent à se réunir dans un seul siège et sous une présidence unifiée, lors d'une séance qui obtiendra le quorum.

Dans tous les cas de figure, l'octroi de la confiance au gouvernement de Dbiba ne constituera pas la principale entrave. Il s’agit plutôt du referendum sur la Constitution, avant la tenue des élections présidentielle et législatives, le 24 décembre.

L'investiture du gouvernement par le Parlement nécessitera 42 jours, comme délai maximum, depuis la date du choix du pouvoir exécutif, soit le 19 mars prochain.

Cependant, si la question était transférée pour examen par le Forum du Dialogue, cela nécessiterait un délai supplémentaire, et le gouvernement pourrait ne pas être investi au mois d'avril. De plus, cela aboutira à l’exercice d‘une pression sur les préparatifs engagés en prévision des élections générales.

Ainsi, le respect de la date du 24 décembre, une sorte de « ligne rouge » dressée par la Mission onusienne, que doit respecter l'Autorité exécutive, représente un véritable défi devant la Chambre des députés qui devrait aplanir les obstacles juridiques afin d'organiser le scrutin dans les délais impartis.

Source : AA

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