Haftar s'emploie à affirmer sa capacité à diriger l'armée unifiée, après la première réunion d'El-Menfi en sa qualité de commandant suprême de l'armée
Dans une première contradiction franche avec leur reconnaissance du Conseil présidentiel libyen en tant que commandant suprême de l'armée, les milices du général à la retraite, Khalifa Haftar, ont lancé des manœuvres militaires qualifiées de « gigantesques », sans au préalable, prendre l'accord dudit Conseil.
Les manœuvres ont été organisées, simultanément avec la présidence, par Mohamed el-Menfi, chef du Conseil présidentiel, d'une première réunion militaire, dans la capitale Tripoli, le 29 mars écoulé, en sa qualité de commandant suprême de l'armée, sans pour autant évoquer les exercices menés par Haftar.
Ont pris part à la réunion le vice-président du Conseil présidentiel, Abdallah Ellafi et le chef d'Etat-major de l'armée, le général-major, Mohamed Hadded.
La présence de Hadded a suscité l’ire des médias loyaux à Haftar, qui ont vilipendé la réunion, en particulier, le fait qu'El-Menfi et Ellafi se sont adressés à Hadded en sa qualité de chef d'Etat-major de l'armée.
Cela signifie pour eux que le Conseil présidentiel ne reconnaît pas Haftar comme commandant de l'armée, de même qu'il n'a pas donné satisfaction aux réclamations des tribus de la Cyrénaïque de désigner Abderrazek Nadhouri au poste de chef d'Etat-major de l'armée unifiée, du moins au cours de la phase actuelle.
C'est pour l’ensemble de ces raisons que Haftar a œuvré à adresser une série de messages à travers les manœuvres effectuées par les blindés du « régiment 106 ».
Un message au Conseil présidentiel
La défaite de Haftar, au début de l'été 2020, à Tripoli, et la réussite du Forum du Dialogue politique à choisir, sous les auspices onusiens, un nouveau Conseil présidentiel et un Chef de gouvernement d'Union nationale, le 5 février 2021, ont montré le général à la retraite comme se dirigeant vers la sortie de la scène libyenne.
Bien que Haftar a reconnu le Conseil présidentiel en tant que commandant suprême de l'armée sous la contrainte, il n'en demeure pas moins que les manœuvres auxquelles il a assisté, le 1er avril courant, ont dévoilé qu'il ne compte pas se retirer volontiers du paysage et qu'il ne reconnaît aucune autorité civile sur ses milices.
Cela a été prouvé lors de l’accueil réservé par Haftar à El-Menfi, qui s'est rendu dans la ville de Benghazi, le 11 février dernier, pour la première fois, après avoir été choisi président du nouveau Conseil présidentiel.
La réaction d’El-Menfi a été pratique, dans la mesure où sa première réunion militaire s'est tenue, à Tripoli et non pas à Benghazi, en sa qualité de commandant suprême de l'armée, en présence de Hadded en sa qualité de chef d'Etat-major, et non pas de Haftar ni de Nadhouri, qui ne disposent pas actuellement d'aucune qualité officielle.
Le Conseil présidentiel réuni est considéré comme étant le commandant suprême de l'armée et le Chef du gouvernement, Abdelhamid Dbaibah est le ministre de la Défense de même que Hadded occupe le poste de chef d'Etat-major, quoique de manière provisoire.
C'est pour cela que Haftar a procédé à une démonstration de force sur le terrain, à travers l'organisation de manœuvres qualifiées par des médias qui le soutiennent de « gigantesques », tout en demandant « d'accroître la prédisposition et le niveau de combat des soldats.
Il a ajouté que « l'ampleur des exercice réalisés par les blindés du « régiment 106 » est en-deçà de ses aspirations.
Parmi les armes utilisées dans ces manœuvres figurent un avion de type Soukhoï-24, un hélicoptère de transport, des blindés et de l'artillerie lourde, à travers lesquels Haftar s'employait à transmettre un message au Conseil présidentiel, en vertu duquel lui et ses fils dirigent des « forces entraînées » et par conséquent ils ne peuvent être exclus du commandement de l'armée unifiée.
Un message aux tribus de la Cyrénaïque
Les dernières réunions des tribus de la Cyrénaïque, dans les villes et localités de Benghazi, du Marj, d’al-Abiar et Sloug (sud de Benghazi) ont été sanctionnées par des messages de soutien au gouvernement d'Union nationale et de rejet du pouvoir militaire, en faisant allusion à Haftar, tout en dénonçant les crimes l'assassinat et de kidnapping. Ce message a été considéré comme étant une sorte de défi de taille lancé à l'autorité et à la domination du général à la retraite et de ses fils.
Les menaces proférées par les tribus de la Cyrénaïque ont poussé la tribu d’el-Awaguir (la principale tribu de l'est du pays après celle d’el-Abidet) à évoquer la mise sur pied d'une milice armée pour protéger ses membres.
En effet, les tribus de la Cyrénaique, et à leur tête, celles d’el-Awaguir et d’el-Abidet ont commencé à se désolidariser, de manière progressive, de Haftar, après la multiplication des opérations d'enlèvement et de meurtre, qui ont ciblé nombre de leurs membres, tels que le chef de tribu Abrik al-Lwati, la députée Sihem Sarguiwa, la militante des droits de l'Homme, Hanen Barassi, et l’activiste Salwa Bouguiguis.
Les manœuvres militaires du régiment des blindés menées dans la région de Messous (sud-est de Benghazi) sont intervenus en tant que message de coercition et qu'avertissement lancés aux tribus de la Cyrénaïque pour signifier que toute tentative de rébellion contre l'autorité des milices de Haftar sera contrée.
Ces manœuvres visent à rappeler ces tribus que Haftar dispose encore de la force militaire pour mâter toute rébellion dans la région de la Cyrénaïque et que sa défaite à Tripoli n'a entamé en rien sa détermination.
Un message au chef d'Etat-major de ses milices
Il est remarquable que Haftar a réuni les principaux dirigeants de ses milices pour suivre les manœuvres, à l'exception d'un seul, en l’occurrence Abderrazak al-Nadhouri, le deuxième homme dans les milices de l'est, ce qui confirme le gap qui sépare les deux dirigeants actuellement, et qui s’élargit de jour en jour.
Al-Nadhouri, qui bénéficie du soutien de Aguila Salah, président de la chambre des députés et des tribus de la Cyrénaïque, et à leur tête la tribu d’al-Orfa dans la ville de Marj (est), est considéré comme un éventuel successeur de Haftar.
En avril 2018, et alors que Haftar était quasiment à l'article de la mort dans l'un des hôpitaux parisiens, al-Nadhouri avait tenu une réunion en présence du commandant de l'aviation, Sakr al-Jarouchi, du chef de la cellule des Opérations d’al-Karama, Abdessalem al-Hassi (actuellement patron du régiment d'Al-Saika) et du patron des Unités spéciales, le général Ouanis Boukhemeda et d'autres officiers supérieurs.
Al-Nadhouri avait ordonné aux dirigeants des milices à l'époque d'envahir à la ville de Derna, mais il s'est dégagé du timing de la réunion l'impression que l'objectif n'était pas Derna en soi, mais plutôt le fait de se présenter comme étant un successeur à Haftar, en cas de décès de ce dernier.
Les aspirations d’al-Nadhouri d'accéder aux plus hauts rangs militaires se sont concrétisées lors de l'appel lancé par les tribus de la Cyrénaïque, au cours de la réunion le 15 mars dernier dans la ville de Marj, au gouvernement d'Union, de nommer al-Nadhouri en tant que chef d'Etat-major de l'armée unifiée.
Al-Nadhouri avait, également, soutenu Aguila Salah, au cours de sa crise ouverte avec Haftar, lorsque le général à la retraite avait appelé, en 2020, le président de la chambre des députés à le mandater, en tant que président de la Libye.
L'absence d’al-Nadhouri des manœuvres de Messous était attendue, en particulier après l'assassinat de Ouerfelli, un dirigeant de premier plan du régiment « d’al-Saika », d’autant plus que la liste des assassinats pourrait s'allonger pour atteindre d'autres dirigeants des milices de Haftar qui ne seraient plus soumis à l'autorité du général à la retraite et al-Nadhouri pourraient en faire partie.
L'acceptation d'un poste militaire au sein de l'armée unifiée sans bénéficier de l'accord préalable de Haftar ferait que al-Nadhouri subirait le destin de Mehdi al-Barghthi, chef du régiment des blindés 204, qui a été démantelé, et dont les membres avaient été répartis sur d'autres régiments, de même que les plus proches collaborateurs de Barghthi ont été écroués.
Le message que souhaitait faire parvenir Haftar à al-Nadhouri, à travers les manœuvres de Messous, durant lesquelles Sakr al-Jarouchi était assis aux côtés du général à la retraite, consiste à ce que les chefs militaires de la Cyrénaïque le soutiendraient en cas de passage à l’action d’al-Nadhouri.
Un message aux sympathisants de Ouerfelli
Il ressort des manœuvres menées par le « régiment 106 » (le plus grand en nombre, le mieux armé et le plus fidèle à Haftar) quelques significations particulières.
En effet, c'est ce régiment qui est chargé de protéger l'autorité de Haftar, qui est géré par l'un de ses fils. Le régiment est considéré comme étant une garde prétorienne ou une police militaire avec comme rôle principal celui d’empêcher tout renversement militaire contre Haftar, de l'intérieur de son camp.
La présence aux manœuvres des deux fils de Haftar, Khaled et Saddam, et de son gendre Ayoub Ferjani, était remarquable. Cela a été considéré, par nombre d'observateurs, comme une volonté du général à la retraite de les pousser aux devants de la scène, pour jouer des rôles militaires, voire politiques, en dépit des accusations et des soupçons qui pèsent sur son fils Saddam, accusé par certains d'être à l'origine de l'assassinat de Mahmoud Ouerfelli.
Les retombées de l'assassinat de Ouerfelli, éliminé le 24 mars dernier à Benghazi, se poursuivent encore. Son frère Walid a menacé de commettre des opérations-suicide au cas où la commission civile constituée par les chefs des tribus ne parviendrait pas à des résultats.
De nombreuses demandes ont été, également, formulées sur les réseaux sociaux pour réclamer de dévoiler les parties, qui auraient assassiné Ouerfelli, en particulier de la part du chef du régiment « d’al-Saika », Abdessalem Hassi, qui a demandé d'expliciter les circonstances de l'arrestation de l’ami de Ouerfelli, Awadh Darsi, alias « le Requin », qui est venu d'Egypte pour soutenir son ami avant son assassinat.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que Haftar s'emploie, à travers des manœuvres menées par un de ses régiments les plus fidèles, à faire face à toute mutinerie qui serait fomentée par le régiment « d’al-Saika » ou à des dérapages de certains de leurs éléments qui commettraient des opérations pour venger la mort de Ouerfelli et qui pourraient atteindre Saddam Haftar.
Rappelons que Haftar avait procédé à des interpellations dans les rangs de certains dirigeants militaires de ses milices, considérés comme proches du Régime déchu de Kadhafi, autour desquels des informations circulaient quant à leur intention de renverser le général à la retraite, au mois de novembre 2020.
La situation à Benghazi et dans la région de la Cyrénaïque en général est en ébullition et toute fragilisation sécuritaire aura des impacts négatifs sur les préparatifs lancés en vue de la tenue d'élections présidentielle et législatives, le 24 décembre prochain.
Source : AA