La liquidation de Mahmoud Ouerfelli constitue l'une des illustrations du conflit au sein des milices du général putschiste Khalifa Haftar
L'assassinat de l'officier libyen du régiment « al-Saika » (Foudre), Mahmoud Ouerfelli, recherché par la Cour pénale internationale (CPI) a constitué l'une des illustrations du conflit au sein des milices du général à la retraite, Khalifa Haftar. Cet épisode devrait avoir des retombées sur la situation sécuritaire, aussi bien sur la ville de Benghazi que sur l'ensemble du pays.
Celui qui a été promu par Haftar, en 2019, du grade de commandant à celui de lieutenant-colonel et chargé le diriger les axes dans le régiment « al-Saika », jouit d'une certaine « popularité » parmi des combattants des milices de Haftar, en particulier, dans les rangs des éléments des unités spéciales, pour son rôle accompli dans la prise de contrôle de Benghazi, au terme de violents combats livrés contre « le Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi », entre 2014 et 2017.
Les éléments « d’al-Saika » avaient déjà défié Haftar
Les milices de Haftar appréhendent une réaction violente de la part des partisans et des sympathisants de Ouerfelli, assassiné le 24 mars dernier à Benghazi, ce qui a incité le porte-parole du régiment « d’al-Saika », Miloud al-Zoui, à les appeler à « faire preuve de retenue et à ne pas s'enliser dans les marécages de la discorde » et à se soumettre aux injonctions de Haftar et aux consignes du commandant des unités spéciales, Abdessalem al-Hassi.
En effet, après avoir obtenu confirmation de l'information de son élimination, les partisans et sympathisants de Ouerfelli ont tiré plusieurs salves de balles en l'air, devant l'hôpital de Benghazi, une façon d'exprimer leur colère, de même qu’ils ont assisté en masse aux funérailles organisées le jour même de son assassinat, en tirant en l’air, selon des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux.
Des groupes de partisans de Ouerfelli ont menacé de venger la mort de leur chef, sur la foi d’enregistrements mis en ligne sur les réseaux sociaux. Les auteurs des enregistrements étant encagoulés, il n'a pas été possible de vérifier la véracité des vidéos.
Si les sympathisants de Ouerfelli ont innocenté Kalifa Haftar de l'accusation d'assassinat de leur compagnon de route, il n'en demeure pas moins qu’ils ont fait assumer la responsabilité aux commandants de ses milices, en excluant le fait que le meurtre aurait été commis par des éléments du « Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi », qui auraient, le cas échéant, revendiqué l'opération pour s’enorgueillir.
Les partisans de Ouerfelli avaient, auparavant, fait des démonstrations de force après que leur chef s'était rendu, de son propre chef, à la police militaire dans la ville d'al-Marj (est) en 2018, en raison des pressions internationales exercées sur Haftar, après la publication de photos d’exécutions extrajudiciaires expéditives et de charniers, dont ont été victimes des civils désarmés.
Des membres des unités spéciales avaient provoqué l'anarchie et le chaos à Benghazi, en bloquant plusieurs artères principales de la ville, pour exercer une pression sur Haftar, afin qu'il libère Ouerfelli, ce qui a été fait effectivement et qui a illustré le poids dangereux que représentent les éléments « d’al-Saika » dans le camp de Haftar.
Le dilemme cornélien des partisans de Ouerfelli
Actuellement, les partisans de Ouerfelli disposent d’options limitées. Ils doivent, soit se réorganiser et engager une confrontation ouverte et franche avec Saddam, fils de Haftar, qui dirige le régiment « Tarek Ibn Zied », et son frère Khaled, chef du régiment 106, aux fins de contrôler Benghazi, ce qui signifie un affrontement avec Khalifa Haftar jusqu'au bout.
Ce scénario provoquera une complication d’une situation sécuritaire, déjà tendue à Benghazi, et la ville pourrait redevenir le théâtre d'une énième série d’assassinats et d'actes violents.
Le second scénario consiste à ce que Haftar parvienne à apprivoiser les éléments du régiment « d’al-Saika », en arrêtant les éléments radicaux ou on les intégrant au sein d'autres régiments, procédé utilisé avec plusieurs dirigeants qui avaient tenté de s'affranchir de son autorité, tels que Mehdi Barghthi, chef du régiment 204-blindés, en 2016, le colonel Fraj Barassi, chef du Front de Benghazi en 2017 et Fraj Gaim, chef des Opérations spéciales en 2017.
Cela signifie que les fils de Haftar ont renforcé leur contrôle de Benghazi, en éliminant l'un de leurs concurrents et l'absence de Ouerfelli de la scène pourrait renforcer les chances de la réconciliation et de l'unification de l'armée, dès lors qu'il représentait l'une des personnalités les plus controversées, rejetée non seulement par l'ouest du pays mais aussi par les tribus de l'est.
Le départ de Haftar est désormais une nécessité
L'une des principales retombées attendues de l'assassinat de Ouerfelli consiste à ce que les dirigeants militaires de premier plan, qui avaient soutenu Haftar, à un moment donné, et qui sont devenus des concurrents en osant le contrer et s'opposer à lui, tout en critiquant les pratiques et actes de ses fils, en particulier Saddam et Khaled, pourraient être liquidés ou interpellés.
Abderrazak al-Nadhouri, chef d'état-major des milices du général putschiste, et l'une des personnalités qui concurrence Haftar et ses fils, est candidat à occuper un poste de premier plan lors de l'unification de l'armée, et est ainsi considéré comme étant dans le collimateur de ses adversaires et une potentielle victime d’une liquidation, selon nombre d'observateurs.
Après la défaite de Haftar, au terme de son attaque lancée contre la capitale Tripoli (2019-2020), la situation sécuritaire à Benghazi s'est davantage détériorée et cette ville est devenue la plus violente, en termes de nombre de victimes en 2020, selon l'organisation « Solidarité » des droits de l'Homme.
En effet, Benghazi a enregistré 370 victimes en 2020, soit plus de 20% des 1834 personnes mortes dans des actes de violence en Libye, selon la même source.
La ville de l'est du pays a dépassé Tripoli la capitale, qui a enregistré 299 victimes, au titre de la même période, bien qu'elle fût la cible, au cours du premier semestre de l'année 2020, d'une violente attaque lancée par les milices de Haftar et les mercenaires étrangers.
Le fait que Benghazi ait atteint ce dangereux seuil de violence dément les allégations de Haftar qui prétendait en 2014 sauver la ville des actes d'assassinat inconnus, alors que les cadavres sont désormais jetés aux abords des routes, que les assassinats sont commis désormais en plein jour et que leurs auteurs demeurent toujours inconnus.
Après la formation du gouvernement d'Union nationale, qui a été investi par le parlement à une forte majorité, avec l'appui des trois régions du pays et un soutien inédit de la communauté internationale, la sortie de Haftar de la scène libyenne est devenue un impératif pour mettre fin à la scission, réaliser la réconciliation, unifier l'armée et asseoir les fondements d'un Etat civil régi par la force de la loi.
Cette conviction est devenue celle de plusieurs intervenants et acteurs influents sur la scène libyenne et les tribus de l'est du pays y croient de plus en plus, dès lors qu’après que sept ans se soient écoulées depuis le lancement par Haftar de l'opération « al-Karama » (Dignité), il a échoué à garantir la sécurité et la dignité, aussi bien pour les habitants de Benghazi que pour l'ensemble de la population du pays, ce qui rend son éviction du paysage une nécessité impérieuse exigée par tous.
Source : AA