Deux experts tunisiens ont souligné qu'il n'y a pas de crainte de soif en Tunisie, pendant la saison estivale, après les pluies et les précipitations enregistrées en mai et en juin derniers, tout en mettant l’accent sur la nécessité de « continuer à se serrer la ceinture afin d'éviter une exacerbation de la crise de la sécheresse ».
Dans un entretien accordé à Anadolu, les deux experts ont mis en garde contre un optimisme béat quant aux pluies récentes dans le pays, appelant à poursuivre la rationalisation de l'utilisation de l'eau, notamment avec la poursuite des mesures « d'urgence hydrique » instituées dans le pays jusqu'en septembre prochain.
Après des mois de sécheresse qui ont frappé la Tunisie, la deuxième moitié de mai dernier a été marquée par des pluies qui ont couvert la plupart des régions du pays, et cela s'est poursuivi de manière inhabituelle pendant la première quinzaine du mois de juin écoulé.
A la fin du mois de mars dernier, le ministère tunisien de l'Agriculture avait annoncé, pour la première fois, que la distribution d'eau potable se fera par tranches jusqu'à fin septembre prochain.
Depuis lors, l'eau a été coupée pendant la nuit dans de nombreux quartiers de Tunis, dans le cadre d'un système de programmation de la distribution d'eau dans tout le pays, afin d’économiser la consommation.
Dans un communiqué officiel, le ministère de l'Agriculture avait indiqué à l'époque que : « Le pays met officiellement en place un système temporaire d'approvisionnement en eau potable, laquelle eau potable est interdite d’'utiliser dans l'agriculture, l'arrosage des espaces verts, le nettoyage des rues et le lavage des voitures, en raison de la grave sécheresse qui a laissé des barrages presque vides ».
Le ministère a menacé les contrevenants d'amendes et de peines de prison pouvant aller jusqu'à six mois de détention. Malgré les pluies enregistrées durant la première semaine d'avril dernier, le pourcentage de remplissage des barrages n'a pas dépassé les 31%. Selon les plus récentes statistiques publiées par la Direction générale des Barrages et Grands ouvrages hydrauliques (gouvernemental), en date du 20 juin, le pourcentage de remplissage des barrages dans le nord de la Tunisie est passé à 44 %, avec un total de 794,4 millions de mètres cubes, tandis que le pourcentage a augmenté, dans tout le pays à 37,7 %, avec un total de 874,2 mètres cubes.
Le spectre de la soif
Mohamed Saleh Glayed expert en eau et ancien fonctionnaire du ministère tunisien de l'Agriculture, a déclaré : « Les récentes pluies ont ravivé les barrages, en particulier dans le nord du pays ».
« Le spectre d'une crise majeure avec le manque d'eau potable est passé, mais le ministère de l'Agriculture poursuit les mesures pour éviter le gaspillage d'eau car nous gaspillons beaucoup d'eau », a-t-il ajouté.
Et notre interlocuteur de poursuivre : « Il n'y a pas de problèmes majeurs en matière d’eau potable. Nous pouvons surmonter les problèmes pendant la saison estivale, en attendant les premières pluies d'automne ».
De son côté, Ala’a Marzouki, coordonnateur de l'Observatoire tunisien de l'Eau (indépendant, créé en 2016), a lancé : « La Société d'exploitation et de distribution d'eau (SONEDE, monopole gouvernemental sur la distribution de l'eau potable en Tunisie) ne souffre pas d'un problème de ressources en eau, dés los que c'est le ministère de l'Agriculture qui lui fournit l'eau, et le stock de barrages dans lequel l'entreprise y puise suffit les Tunisiens, à condition d'une consommation raisonnable ».
Marzouki a indiqué dans une déclaration faite à l'agence Anadolu que « de nombreuses régions du pays reçoivent de l'eau potable de sources autres que les barrages, comme les puits souterrains ».
Les pluies salvatrices
Concernant l'impact des fortes précipitations tombées au cours des mois de mai et de juin sur l'agriculture du pays, Glayed a souligné : « Les pluies des deux derniers mois ont sauvé les oliviers du nord et du centre des dégâts, car il y a des arbres qui sont déjà morts à cause de la sécheresse ».
« Malgré cela, a-t-il poursuivi, il est nécessaire pour les agriculteurs de rationaliser leur utilisation de l’eau et d'éviter le gaspillage, en limitant l'arrosage des arbres fruitiers, d'autant plus qu'il y a des signes d'augmentation importante des températures, ce qui rend le besoin en eau plus important encore ».
Dans des recommandations publiées récemment, le département de l'Agriculture a appelé à « intensifier les opérations d'irrigation en fonction des quantités disponibles sur toutes les cultures et plantes, en particulier les cultures jeunes et porteuses, afin de réduire l'effet du Chéhili (vents chauds du sud) sur les feuilles et les fruits ».
Marzouki confirme, dans ce contexte, que les pluies récentes ont sauvé de la mort des arbres fruitiers, notamment les oliviers. « Nous étions contents des pluies récentes pour sauver les oliviers à Zarzis (sud-est), à Tataouine (sud-est) et à Sidi Bouzid (au centre), où la pluie n'est pas tombée depuis près de quatre ans pour alimenter les ressources en eau », a-t-il expliqué.
Un optimisme prudent
Marzouki semblait se méfier d'afficher trop d’optimisme quant aux récents taux de précipitations d'eau. Il a relevé, à ce propos, que : « Nous ne devrions pas être trop heureux, et nous devons continuer à faire preuve de vigilance en continu ».
Il a ajouté : « Jusqu'au 8 octobre, qui correspond au début de la saison d'automne, nous saurons si nous avons de l'eau ou non ? La situation est toujours critique, et nous ne pouvons pas parler d'une percée complète, et les réserves des barrages ne sont pas très rassurantes ».
« Le pourcentage de remplissage des barrages ne compensera pas la grande pénurie d'eau résultant de la période de sécheresse passée », a-t-il expliqué.
Les pluies des deux derniers mois ne sauveront pas, selon notre interlocuteur, « les céréales et les arbres fruitiers qui sont morts ou les légumes qui n'ont pu être irrigués », d’autant plus que « la décision de rationnement de l'eau potable et d'irrigation est toujours valide ».
Eaux souterraines
Mohamed Saleh Glayed estime que la politique publique de l'Etat consiste à poursuivre le rationnement de l'eau faute de réserves hydriques suffisantes, et à préserver les ressources en eaux souterraines, d'autant plus que beaucoup d'entre elles ont été soumises à une double consommation avec des craintes de salinisation ».
Glayed a déclaré qu’en « cas de salinisation des ressources de la bande côtière, elles ne seront plus douces, et cela à Nabeul (nord-est) et à Mahdia (est). Quant à Sfax (sud), il y a de bonnes ressources en eaux souterraines, mais si elles sont pompées en abondance, cela pourrait interférer avec l'eau de mer et nous la perdons définitivement ».
Il a ajouté : « Dans le secteur irrigué, ils veulent adopter une stratégie dans le but d'éviter les cultures consommatrices en eau afin de préserver les eaux souterraines grandement utilisées, alors qu’elles constituent une grande réserve pour les périodes difficiles ».
« Les difficultés auxquelles nous serons confrontées ne dureront pas un an ou deux, mais plutôt durant les années à venir, de sorte que les eaux souterraines seront préservées de l'épuisement », a-t-il conclu.
Il a expliqué que « les orientations globales des Nations Unies dans le domaine de l'eau sont de préserver les eaux souterraines et de les protéger de la pollution et de l'épuisement ».
Le prix de la sécheresse
Ala’a Marzouki considère la percée dans la crise de l'eau potable causée par les pluies récentes sous un autre angle.
« Le gros problème consiste en une crise de nourriture, en une crise de légumes et en une crise de produits agricoles », a-t-il dit.
Il a expliqué que le maintien des mesures de « rationnement de l’eau » a entraîné une « crise d’agriculteurs. Il y a 500 mille petits agriculteurs, dont l'eau leur a été coupée depuis novembre dernier et leurs familles sont sans abri et sans aucune mesure pour les indemniser ou les encadrer ».
Il a ajouté : « Le problème est plus profond que celui de l'eau potable. Dans les villes, les gens boivent de l'eau minérale en bouteille, tandis que les petits agriculteurs, liés à l'eau d'irrigation, sont ceux qui souffrent le plus et ne sont pris en compte par personne ».
Anadolu n’a pas été en mesure d'obtenir une déclaration officielle au sujet des conditions des agriculteurs, qui a été évoquée par le coordonnateur de l'Observatoire tunisien de l'Eau.
Selon Marzouki, la crise de l'eau potable en Tunisie apparaît clairement dans les zones reculées et non dans les zones liées aux barrages.
Il a donné comme exemple la région de Redeyef (province de Gafsa, sud-ouest). « La région souffre depuis 2009 d'un problème d'eau, et depuis cette date, elle est le théâtre de manifestations et de grèves pour protester contre les coupures d’eau ».
Source : AA