La Tunisie au lendemain des législatives… Stabilité ou persistance de la crise

L'Instance Supérieure Indépendante pour les Élections en Tunisie a annoncé, lundi 30 janvier, les résultats du second tour des élections législatives anticipées. 131 candidats ayant été élus, sur un total de 161 sièges, alors que 23 candidats ont réussi à gagner la faveur des électeurs au premier tour du scrutin, organisé en décembre dernier.

Les dirigeants du "Mouvement Echaab", du "Mouvement du 25 juillet" et de l'initiative "Pour la victoire du peuple", considérés comme proches du président Kaïs Saïed, ont annoncé avoir remporté un nombre important de sièges au second tour des élections, tenu dimanche, ce qui leur donnerait une majorité au Parlement, surtout compte tenu du boycott du processus électoral par l'opposition. 

Les forces politiques les plus en vue du nouveau parlement

Oussama Aouidet, membre du Bureau politique du mouvement "Echaab" en charge des médias, a expliqué à Anadolu que "le nombre exact d’élus de notre mouvement n'est pas encore disponible car nous sommes en train de compiler les résultats : nous avions environ 47 candidats présents au second tour des élections. "

"Nous aurons donc un groupe respectable de 20 à 25 députés", a-t-il ajouté.

Slaheddine Daoudi, membre de l’initiative "Pour la victoire du peuple", proche du président tunisien, a pour sa part déclaré : "Nous avons notre propre groupe et il est probable qu'il soit le plus important".

Et Daoudi d'ajouter : "Il y a des ententes sur un ensemble de priorités législatives, économiques et sociales" dans le prochain parlement.

Le leader du mouvement "Echaab" a quant à lui déclaré à Anadolu : "Nous tiendrons bientôt un conseil national pour discuter des tâches parlementaires et des priorités du mouvement compte tenu de la composition de la prochaine scène politique."

Abderrazzak Khallouli, porte-parole et membre du bureau national du Mouvement du 25 Juillet (Mouvement national de la jeunesse de Tunisie), a pour sa part déclaré : "Lors du premier tour, nous avons remporté la victoire dans 10 circonscriptions, et avec les résultats du second tour, nous comptons maintenant 86 députés au parlement."

"Nous avons tout mis en œuvre pour mener à bien notre campagne électorale, et nous avons obtenu une majorité confortable" au parlement, a-t-il ajouté.

Et Khallouli de souligner : "Notre groupe sera le fer de lance de l'activité parlementaire et législative, et c'est ce groupe qui tranchera la question de la présidence du parlement et celle des commissions."

Fin de la période d'exception

Concernant l'impact sur la scène politique de la conclusion des élections anticipées, le membre du Bureau politique du mouvement "Echaab" Oussama Aouidet, a déclaré : "La période d'exception arrive à son terme avec la tenue des élections législatives, ainsi, avec leur conclusion, la phase d'exception s'achève pour recentrer le travail au niveau des institutions de l'État et en finir avec les décrets (présidentiels)."

Et Aouidet d’ajouter : "Le fonctionnement normal sera axé sur la base législative, ce qui est en vigueur dans tous les pays du monde. "

Slaheddine Daoudi, de l’initiative "Pour la victoire du peuple", abonde dans le même sens : "Nous en avons fini avec la période d'exception, et il ne reste plus que le deuxième Conseil (élections pour le Conseil des régions et des communes), qui viendra en son temps."

"Après la publication des résultats définitifs, le parlement entrera en fonction", a ajouté Daoudi.

Et de poursuivre, confiant : "Nous tendons vers plus de stabilité, qui est la voie vers la mise en place du reste des institutions, comme la Cour constitutionnelle, la réforme des institutions publiques, et vers la préparation des futures mesures à prendre pour l'édification de ces institutions."

La crise ou l'espoir ?

Concernant le faible taux de participation, que l’Instance supérieure indépendante pour les élections a estimé à 11,4 % du nombre total d'électeurs, et les répercussions sur la persistance de la crise politique en Tunisie, Oussama Aouidet a déclaré : "La Tunisie ne s'achemine pas vers une aggravation de la crise ni vers l'effondrement. Nous voulons plutôt évoquer une situation ouverte à l'action et à l'espoir pour l'avenir, car nous ne pouvons pas concevoir de noirceur dans notre avenir, mais nous nous devons de trouver des solutions".

Évoquant la polémique relative au fort taux d'abstention (suscitée par l'opposition), Aouidet a ajouté : "Je les informe que le taux d'abstention n'indique pas que le peuple les a écoutés, mais témoigne plutôt de la colère du peuple face à une situation économique difficile."

Pour sa part, le leader de l’initiative "Pour la victoire du peuple", Slaheddine Daoudi, a rejeté la thèse selon laquelle la Tunisie risque de voir sa crise s'approfondir en raison du faible taux de participation au second tour des législatives.

Il a estimé que "la légitimité est celle du changement et de la rupture avec le système précédent et la légitimité de la mise en place des institutions."

Et Daoudi d'ajouter : "Évoquer une éventuelle crise est une démarche propre à l'ancien système" (celui qui prévalait avant le 25 juillet 2021, date à laquelle le président Kaïs Saïed a annoncé ses mesures d'exception).

"Nous sommes d'un avis différent, qui tend à recentrer l'action sur la mise en place des institutions", a-t-il affirmé.

L'opposition "perturbe" le processus du 25 Juillet

Pour le porte-parole et membre du bureau national du Mouvement du 25 Juillet, Abderrazzak Khallouli, "l'opposition a le droit de dire ce qu'elle veut, et on ne s'attend pas à ce que l'opposition affiche une position constructive par rapport au processus. Elle va plutôt tout mettre en œuvre pour semer la confusion et diaboliser ce processus."

" Les crises foisonnent dans tous les pays du monde, et le jour viendra où notre crise trouvera une solution", a-t-il ajouté.

Et Khallouli de poursuivre : "Aujourd'hui, nous avons un peuple qui fait des sacrifices et qui gère sans peine la crise. Il est vrai que les gens sont en colère et qu'ils souffrent, mais ils savent que le processus est long et complexe."

Khallouli a souligné que "la crise ne date pas de la prise de fonction du président Kaïs Saïed, mais qu'elle est plutôt le résultat d'une décennie noire (celle des pouvoirs en place avant le 25 juillet 2021, principalement le mouvement Ennahdha et ses alliés) qui a été exacerbée par la pandémie de coronavirus et par la guerre en Ukraine."

"Nous entrons dans une phase de déblocage. Il y a ceux qui veulent approfondir la crise, et les leaders du processus (du 25 Juillet – ndlr) et le président de la République ont la volonté de construire", a-t-il conclu.

Élections et libertés

Le Secrétaire général du Parti du Travail et de la Réalisation et membre du Front du Salut National (la plus large coalition d'opposition en Tunisie), Abdelatif Mekki, a pour sa part déclaré : "Nous constatons que les élections, à un an et demi du coup d'Etat de Kaïs Saïed, ne déboucheront pas sur une solution au problème de la Tunisie, autant qu'elles déboucheront sur la consolidation du régime de Kaïs Saïed."

Mekki estime que "le peuple a été convaincu de notre analyse vu le taux élevé d'abstention et du maintenu de son boycott. Cette institution (le prochain parlement) est ainsi mort-née et ne fera qu’aggraver la crise du pays."

Commentant le sentiment d'optimisme des partisans du président Kaïs Saïed, qui estiment que les élections mettront fin à la crise, Mekki a déclaré : "Ils se bercent d'illusions en pensant qu'ils vont se retrouver dans des institutions stables, car Kaïs Saïed et sa pratique politique ne laisseront pas la situation se stabiliser ; il pourrait même entrer en conflit avec ce groupe prétendument élu."

Appels à la démission du président

Mekki a considéré que "les perspectives de dénouement de la crise commencent par cela (la démission de Saïed), mais Kaïs Saïed refusera, sans compter la situation économique dramatique qu'il a provoquée, le pays étant aujourd'hui au bord de la faillite. "

Pour Mekki, "si Kaïs Saïed ne part pas volontairement, il sera victime d'une terrible colère populaire ou sera confronté à une unité politique entre les partis, les organisations, les opinions juridiques et constitutionnelles..."

L'opposition est-elle unie ?

Abdelatif Mekki a nié que l'opposition soit divisée sur la position à l'égard du régime du président Kaïs Saïed, affirmant : "Si l'unité contre le coup d'État existe, il n'en va pas de même pour ce qui est des conceptions économiques et autres. Cela se règlera à travers les urnes. C’est pourquoi je dis à ceux qui prétendent que l'opposition n'est pas unie contre Kaïs Saïed, non seulement l'opposition est unie, mais même les alliés de Kaïs Saïed ont pris leurs distances avec lui."

Et le membre du Front du Salut National de souligner : "L'alternative, si nous étions dans un système démocratique, passerait par les élections, mais nous sommes aujourd'hui dans un régime autoritaire qui s'accroche au pouvoir et ferme toutes les voies constitutionnelles de changement, c'est pourquoi l'action politique et la lutte à caractère social seront les moyens de faire chuter Kaïs Saïed et de l'obliger à démissionner."

La Tunisie traverse une grave crise économique et financière, exacerbée par les répercussions de la pandémie de coronavirus et de la guerre en Ukraine, en plus des troubles politiques qu'elle connaît depuis que le président Kaïs Saïed a entrepris, le 25 juillet 2021, d'imposer une série de mesures d'exception.

Les plus marquantes de ces mesures comprenaient la dissolution du Conseil supérieur de la magistrature et du Parlement, la promulgation de lois par décrets présidentiels, la soumission d'une nouvelle Constitution à un référendum en juillet 2022 et la tenue d'élections législatives anticipées (décembre 2022 - janvier 2023).

La majorité des forces politiques et de la société civile en Tunisie rejettent ces mesures et les assimilent à un "coup d'État contre la Constitution", tandis que d'autres forces les soutiennent et y voient une "correction du cours de la révolution de 2011", qui a renversé le régime du président Zine el-Abidine Ben Ali (1987 – 2011).

Quant à Saïed, qui a entamé un mandat présidentiel de 5 ans en 2019, il a déclaré que ses mesures sont "légales" et "nécessaires" pour sauver l'État d'un "effondrement total."

Source : AA

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