Législatives en Tunisie : L’abstention au bout du scrutin

Le 25 juillet 2021, le président tunisien, Kaïs Saïed bouleverse l'échiquier politique. Evoquant un « péril imminent », le chef de l’État impose des mesures d’exception pour « sauver l’État de l’effondrement », dont entre autres, la destitution du gouvernement, la nomination d'un nouvel Exécutif, la dissolution du Parlement, et la promulgation de lois par décrets présidentiels.

Le processus initié unilatéralement par Saïed provoque une crise politique, suscite l’aversion de ses opposants, ainsi que les réserves de certaines capitales occidentales.

Le 13 décembre 2021, le chef de l’État dévoile une feuille de route censée sortir la Tunisie de la crise politique, dans laquelle il annonce un référendum sur le projet de nouvelle Constitution le 25 juillet 2022 et des législatives anticipées en date du 17 décembre 2022, après révision de la loi électorale.

La participation des Tunisiens à ces deux échéances électorales va servir de baromètre, surtout qu’à la crise politique s’ajoute une crise économique persistante marquée par des tensions sociales. Grève générale dans la fonction publique, marches hostiles au président Saïed, croissance économique en berne (moins de 3% selon le dernier rapport de la Banque mondiale), une dette de plus de 100% du PIB, selon la même source et un fort taux de chômage. Au troisième trimestre de l’année 2022, 37,8 % des personnes actives âgées de 15 à 24 ans étaient au chômage, selon l'Institut national de la statistique.

Si la nouvelle Constitution a été adoptée par 94,6% des 2,756 millions d’électeurs qui se sont rendus aux urnes, (soit un taux de participation de 30,5%), le premier tour des législatives organisé le 17 décembre 2022 et boycotté par les principales forces de l’opposition, a démontré que les priorités des Tunisiens étaient ailleurs.

L’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), autorité électorale en Tunisie, avait officiellement annoncé une participation de 11,22% au premier tour du scrutin, (l’autorité électorale avait annoncé un chiffre préliminaire de 8,8% après la fermeture des urnes).

Selon le président de l’Isie, Farouk Bouasker, 1,025 million de personnes sur un peu plus de 9 millions d'inscrits ont voté.

Les partis politiques d’opposition avaient interprété ce résultat comme un camouflet pour Saïed et un échec des mesures d’exception qu’il a instaurées depuis le 25 juillet 2021, appelant le président à « quitter le pouvoir » ainsi qu’à « l’organisation d’une présidentielle anticipée ».

Or, pour le locataire du Palais de Carthage, « ce taux de participation est meilleur que celui de 99% qui était annoncé lors des précédentes élections truquées », minimisant ainsi le taux d’abstention record des Tunisiens aux législatives.

Lors du second tour des législatives le 29 janvier 2023, 131 députés ont été élus - dont 22 femmes (16,8%) et 109 hommes (83,8)- sur les 161 sièges que compte le nouveau parlement dont 30 déjà pourvus au premier tour.

Au total, 895 002 électeurs ont voté sur les 7,85 millions d'inscrits, a précisé le président de l’autorité électorale, Farouk Bouasker, soit un taux de participation définitif de 11,4%.

Avec une abstention culminant à 88,6%, la plus élevée depuis la révolution de 2011 qui avait fait chuter le pouvoir de l'ancien président Zine el-Abidine Ben Ali, les législatives du 17 décembre 2022 et du 29 janvier 2023, représentent l’ultime étape dans la feuille de route imposée par le président Saïed censée sortir la Tunisie de la crise. Or, des voix critiques estiment que ce scrutin entérine le retour à la case départ sur le plan politique, autrement dit à un « régime présidentialiste », dans lequel les pouvoirs de la présidence de la République (Carthage) sont renforcés au détriment du Parlement (Bardo) et du Gouvernement (Kasbah).

À la suite de l’annonce des résultats préliminaires du second tour des législatives, le Front de salut national (FSN), principale coalition d’opposants - composée de cinq partis politiques, dont Ennahdha, et de cinq associations -, a appelé lors d’une conférence de presse à Tunis, les autres partis d’opposition, les organisations de la société civile et la centrale syndicale Ugtt (Union générale tunisienne du travail) « à s’unir et œuvrer ensemble pour créer le changement en provoquant le départ de Kaïs Saïed par tous les moyens pacifiques et organiser une élection présidentielle anticipée ».

Selon le président du FSN, Ahmed Nejib Chebbi, « le nouveau Parlement dépourvu de prérogatives ne sera reconnu ni par le peuple ni par les forces politiques, il ne fera qu’envenimer la crise politique et attiser le conflit des légitimités ».

« Que faire ? Maintenant la balle n’est plus dans le camp de Kaïs Saïed. Il n’écoute plus. Il ne tire aucune leçon. Pour lui c’est comme si de rien n’était (en allusion à la forte abstention des Tunisiens, ndlr). Aujourd’hui il y a un constat indéniable : les résultats du second tour attestent de l’échec des législatives. Nous n’espérons plus rien de Saïed. Je m’adresse aux forces politiques et civiles ainsi qu’à l’Ugtt, la Ligue des droits de l'homme (Ltdh), et l'Ordre national des avocats de Tunisie (Onat) pour leur dire que nous sommes tous embarqués sur le même bateau », a encore lancé Chebbi.

L’appel adressé à la puissante centrale syndicale intervient au moment où l’Ugtt a formé un « Quatuor » avec la Ltdh, l’Onat, et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES, Organisation non gouvernementale) autour de l'« Initiative pour sauver la Tunisie », qu'elle a présentée à la fin de l'année 2022 en vue d’« élaborer une feuille de route pour sauver le pays de l’effondrement », à l'abri des tiraillements politiques.

Selon certains experts, si les Tunisiens ont boudé les deux tours des législatives c’est en raison du boycott unanime du scrutin par les principaux partis politiques d’opposition, mais aussi du désintérêt pour la politique d'une population laminée par la dégradation de la situation économique (inflation qui dépasse 10% selon l'Institut national de la statistique, pénuries récurrentes de produits de base) et partant l’érosion du pouvoir d’achat. Autre motif qui explique la cette faible participation : la majorité des candidats sont inconnus des électeurs et sans étiquette partisane.

Source : AA

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