Tunisie - Algérie : Vers un partenariat stratégique ?

Quelques jours avant la tenue des élections législatives, les autorités tunisiennes ont intensifié leurs contacts au plus haut niveau avec ses deux pays voisins, l’Algérie et la Libye, immédiatement après avoir abrité le Sommet de la Francophonie à Djerba, et ce dans le cadre d’un large boycott interne d’un scrutin considéré comme étant décisif pour refaçonner le système politique en Tunisie.

Le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a effectué, le 26 novembre écoulé, une visite éclair en Tunisie où il a remis un message écrit du Président Abdelmajid Tebboune à son homologue tunisien, Kaïs Saïed.
Deux jours plus tard, la Cheffe du gouvernement tunisien, Najla Bouden, s’est envolée vers l’Algérie où elle a été reçue par le président Tebboune, dans le cadre d’une visite d’une journée.

Le surlendemain, la Tunisie a accueilli le Chef du gouvernement d’Union libyenne, Abdelhamid Dbeibeh, qui avait annulé, à la dernière minute et de manière surprenante, au mois d’avril dernier, une visite pareille qui était planifiée.
Ces visites multiples et ces déplacements intensifs, qui se sont succédé pendant une semaine, ont soulevé des débats médiatiques quant à leur visées et motivations, bien que les déclarations officielles aient été conformes aux discours officiels.

Elections dans une phase « critique »

Il est indéniable qu’une inquiétude tuniso-algérienne existe quant aux retombées politiques et sécuritaires des élections législatives tunisiennes sur la scène intérieure et régionale, sur fond d’un large boycott et de critiques occidentales à la méthode de gestion du président Kaïs Saïed et à ses réformes politiques.

Des médias et des réseaux sociaux ont fait le lien entre les deux visites de Lamamra et de Bouden d’une part, et l’ouverture par les autorités tunisiennes d’une enquête visant 25 personnalités politiques, sécuritaires, médiatiques et autres, tunisiennes et étrangères, selon un document judiciaire fuité.

Les accusations qui leurs sont adressées consistent, selon le document, à « former un réseau dans le but de porter atteinte aux biens et aux personnes, à un complot contre la sécurité intérieure de l'État, à établir des contacts avec des agents d'un pays étranger, dont le but est de nuire à l’Etat tunisien du point de vue diplomatique, à une escroquerie et à porter atteinte au chef de l'État ».

Les internautes sur les réseaux sociaux prétendent que ce réseau, qui travaille pour la France, a été dévoilé par les autorités algériennes, sans pour autant qu’il y ait une confirmation ou une infirmation par Tunis ou Alger.

C’est ce qui explique, selon des informations véhiculées par certains médias, la raison des deux visites inopinées du ministre algérien des Affaires étrangères et de la Cheffe du gouvernement tunisien.

Il est clair que les deux pays ont établi une coordination sécuritaire de haut niveau. Cela s’est illustré lorsque l’Algérie a extradé l’ancien directeur des services de renseignement tunisien, Lazhar Loungou, le 21 juillet dernier, après sa tentative de fuite pour franchir les frontières communes entre les deux pays.

La Tunisie avait également extradé, au mois de juillet 2021, le militant Slimane Bouhafs à l’Algérie qui l’accuse d’appartenance à l’organisation séparatiste du MAK et qui est classée groupe terroriste.

La concomitance entre les deux visites conjuguée au document judiciaire fuité et aux chaleureux remerciements exprimés par la Cheffe du gouvernement tunisien à l'égard de l'Algérie pour ce que ce pays « offre à la Tunisie en ces circonstances critiques et délicates dans l'histoire du pays » sont autant d’indicateurs d'une coordination de haut niveau entre les deux gouvernements, en particulier, en cette phase sensible que traverse la Tunisie avec le lancement du compte à rebours de la tenue des élections législatives.

Un partenariat stratégique global

La coopération politique et économique fût longtemps considérée comme étant la locomotive de l'Union du Maghreb arabe (UMA), à l'instar de ce que représentait la coopération germano-française dans le développement de l'Union européenne (UE).

L'orientation vers l'accélération du partenariat stratégique entre la Tunisie et l'Algérie figure parmi les facteurs qui ont incité les responsables des deux pays à intensifier et à multiplier leurs visites réciproques.

C'est ce la Cheffe du gouvernement tunisien avait évoqué à Alger lorsqu'elle a parlé du suivi des projets qui ont été mis en place dans le cadre de la Grande commission mixte algéro-tunisienne, des préparatifs engagés en prévision des travaux de la prochaine commission à Alger pour discuter de la fondation d'un partenariat stratégique global entre les deux pays.

Il s'agit de la 2e visite de Najla Bouden en Algérie depuis sa nomination à la tête du gouvernement en septembre 2021, de même que ce déplacement intervient après un long entretien qu’a eu le président tunisien Kaïs Saïed avec son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, à l'issue des travaux du Sommet arabe à Alger au mois de novembre écoulé.

Tebboune avait déclaré à l'époque que l'Algérie est « soucieuse de continuer à soutenir et à appuyer la Tunisie et ses positions, de même qu'elle demeure attachée au partenariat stratégique établi entre les deux pays ».
La Grande Commission mixte algéro-tunisienne se tiendra au début de l'année prochaine à Alger et devrait être sanctionnée par une série d'accords et de projets, s’agissant notamment, de l'établissement d’une zone de libre-échange entre les deux pays, selon nombre d'observateurs.

La Libye : objet d'un rapprochement tripartite

En dépit de certaines divergences dans la position de l'Algérie et de la Tunisie à l'égard du dossier libyen, il n'en demeure pas moins que l'audience accordée par le président Saïed au Chef du gouvernement d'Union en Libye, Abdelhamid Dbeibeh, démontre que les positions de Tunis et d'Alger convergent davantage.

Si l'Algérie a opté pour la reconnaissance et le soutien du gouvernement de Dbeibeh, la Tunisie a tenté d'opter pour la neutralité, après avoir accueilli Fethi Bachagha, Chef du gouvernement désigné par la Chambre des députés libyenne de Tobrouk, pendant plusieurs semaines avant qu'il ne quitte le territoire tunisien dans des conditions équivoques.

De plus, la relation du président Saïed avec le gouvernement de Dbeibeh était brouillée, notamment après le report de la visite de ce dernier en Tunisie, au mois d'avril dernier, bien qu'il ait affirmé que le report était motivé par des raisons politiques.

Toutefois, ce dernier avait évoqué que les autorités libyennes avaient reçu une lettre de la part de parties sécuritaires tunisiennes, en vertu de laquelle un groupe, en provenance de Libye, viendrait en Tunisie pour assassiner le président Kaïs Saïed, ce qu’il avait qualifié de « rapports mensongers ».

Certains médias arabes estiment que c’est à l’instigation de l’Algérie que la Tunisie a renforcé ses liens avec le gouvernement de Dbeibeh.

Mais l'accueil par la Tunisie de Dbeibeh pourrait être considéré comme étant un parti pris contre Bachagha et l'Égypte qui le soutient et qui accueille, au même moment, une rencontre entre Aguila Salah, président de la Chambre des députés libyenne de Tobrouk, avec khaled Mechri, président du Haut Conseil d'État (législatif consultatif).

Cette rencontre pourrait aboutir au partage des postes régaliens mais aussi au choix d'un nouveau gouvernement auquel s’opposera Dbeibeh, l'Algérie et la Tunisie qui pourrait adhérer à cette position.

Il est attendu que Bouden effectue une visite prochainement en Libye, selon une déclaration faite par Dbeibeh à un média tunisien, ce qui permettra de consolider la coopération tripartite entre la Tunisie, l’Algérie et la Libye, aux plans politique, économique et sécuritaire.

Source : AA

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